Langue de balle. Sixième manche

Ozzie Smith préparant un double jeu

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Sixième texte d’une série.)

Les lanceurs et les frappeurs s’affrontent, certes, mais ils ne sont pas seuls sur le losange et au champ extérieur; des joueurs en défensive sont là, à attendre le moment d’intervenir.

Les voltigeurs patrouillent le champ extérieur. Ils sont trois, à gauche, au centre et à droite. En français populaire du Québec, on dira volontiers qu’on joue à la vache pour désigner cette partie du terrain, située entre la clôture, elle-même annoncée par une piste d’avertissement, et le champ intérieur ou avant-champ.

Les voltigeurs de centre ont souvent beaucoup de terrain à couvrir; voilà pourquoi ce sont des marchands de vitesse. Pour des raisons assez peu claires, c’est au champ gauche que naîtraient les idées les plus inattendues. Pendant longtemps — l’Oreille tendue n’est pas allée vérifier récemment —, les voltigeurs de droite avaient assez mauvaise réputation; ce n’était pas toujours les meilleurs éléments en défensive de l’équipe.

Qu’attend-on de ces joueurs ? Qu’ils jugent bien les balles, qu’ils fassent de bons relais — ce qui exige d’avoir un bon bras —, qu’ils ne ratent pas l’intercepteur (quand il y a des coureurs sur les sentiers), qu’il coupent le coureur sur un but ou au marbre (ce qui n’est pas très fréquent). On félicitera un joueur qui plonge pour attraper une balle basse pour son vol au sol. Les attrapés ou catchs les plus difficiles sont ceux que l’on fait dos au marbre.

À l’avant-champ, on trouve de gauche à droite, du point du vue du frappeur, le troisième but, l’arrêt-court, le deuxième but et le premier but. Au Québec, le but peut-être un coussin; en France, une base. On appelle parfois l’arrêt-court, au Québec, l’inter; on peut même, à l’occasion, le dire diminutif. Sur l’échelle de la valeur défensive, le joueur de premier but est l’équivalent du voltigeur de droite : indispensable, mais ce ne sont pas toujours les meilleurs athlètes. (Il a été question du receveur .)

Les doubles jeux sont l’ami des lanceurs : faire d’une pierre deux retraits. Certains sont automatiques; d’autres demandent plus d’efforts pour réussir à bien les tourner. Meilleur encore, mais beaucoup plus rare, il y a le triple jeu : le triple retrait vaut bien sûr mieux que le double. Dans le doute, il est plus sûr de s’abstenir : un retrait sûr, sur un choix de l’intérieur, c’est un retrait; ce n’est pas à dédaigner.

Dans la mesure du possible, les joueurs en défensive devraient éviter de jongler avec la balle ou de l’attraper du bout du gant; cela pourrait donner des sueurs froides à leur entraîneur, voire mener à une erreur. Ils sont appelés à capter des ballons, des chandelles ou des flèches, mais aussi à intercepter, saisir ou gober des roulants, ces balles que l’abbé Étienne Blanchard a suggéré de nommer des lapins et la Société du parler français, des coups rasants. Sur leur revers, c’est un peu plus compliqué, surtout si la balle fait un bond capricieux ou si elle a des yeux. Ils doivent réagir rapidement, que la balle soit en jeu ou dans le territoire des fausses balles. Si, par extraordinaire, ils volent un coup sûr, un double, un triple ou un circuit, on les louange (à juste titre). Les joueurs retirés par leurs bons offices constituent des retraits; on Québec, on les dit morts. Chaque année, les meilleurs joueurs défensifs reçoivent un gant doré.

Les stratégies varient selon le nombre de coureurs et leur position. On ne joue pas de la même façon avec des coureurs aux extrémités (le premier et le troisième but), les buts remplis, les sentiers déserts, etc. Les entraîneurs conservateurs jouent le livre; ils fondent leurs décisions sur la tradition que ce livre (imaginaire) contiendrait.

De la même façon qu’il y des civilisations de l’oral, il y a des sports du livre.

 

Illustration : Ozzie Smith préparant un double jeu

Autopromotion 723

«Blason ou art héraldique», deuxième volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1763, planche XV

La 577e livraison de XVIIIe siècle, la bibliographie de l’Oreille tendue, est servie.

La bibliographie existe depuis le 16 mai 1992. Elle compte 68 149 titres.

Illustration : «Blason ou art héraldique», deuxième volume des planches de l’Encyclopédie, Paris, 1763, planche XV

Langue de balle. Cinquième manche

Bill Lee, The Wrong Stuff, 1984, couverture

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Cinquième texte d’une série.)

«Seul le lanceur sait.»
Serge Bouchard, Quinze lieux communs

Dans son livre De l’utilité de l’ennui. Textes de balle (voir le compte rendu de l’Oreille tendue ), Andrew Forbes accorde un rôle central aux lanceurs. Il leur consacre un chapitre complet, «Vriller dans l’espace», où l’on trouve des phrases comme celles-ci : «Les lanceurs sont des êtres spéciaux»; «Ils sont des superhéros […].» Or la batterie est composée d’un lanceur et d’un receveur, le second envoyant des signaux au premier. À ce titre, et pas seulement, le receveur joue un rôle crucial dans le déroulement du match et on ne devrait jamais l’oublier. Ancienne receveuse, l’Oreille sait de quoi elle parle.

Il y a différents types de lanceurs. Certains sont droitiers, d’autres gauchers (une patte gauche, un southpaw). Des élans sont compacts; d’autres, pas. (Motion est aussi attesté, sous l’influence de l’anglais.) On peut lancer par-dessus l’épaule ou de trois-quart. Le partant fait partie de la rotation : il a des départs de façon régulière. (On ne confondra pas la rotation des lanceurs avec la rotation de la balle ni avec la coiffe du rotateur.) Le releveur, en longue relève comme en courte relève, s’amène au monticule quand ses services sont requis. La longue relève est ingrate : sauf quand il s’agit de remplacer un artilleur blessé, on ne quitte souvent l’enclos des releveurs que dans une cause perdue, le partant ayant failli à la tâche. La courte relève est exigeante et excitante : le pompier ou closer est appelé à fermer les livres, à protéger ou à sauvegarder le match. Cela ouvre plusieurs possibilités : qui sera le lanceur de décision ? On lance de moins en moins de match complet.

Dans son arsenal, son répertoire de tirs, le lanceur a intérêt à en maîtriser plus d’un, surtout s’ils sont décevants : la rapide, la courbe, la courbe lente, la glissante, la tombante, la papillon, la balle fronde, la balle fourchette, le changement de vitesse, etc. Certains tirs trompent plus facilement les frappeurs que d’autres : la sous-marine, la balle lente ou la balloune (salutations à Pascual Perez). Une balle qui a de l’effet est réputée avoir de la zoune. Parmi les qualités d’un lanceur, il y a le bon bras, le contrôle (qui est une forme de visou), le mordant et la vélocité (rien de tel qu’une balle de feu ou une garnotte). À une époque, on pratiquait parfois la balle mouillée; ce n’était pas bien. Étienne Blanchard proposait d’appeler cette balle un crachat; il n’a pas été entendu.

Qu’attend-on du lanceur ? Qu’il connaisse bien la zone des prises (malheureusement, tous les arbitres n’ont pas la même). Qu’il défie les frappeurs — il peut même les mystifier avec ses offrandes — quitte à lancer à l’intérieur et à les repousser s’ils se placent trop près du marbre. Qu’il les envoie à la pêche. Qu’il vise les coins ou, carrément, qu’il lance à l’extérieur si la situation l’exige. Qu’il évite les buts sur balle, sauf s’ils sont intentionnels; dans certains cas, il vaut mieux, en effet, lancer autour d’un frappeur plutôt qu’en plein cœur du marbre. Qu’ils passent dans la mitaine le plus grand nombre possible de frappeurs; le retrait sur des prises simplifie la vie de tout le monde en défensive. Qu’il garde les sentiers déserts en affrontant le minimum de frappeurs. Qu’il force ses adversaires à se compromettre. Qu’il soigne sa moyenne de points mérités — qu’il la garde basse. Qu’il ait un bon geste avec des coureurs sur les sentiers.

Que doit-il éviter ? Il ne faut pas qu’il soit irrégulier; sinon, on ne sait jamais à quoi s’attendre. Les balles ne doivent pas être frappées solidement contre lui. Laisser une balle suspendue au dessus du marbre, c’est toujours une mauvaise idée. Un point a beau être non mérité, ce n’en est pas moins un point contre sa propre équipe. S’il est en retard dans le compte — s’il a donné plus de balles que de prises à un frappeur —, cela favorise son adversaire, qui peut se permettre d’être patient au bâton. Un mauvais lancer peut faire avancer les coureurs; c’est dangereux. (Quand c’est le receveur qui merde, on parle de balle passée.)

Le moment de gloire du lanceur est de trois ordres. Dans un blanchissage ou jeu blanc, son adversaire rentre bredouille au banc, dans l’abri des joueurs. S’il lance un match sans point ni coup sûr, il aura muselé l’autre équipe, mais il peut néanmoins lui avoir permis d’avoir des coureurs sur les sentiers. Le match parfait — fait de manches parfaites — est le summum de la réussite : personne n’aura même atteint le premier but. Pour le dire avec la mère de l’Oreille tendue, cela est rare comme de la marde de pape.

 

Illustration : couverture du livre de Bill Lee, un analyste subtil du travail des lanceurs, The Wrong Stuff (1984)

 

Références

Arcand, Bernard et Serge Bouchard, Quinze lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1993, 212 p.

Forbes, Andrew, De l’utilité de l’ennui. Textes de balle, Montréal, Éditions de Ta Mère, 2017, 196 p. Édition originale : 2016. Traduction de Daniel Grenier et William S. Messier. Édition numérique.

Lee, Bill, with Richard Lally, The Wrong Stuff, New York, Viking Press, 1984, 242 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Planter est piner

Claude Raymond, Frenchie, 2022, couverture

Avant de devenir joueur de baseball professionnel, puis commentateur dans les médias, le Québécois Claude Raymond, «vers 10 ou 12 ans», a été «planteur au bowling».

Le boulot du planteur consistait à replacer manuellement les quilles après chaque carreau. Les salons de quilles engageaient souvent des jeunes parce qu’il fallait être agile : sauter dans le puits, replacer les quilles puis sortir rapidement du puits avant que la prochaine boule soit lancée (chapitre «Le petit joueur de balle de Saint-Jean», Frenchie).

Dans sa jeunesse — c’était il y a plusieurs lustres —, l’Oreille tendue a aussi croisé des pineurs. Ils ne faisaient pas autre chose que Claude Raymond.

P.-S.—On ne confondra pas, bien sûr, le verbe piner avec le verbe piner.

 

Référence

Raymond, Claude, avec Marc Robitaille, Frenchie. L’histoire de Claude Raymond. Récit biographique, Montréal, Hurtubise, 2022. Ill. Préface d’Yvan Dubois. Édition numérique.