Résolution du nouvel an

L’Oreille tendue ne prend pas de résolution du nouvel an, mais cela ne l’empêche pas d’en suggérer aux autres, par exemple aux dirigeants du secteur radio de la Société Radio-Canada. La voici : que l’on y étouffe dans l’œuf la pratique du tutoiement en ondes.

Pendant longtemps, le tutoiement a été absent de la langue radio-canadienne, à l’exception bien évidemment des dramatiques et, parfois, des émissions sportives (l’élégance des hockeyeurs devant les micros est inégalement répartie). Ce choix est parfaitement illustré les fins de semaine quand les Garneau, Richard et Stéphane, le père et le fils, se vouvoient en ondes, alors qu’on peut croire que ce n’est pas le cas le reste du temps. C’est la tradition à la SRC : la distance, la politesse — le vouvoiement.

Depuis quelque temps, ça se gâte. La semaine dernière, pipolisation oblige, Catherine Perrin et Isabelle Boulay n’avaient que le tu à la bouche, de même que Patrick Masbourian et un de ses collaborateurs. Le cas le plus extrême est celui de Dominique Poirier, dont le passage de la chaîne télévisée d’information continue RDI à la radio de la Première chaîne de Radio-Canada s’est accompagné d’une montée en flèche de la deuxième personne du singulier. À l’écouter, on a l’impression que son émission est enregistrée dans sa cuisine.

On s’étonne devant pareille transformation de la langue à la SRC. Sans être le sanctuaire de la correction linguistique que l’on imagine chez certains, c’était malgré tout un lieu où l’on était tenu à un certain nombre de règles, dont le refus de la familiarité. Contrairement au pompiste, à la caissière ou à quelques-uns des étudiants de l’Oreille, on savait, chez les annonceurs de Radio-Canada, qu’on ne tutoie pas tout le monde en tout temps. Cela est-il en train de changer ?

Il est vrai que l’on ne devrait peut-être plus s’étonner de rien d’une société d’État qui nous permet de tout savoir des érections de Paolo Noël.

Changement capital

Il y a quelques semaines, la Presse rapportait le souhait du maire de Québec, Régis Labeaume, de se défaire de l’étiquette Vieille Capitale pour parler de sa ville («Labeaume ne veut plus d’une “Vieille Capitale”», 12 novembre 2009, p. A6).

Dans son édition d’hier, le Devoir titre : «Québec compte se mesurer à Strasbourg, la capitale de Noël» (16 décembre 2009, p. A1).

On peut penser ce qu’on veut du caractère suranné de Vieille Capitale, l’expression paraît plus heureuse que «capitale de Noël» — et, en effet, «Au cabinet du maire de Québec, on dit ne pas tenir nécessairement à l’appellation “capitale de Noël”» (le Devoir, 16 décembre 2009, p. A8). (On appréciera le «nécessairement».)

Imaginons la scène, à la télé, en juillet : Allons rejoindre notre correspondante dans la capitale de Noël, où elle couvre pour nous le Festival d’été de Québec. Ce ne serait peut-être pas idéal.

 

[Complément du 20 janvier 2014]

Il y a plus neutre que «capitale de Noël» : «Québec, capitale de l’hiver» (la Presse+, 15 janvier 2014). Ça se discute néanmoins.

De Liège à Ajaccio

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de citer ce souvenir de Christian Vandendorpe :

L’orateur s’éclaircit la gorge et commença : «Les Québécois et les Québécoises, les Français et les Françaises, les Suisses et les Suissesses ainsi que les Belges ont en commun une langue…». Ma voisine gloussa : «Qu’est-ce que c’est que ce peuple qui n’est même pas fichu d’avoir les deux genres ?» (1995, p. 143)

Découvrant les exquises Notules dominicales de culture domestique de Philippe Didion, elle tombe sur ceci, où l’auteur parle d’une soirée électorale hexagonale à la radio et à la télévision :

j’aime les camemberts et les fourchettes, les estimations, les projections et les simulations, j’aime l’application politiquement correcte, c’est le cas de le dire, avec laquelle les candidats adressent leurs remerciements aux électrices et aux électeurs, aux Françaises et aux Français, aux Lorraines et aux Lorrains, aux Rhône-alpines et aux Rhône-alpins, aux Corses et aux Corses (2008, p. 106).

Belges et Belges, Corses et Corses, unissez-vous !

 

[Complément du 16 mai 2015]

C’est maintenant au tour des élèves et des élèves, chez Patrick Nicol, dans son Album qui vient de paraître, la Nageuse au milieu du lac :

L’objet de la réunion m’est enfin révélé : les personnes réunies ici, qui forment des techniciens et des techniciennes en inhalothérapie, tiennent à appuyer leurs étudiantes et leurs étudiants dans l’apprentissage ardu des matières de la formation générale dont elles reconnaissent par ailleurs la valeur et la nécessité, mais qui les laissent parfois, avouons-le, démunies devant leurs élèves et élèves […] (2015, p. 102).

 

Références

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

Nicol, Patrick, la Nageuse au milieu du lac. Album, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 85, 2015, 154 p.

Vandendorpe, Christian, «Du fondamentalisme linguistique ou de la tentation de rectifier la pensée par le langage», Discours social / Social Discourse, vol. 7, no 1-2, hiver-printemps 1995, p. 135-152.

Patrick Nicol, la Nageuse au milieu du lac. Album, 2015, couverture

Quatre mots pour le XXIe siècle

Jusqu’à tout récemment, trois mots (en «c») semblaient bien résumer, pour l’Oreille tendue, le début du XXIe siècle.

Commémoration. L’année dernière, c’était celle des Canadiens de Montréal. Vendredi dernier, celle du 11 septembre 2001. Hier, celle de la bataille des plaines d’Abraham à Québec. La semaine prochaine, ce sera autre chose.

Conspiration. Voilà qui obsède les créateurs : nous vivons à l’ère du complot. Lire The Da Vinci Code de Dan Brown, Checkpoint de Nicholson Baker, le Projet Syracuse. Vie et mort de Wolf Habermann (1895 ? – 1979 ?), mathématicien, philologue, amateur de baseball et soi-disant conspirateur de Georges Desmeules, les romans d’Henning Mankell ou la trilogie Millénium de Stieg Larsson. Essayer de suivre la série télévisée 24.

Communauté. Qu’est-ce que le Web 2.0 — Facebook, Twitter, Flickr, YouTube —, sinon la création de communautés ? Quelle est la valeur récurrente des discours de Barack Obama ?

L’Oreille se rend compte qu’il lui manquait un mot : génération C. De quoi s’agit-il ? «La “génération C”, c’est celle du million et demi de Québécois nés entre 1982 et 1996, ces jeunes qui ont grandi avec les micro-ordinateurs et Internet et qui s’en servent pour communiquer, collaborer et créer comme jamais auparavant dans l’histoire», explique le site du colloque qui porte le nom de cette nouvelle génération. En faites-vous partie ? Réponse ici.

 

[Complément du 26 décembre 2015]

Sur le complot et la complicité, on écoutera le Monde selon Antoine Perraud, sur France Culture, livraison du 4 octobre 2015.

L’art d’être belle-mère

Il existe dorénavant, dans le personnel politique québécois, une nouvelle espèce : la belle-mère.

La belle-mère est un ancien membre du gouvernement qui aime bien / trop se mêler des affaires de ses successeurs et ne pas leur épargner ses conseils.

Elle est surtout audible au Parti québécois, du moins pour l’instant, mais on peut se demander si l’étiquette ne pourrait pas aussi coller à quelques représentants fédéraux.

Principales belles-mères de l’heure : les anciens premiers ministres Jacques Parizeau et Bernard Landry.

L’emploi est péjoratif : traiter quelqu’un de belle-mère ne doit pas être interprété, la plupart du temps, comme une marque d’affection.

Une exception, néanmoins, dans le Devoir du 20 juillet, sous la rubrique «Libre opinion» : une lettre ouverte d’André Ségal, «Amenez-en des belles-mères !», dans laquelle on peut lire «C’est pourquoi nous avons besoin de toutes les “belles-mères” qui veulent bien parler» (p. A6). Suit une liste de onze noms de belles-mères potentielles.

Cette exception confirme la règle.

 

[Complément du 19 mars 2012]

Extension du domaine de la belle-mère, du PQ au Nouveau parti démocratique du Canada : «Ainsi donc, Ed Broadbent, ancien chef du NPD de 1975 à 1989, décrit comme la “conscience” du parti de gauche, s’est déguisé en Bernard Landry pour jouer à la belle-mère» (la Presse, 17 mars 2012, p. A12).

 

[Complément du 2 octobre 2015]

Il existe aussi des belles-mères dans le domaine culturel. À l’émission de télévision les Francs-tireurs, l’ancien animateur de l’émission de radio matinale de Radio-Canada, René Homier-Roy, critiquait cette semaine celle qui l’a remplacé un temps, Marie-France Bazzo. Réaction de l’intéressée :

 

[Complément du 8 novembre 2017]

On craindrait sa variante municipale :

 

[Complément du 22 novembre 2017]

Existerait en version hockeyistique :

Serge Savard, belle-mère de Marc Bergevin ?

(Via @OursMathieu.)

 

[Complément du 26 janvier 2018]

Dans le Journal de Montréal du 23 janvier, Karina Marceau propose une étymologie de belle-mère : «Michel C. Auger m’a rappelé que c’est le libéral Claude Ryan qui avait utilisé la première fois cette expression en 1981 alors que Robert Bourassa voulait faire un retour en politique lors d’une élection partielle.»

 

[Complément du 9 septembre 2019]

L’ancienne première ministre du Québec Pauline Marois souhaite participer au débat sur la langue au Québec. Commentaire d’un éditorialiste du quotidien montréalais la Presse+ : «C’est une façon de continuer de servir l’État, même après avoir cessé de le diriger. Bref, d’être utile en tant que “belle-mère” — ou “beau-père”, comme elle le dit en renversant la formule sexiste. Heureusement, les anciens premiers ministres peuvent servir à autre chose qu’à alimenter les chicanes du jour.»