Theo sur le gril

Playing with Fire, Montréal, 2017, programme, couverture

L’Oreille tendue est sortie hier soir : elle est allée au Centaur Theatre, à Montréal, voir Playing with Fire. The Theo Fleury Story, une pièce sur Theoren Fleury — c’est du hockey — signée par Kirstie McLellan Day et mise en scène par Ron Jenkins. (Ce n’est pas la première fois que l’Oreille cause gouret et cothurne; voyez ici.)

On y raconte, dans l’ordre chronologique, la vie de ce joueur longtemps associé aux Flames de Calgary, sa carrière, puis sa découverte de l’alcool et de la drogue, ce qui a entraîné sa déchéance, jusqu’au bord du suicide, avant qu’il puisse voir la lumière au bout du tunnel. Il y a du pour : il a joué dans la Ligue nationale de hockey de 1988-1989 à 2002-2003, il a remporté la coupe Stanley en 1989, il a marqué 51 buts en 1990-1991, il a gagné la médaille d’or aux jeux Olympiques de 2002 à Salt Lake City avec l’équipe du Canada — tout cela à une époque où les petits joueurs (1,68 mètre, 82 kilos) n’avaient pas la cote auprès des équipes professionnelles nord-américaines. Il y a du contre : il a été activement impliqué dans une des pires bagarres de l’histoire du hockey junior international, en 1987, en Tchécoslovaquie, contre les Soviétiques; il a déjà frappé les mascotte des Sharks de San Jose; selon son propre témoignage, il aurait perdu plusieurs dizaines de millions de dollars (drogue, alcool, jeu, sexe). Et il y a un secret longtemps caché : adolescent, lui qui venait d’une famille dysfonctionnelle, il a été agressé sexuellement par un de ses entraîneurs, Graham James. Il lui a fallu des décennies pour le dire et essayer de s’en remettre.

Dans le rôle de Fleury, Shaun Smyth livre une éblouissante performance physique : sur patins, équipement de hockey sur le dos, il monologue pendant plus de deux heures (moins un entracte). On le voit patiner, lancer au filet, mettre et enlever ses gants ou son casque, foncer dans les bandes, fumer, répondre au téléphone, s’asseoir presque dans la salle pour raconter les agressions dont il a été la victime, passer d’un maillot à l’autre, selon l’équipe pour laquelle il joue (de Russell, Manitoba, à Chicago, en passant par Winnipeg, Moose Jaw, Salt Lake City, Calgary, Denver et New York).

Le décor ? Une petite patinoire, faite d’une matière synthétique, avec de la publicité sur les bandes, la même que dans le programme du théâtre qui accueille la pièce. De chaque côté de la patinoire, à l’extérieur, des tas de (fausse) neige et des lumières de but; à l’intérieur, deux filets et des rondelles, à quoi s’ajoute une malle, pour la deuxième partie du spectacle. En fond de scène, le banc des joueurs, dont les baies vitrées font office de miroir. Au-dessus, un écran plus large que haut, sur lequel défilent, souvent floues, des images : plans, photos, cartes de joueurs, films d’amateurs, extraits de matchs, vidéos musicales (par exemple, la chanson «Red Hot», interprétée par les joueurs des Flames de Calgary, en 1987, au profit d’une œuvre de bienfaisance).

Certains effets visuels sont particulièrement réussis : l’inscription du nom de Fleury en langage des signes sur l’écran surplombant la scène; une pluie de gants de hockey tombant des cintres pendant la bagarre en Tchécoslovaquie; une minisurfaceuse passant sur la patinoire durant l’entracte; un jeu, tout à fait simple, avec un bâton et un gant, pour révéler un des souhaits les plus profonds de Fleury (qu’un adulte prenne par la main l’enfant qu’il a été). Il est des effets qui se répondent : Fleury sniffe une ligne de cocaïne sur la barre transversale d’un but, puis sur le rebord de sa malle.

L’auteure et le metteur en scène sont sensibles au folklore du hockey. Avant le début du spectacle, sur un fond de bruits associés au hockey (patin sur la glace, rondelle frappée par un bâton), un quiz est proposé aux spectateurs, sur l’écran géant. Des questions portent sur l’histoire du hockey en général, d’autres sur le hockey à Montréal (l’émeute Maurice-Richard de 1955) ou à Calgary («Who is the Flames’ Mascot ?»). Le spectacle s’ouvre sur l’hymne national canadien, en version bilingue, interprété par une jeune femme portant le maillot de l’équipe de Calgary. La bande musicale est soignée, avec son lot de succès du siècle dernier («Eye of the Tiger», «Na Na Na Na Hey Hey Good Bye», «Hit me with your Best Shot», «We Are the Champions»), mais on y entend aussi la célèbre «The Hockey Song» (1972) de Stompin’ Tom Connors. Le contenu est calibré selon le public, du moins à Montréal : en 1989, les Flames y ont gagné la Coupe Stanley contre les Canadiens, «your guys», dit le hockeyeur-comédien parlant directement au public; les fantômes du Forum sont évoqués, de même que plusieurs joueurs de l’équipe, Maurice Richard, Jean Béliveau, Guy Lafleur, Guy Carbonneau. Les superstitions de Fleury (avant chaque match, mettre le genou sur la glace, ramasser des copeaux de glace et les lancer dans les airs, se signer) sont expliquées et montrées. La Coupe Stanley a droit à une présentation à part (et à des caresses).

Puis, à la fin, ça se gâte. Après la pluie de gants de la première partie, les faux flocons de la deuxième — hiver canadien oblige — paraissent bien convenus. Surtout, la fin du spectacle est moralisatrice, avec son message sur la nécessité de croire en soi-même pour se tirer de situations que l’on ne souhaite plus vivre. L’Oreille a alors eu l’impression d’assister à une publicité pour une agence vendant de la croissance personnelle. Le théâtre avait disparu.

C’est dommage, car le reste de Playing with Fire. The Theo Fleury Story valait mieux que cela.

P.-S.—La pièce est tirée de l’autobiographie publiée par Fleury en 2009. Elle a été créée en 2012 et elle tourne depuis.

Générons dans la bonne humeur

Moulinette à légumes, photographie, 2008

L’Oreille aime être tendue vers les besoins de ses bénéficiaires. Voilà pourquoi elle n’hésite jamais à leur proposer des générateurs de textes, car ceux-ci travaillent pour ceux-là.

Livraison du jour…

On aime les slogans creux ? On en trouve ici.

On manque d’insultes ? Le capitaine Haddock est .

On apprécie le style de Mathieu Bock-Côté ? On n’est pas seul.

On préfère celui de Denis Lévesque ? On a pensé à vous.

On veut devenir troll ? Rien de plus simple.

On veut lancer un commerce in English ? Voyez ce qui est disponible.

À votre service.

Illustration : «Moulinette Moulin Légume», 2008, photo déposée sur Wikimedia Commons

Actualité malheureuse du mononc’

Le 6 octobre 2015, l’Oreille tendue s’intéressait aux sens du mot mononc’ au Québec. Parmi ceux-ci :

Il y a aussi, chez les mononc’, le libidineux. On lui doit des jokes de mononc’. Le terme a beaucoup été utilisé pour parler de Marcel Aubut, ci-devant président du Comité olympique canadien, qui vient d’abandonner son poste à la suite de plaintes pour harcèlement sexuel.

L’actualité des derniers jours au Québec fait que l’on a beaucoup lu et entendu le mot en ce sens.

«Je l’ai vu pogner le cul d’un nouveau caméraman sur un plateau de télé en faisant des gestes qui, s’ils étaient ceux d’un mononcle sur une stagiaire, auraient donné lieu à une plainte» (la Presse+, 18 octobre 2017).

«Il y a des gens qui se demandaient à quoi ça pouvait bien servir que des victimes d’agresseurs sexuels, de tripoteux aux mains longues et autres mononcles gluants s’expriment sous le mot-clic #MoiAussi» (la Presse+, 19 octobre 2017).

«C’est fini la génération des “mononcles’’ cochons !» (TVA Nouvelles, 19 octobre 2017)

«Elles sont les porte-voix d’une révolution féministe en cours. Une lente révolution qui, tôt ou tard, mettra fin au règne des mononcles narcissiques libidineux qui abusent de leur pouvoir» (la Presse+, 20 octobre 2017).

Posons-nous la question : les expressions mononcle cochon et mononcle libidineux ne sont-elles pas en train de se transformer en pléonasmes ?

 

[Complément du 17 avril 2018]

Un député du Parti libéral du Québec est accusé d’inconduite sexuelle et de harcèlement psychologique. À l’Assemblée nationale, ce matin, Nathalie Roy, de la Coalition avenir Québec, traite ce député, Yves Saint-Denis, de «mononc’ macho». N’est-ce pas, une fois de plus, un pléonasme ?

Accouplements 99

Marivaux, la Dispute, édition de 1754, première page

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Pas plus tard que jeudi matin, l’Oreille tendue, dans le cadre de son cours sur le théâtre du XVIIIe siècle, proposait à ses étudiants un rapprochement entre la Dispute de Marivaux (1744) et la téléréalité.

Pour cela, elle s’appuyait sur un livre de Catherine Henri, De Marivaux et du Loft (2003). L’auteure y raconte une expérience d’enseignement, au lycée, en 2001-2002, durant laquelle elle a lu la pièce de Marivaux à la lumière de la téléréalité française Loft Story.

Le Devoir de samedi consacre un court texte à une téléréalité québécoise, Occupation double à Bali. Titre de l’article : «Retour des marivaudages sous le soleil.»

Ça ne s’invente pas.

 

[Complément du 23 septembre 2020]

La mise en scène de la Dispute par Laurent Leclerc en 2019 (Comédie Poitou Charentes) évoque elle aussi l’univers de la téléréalité.

 

Illustration : Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, le Theatre de Monsieur de Marivaux, de l’Academie française. Nouvelle édition, À Amsterdam et à Leipzig, Chez Arkstee & Merkus, 1754, image déposée sur Wikimedia Commons

 

Référence

Henri, Catherine, De Marivaux et du Loft. Petites leçons de littérature au lycée, Paris, P.O.L, 2003, 151 p.

Anniversaire sportif du jour

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, 1975, détail de la couverture

Tout le monde le sait : Guy Lafleur — c’est du hockey — est né un 20 septembre, en 1951.

L’Oreille tendue, une fan de longue date, a beaucoup écrit sur lui. Vous voulez savoir quoi ?

Quel était son statut au moment de son dernier match professionnel ?

Quelle est sa place dans la culture québécoise ?

A-t-il son timbre ?

Qu’est-ce qui le distingue de Maurice Richard et de Jean Béliveau ?

Est-il un gourou ?

A-t-on raconté sa vie aux enfants ?

Apparaît-il dans des bandes dessinées en français ?

Apparaît-il dans des bandes dessinées en anglais ?

Les poètes l’ont-ils chanté ? Oui : ici, , et encore là.

Un court métrage d’animation où il est considéré comme un fantôme, ça existe ?

A-t-il droit à son propre couloir aérien ?

Oscar Thiffault l’a-t-il chanté ?

Que lit-il ?

Surtout : est-il psychotronique ?

À votre service.

 

[Complément du 15 octobre 2020]

Toujours à votre service…

Ken Dryden aurait-il dû parler de lui plus qu’il ne l’a fait dans son livre sur Scotty Bowman ?

Apparaît-il dans le recueil de poèmes Poetry Face Off. Poésie des séries ?

Entend-on son nom dans le spectacle théâtral Playing with Fire. The Theo Fleury Story ?

 

[Complément du 24 avril 2022]

Guy Lafleur est mort le 22 avril. L’Oreille tendue a beaucoup commenté son importance, surtout médiatique et culturelle, dans la culture québécoise.

En écrivant un texte pour la Presse+.

En répondant aux questions de Simon Chabot pour le même journal, à celles de Jean-François Nadeau pour le Devoir et à celles d’Antoine Robitaille pour le Journal de Montréal et le Journal de Québec.

En répondant aux invitations de Radio-Canada, tant pour la radio (le 15-18) que pour la télévision (le Téléjournal 22 h).

En tournant une vidéo pour le Devoir.

 

 

[Complément du 25 avril 2022]

Il a aussi été question de Guy Lafleur et de sa place dans la culture populaire avec Jean-Christophe Laurence et avec André Duchesne, les deux de la Presse+.

 

[Complément du 28 avril 2022]

Pourquoi s’arrêter en aussi bon chemin ? Passons par la radio de Radio-Canada et par le 91,9 Sports.

 

[Complément du 5 mai 2022]

Encore un coup, à la télévision, pour répondre aux questions d’Anne-Marie Dussault.

 

Illustration : Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p. Bande dessinée. Premier et unique épisode des «Enquêtes de Berri et Demontigny». Texte : Arsène. Dessin : Girerd. Détail de la couverture.