Les zeugmes du dimanche matin et de Christophe Bernard

Christophe Bernard, la Bête creuse, 2017, couverture

«En réalité, tout a débuté quand Monti a perdu sa première vie au tournoi de hockey juvénile du diocèse de Gaspé, où s’opposaient les paroisses les plus friandes de sport et de rancunes indélébiles» (p. 14).

«Le concierge dans l’ascenseur avait ses écouteurs sur les oreilles. Il dévisageait François qui, pour lui montrer qu’il s’en allait visiter quelqu’un, lui a agité le bouquet sous le nez jusqu’à ce qu’il soit dépouillé de ses pétales et de la joie qu’il apportait» (p. 31).

«François était revenu trois jours plus tard, avec une pneumonie et le genre de facture de Bell dont tu te sors plus» (p. 50).

«Avec sa mallette au manuscrit d’une tonne et quart, et le sentiment difficile d’avoir joué à Tetris quarante-huit heures en ligne» (p. 54).

«La une du Vivier, avec un mois de retard et comme une pointe d’hystérie, montrait la plus grosse courgette jamais enregistrée dans le canton» (p. 65).

«Après une absence de plusieurs mois, il était revenu du bois un bon jour, avec son fusil et sa gibecière, des idées de recettes et un bout de papier fripé […]» (p. 68).

«Tard dans la nuit, le facteur clopinait, sur une route estompée par la fatigue et le crachin, vers l’enseigne de l’estaminet où il avait laissé sur l’heure du dîner son verre et sa jasette» (p. 72).

Christophe Bernard, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

P.-S.—L’Oreille tendue a cessé sa récolte de zeugmes à la centième page du roman.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Espèces de tata(s)

La reine Elizabeth II et le prince Philip, 2 juin 1953

Soit le mot tata, à considérer sous ses deux espèces.

Il peut être péjoratif. Le tata se tient sur les barreaux inférieurs de l’échelle de la bêtise. Pierre DesRuisseaux lui donne niais et benêt pour synonymes (Trésor des expressions populaires, p. 295).

Il peut aussi désigner une salutation de la main : «il y a Reilly et Ouellet qui font des tatas à l’arrière pour qu’on ne les oublie pas» (Athlétique, 20 septembre 2018).

Ce n’est pas tout à fait la même chose, même si on peut avoir l’air tata en faisant des tatas.

 

Référence

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Ange tutélaire hockeyistique

Photo de Maurice Richard, vestiaire du Rocket de Laval, 2018

Le Rocket de Laval est une équipe de hockey de la Ligue américaine, affiliée aux Canadiens de Montréal.

Une nouvelle image se trouve désormais dans le vestiaire de l’équipe : «Une touche que je voulais apporter, ce sont les yeux de Maurice, a dit Bouchard après la pratique des siens. C’est important pour moi que les yeux de Maurice soient sur nous autres en tout temps. Ils veillent sur nous autres et nous avons une responsabilité envers l’organisation» (cité dans le Journal de Montréal du 24 septembre).

Ce «Bouchard» est Joël Bouchard, l’entraîneur de l’équipe. Ce «Maurice» est Maurice «Le Rocket» Richard (1921-2000), le célèbre numéro 9 des Canadiens.

Voilà du matériel supplémentaire — ce n’est pas qu’il en manque — pour l’Oreille tendue, autrice d’une histoire culturelle du Rocket intitulée les Yeux de Maurice Richard.

P.-S.—Il y a actuellement des élections au Québec. Le candidat dans la circonscription montréalaise de… Maurice-Richard affiche fièrement son numéro.

Affiche électorale de Daniel St-Hilaire en joueur de hockey, 2018

 

Référence

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Aide-mémoire du jour

Portrait d’Émile Littré par Armand Vaché, c. 1875 - c. 1900

L’Oreille tendue, à ses heures, aime à se considérer comme un service public. Voilà pourquoi, à la demande générale (n=0), elle a regroupé un certain nombre de collocations utiles, sous forme de tableau, évidemment perfectible. Ne la remerciez pas.

P.-S.—Ce n’est pas la première fois, en effet, que l’Oreille s’intéresse à pareilles associations.

Illustration : portrait d’Émile Littré par Armand Vaché, c. 1875-c. 1900, Rijksmuseum, Amsterdam

accentsavoureux
violenteagression
ambiancefestive
arrêtspectaculaire
véritablearsenal
avioncloué au sol
bombardementen règle
budgetélectoraliste
muet comme unecarpe
chaleuraccablante
chuterlourdement
simplecitoyen
conceptdéjanté
résolumentcontemporain
vivecontroverse
crimemorbide
cynismeambiant
découvertemacabre
défaiteamère
déficitabyssal
dilemmecornélien
dilemmeshakespearien
frêleesquif
faunebigarrée
forcesvives
froidsibérien
profondehumanité
indifférencela plus grande
rareintensité
machinebien huilée
médailleraflée
résolumentmoderne
observateurperspicace
personnelaffable
pluiediluvienne
projetstructurant
rapportaccablant
rapportdévastateur
rapiderecherche sur Google
grandretour
retraitebien méritée
rirerabelaisien
scèneprise d’assaut
sévèremais juste
silenceoppressant
élan desolidarité
vague desolidarité
finstratège
francsuccès
systèmeà la con
derniertabou
témoinprivilégié
températureclémente
thébrûlant
tollégénéral
tomberlourdement
lourdtribut
vacancesbien méritées
véritécriante
victoireconvaincante
voixsuave
vueimprenable
vueà couper le souffle

L’étable lexicale

Bœuf, gravure de Jos. Scholz, 1829-1880, Rijksmuseum, Amsterdam

Les amateurs de hockey connaissent le joueur réputé pour sa taille et son poids : «Un autre bœuf de l’Ouest devient le premier choix de l’organisation» (le Journal de Montréal, 15 septembre 2018). Oui, c’est de la langue de puck.

Ceux de football savent que, dans certaines situations de course, il vaut mieux mettre «du bœuf» sur la ligne offensive. Peu importe sa provenance, semble-t-il : taille et poids suffisent.

Il y a ces bœufs sportifs. Il y a aussi les beus des forces de l’ordre : «On a eu une maudite armée de bœufs sur le dos et tout ce que je sais, c’est qu’on s’est retrouvés menottés, Lewis et moi, et jetés à l’arrière d’une voiture de police» (Hockey de rue, p. 71). Ce beu-là est donc un poulet.

Le beu peut aussi être automobile : «J’ai été impressionné par les montagnes Rocheuses et les interminables cols que la pauvre Coccinelle traversait de peine et de misère sur son petit “beu” […]» (les Yeux tristes de mon camion, p. 40). Explication d’Ephrem Desjardins : «Sur un véhicule à transmission automatique, vitesse la plus basse ou 1re vitesse» (Petit lexique […], p. 46).

Qui a une face de bœuf n’inspire guère la sympathie : «Nos récits, nos photos refouleront les seuils qu’il aura fallu passer, les étapes indistinctes, le piétinement, les battements du cœur, les faces de bœufs des fonctionnaires, le contact visuel avec des inconnus, les accès de découragement» (Montréal-Mirabel, p. 70-71).

Cette face de bœuf peut aussi bien être un air de bœuf : «Albertine arbore son air de beu habituel […]» (la Grande Mêlée, p. 816).

Au cours du débat électoral tenu à Montréal la semaine dernière, une citoyenne a posé une question d’un ton bourru. Elle n’a pas été convaincue par les réponses qu’on lui a données («Pas tellement») et elle n’a pas regretté son expression faciale.

«Face de boeuf», tweet de Les Perreaux, 14 septembre 2018

En revanche, de beu, pour caractériser la bravade, peut avoir valeur positive : «Au milieu de l’étonnement et de l’horreur qu’il a lus sur le visage du soldat, Édouard a cru deviner une espèce de respect, d’admiration peut-être, devant son front de beu, sa provocation. Son courage. Tenir tête, c’est le secret de tout ! Et la tenir haute !» (la Traversée du malheur, p. 1279)

Tant de bœufs, si peu de jours.

 

Illustration : gravure de Jos. Scholz, 1829-1880, Rijksmuseum, Amsterdam

 

Références

Bouchard, Serge, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p. Édition originale : 2016.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Huglo, Marie-Pascale, Montréal-Mirabel. Lignes de séparation. Récit, Montréal, Leméac, 2017, 152 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Skuy, David, Hockey de rue, Montréal, Hurtubise, 2012, 232 p. Traduction de Laurent Chabin. Édition originale : 2011.

Tremblay, Michel, la Grande Mêlée, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 659-836. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2011.

Tremblay, Michel, la Traversée du malheur, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1253-1389. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2015.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture