Surtout pas local

L’Université de Montréal offre des bourses à l’international

Qui veut se distinguer recourt à l’adjectif international. C’est banal, et depuis longtemps. Les exemples abondent

«Montréal, destination de calibre international ?» (la Presse, 23 mars 2005, cahier Actuel, p. 4)

«Les aliments d’ici au menu international» (la Presse, 23 juin 2012, p. A1).

«Faire du Québec un pôle international» (le Devoir, 21-22 mars 2015, p. J6).

«Cyclotourisme. Un circuit de calibre international au Québec» (la Presse, 17 août 2011, p. A7).

«Un début de mandat à saveur internationale» (la Presse+, 3 novembre 2015).

Il y avait donc international. Il y a aussi, et beaucoup, et de plus en plus, à l’international.

L’ami Yvan Leclerc, sur son blogue Son mot à dire, l’a bien vu, le 6 février, au moment de la mort de Pierre Sineux, le président de l’Université de Caen. Il déplore la langue de certain éloge funèbre : «Les abstracteurs de langue sont passés par là : les étudiants ont été dématérialisés en ressource estudiantine et le monde que l’on croyait à peu près rond s’est aplati à l’international

Ce à l’international touchait la langue des affaires.

«Poursuivre l’offensive à l’international» (la Presse+, 10 mai 2016).

«Investir à l’international grâce à Québec inc. ?» (la Presse, 1er octobre 2011, cahier Affaires, p. 6).

Il est maintenant courant à l’université, d’où l’appel à contribution que viennent de lancer les Recherches croisées Elsa Triolet/Aragon pour leur seizième livraison : «Aragon à l’international».

On n’arrête pas le progrès.

Anniversaire du jour

Photo de Plume Latraverse, 14 juin 2012

Plume Latraverse — bref : Plume — a 70 ans aujourd’hui.

Pour l’occasion, la radio de Radio-Canada relance sa série de quatre émissions «D’un Plume à l’autre» (2012).

L’Oreille tendue en profite pour rappeler…

…qu’une des pochettes de disque de Plume comporte un des usages les plus inattendus de la conjonction mais.

…qu’il aime sacrer.

…qu’il pratique l’allitération.

…qu’il ne recule pas devant une rime en -ounes.

…qu’il communie à l’autel du zeugme (ici, , ailleurs).

…qu’il tourne (tournait ?) à FIP.

…qu’il est doué pour la scène.

…qu’il patine.

 

Illustration : Douzeonze, photo de Plume Latraverse, 14 juin 2012, déposée sur Wikimedia Commons

Écho du jour

Éric Dupont, la Fiancée américaine, 2015, couverture

L’Oreille tendue lit ces jours-ci la Fiancée américaine (2012), un des romans d’Éric Dupont.

Elle y trouve la phrase suivante : «Le dimanche au matin, [les Lamontagne] occupaient le banc numéro quatre de l’église Saint-François Xavier, à une dizaine de mètres du lieu où l’Américaine avait donné naissance à Louis en mourant» (p. 147).

Ce «Le dimanche au matin» — pas «Le dimanche matin» — évoque pour l’Oreille ses parents et grands-parents, qui marqu(ai)ent par là, comme le fait Dupont, une double récurrence — du jour et du moment de la journée.

S’agit-il d’un usage québécois ? L’Oreille ne saurait l’affirmer, même si elle en a l’impression.

 

Référence

Dupont, Éric, la Fiancée américaine. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2015, 877 p. Édition originale : 2012.

De fils en père, au hockey

David McNeil, In the Pressure of the Moment, 2016, couverture

Vous vous appelez David McNeil. Gerry McNeil (1926-2004), votre père, a été gardien de but pour les Canadiens de Montréal — c’est du hockey. Vous êtes professeur de lettres et vous vous intéressez à la littérature sportive et à l’évolution du hockey. Vous publiez In the Pressure of the Moment. Remembering Gerry McNeil. Quel genre de livre allez-vous écrire ?

C’est une biographie sportive de Gerry McNeil : ses débuts au hockey dans sa ville natale, Québec; l’occasion offerte par la Deuxième Guerre mondiale de passer professionnel; les années dans la Ligue de hockey sénior du Québec avec les Royals, puis plus tard dans la Ligue américaine; la (brève) carrière montréalaise (essentiellement de 1950-1951 à 1953-1954), après Bill Durnan et avant Jacques Plante. Cela suppose le récit de matchs importants, appuyé par des souvenirs et une utilisation constante des sources journalistiques (articles, photographies, films), et une évaluation globale : «The small guy always played big when something was on the line» (p. 212; Le petit gardien jouait toujours de gros matchs quand l’enjeu était important). Une question est récurrente : Gerry McNeil a-t-il pris une retraite prématurée à cause de la pression nerveuse ? Cela a sûrement guidé en bonne partie sa décision (p. 208), mais il n’était pas le seul dans cette situation, comme l’atteste l’histoire personnelle de Bill Durnan, de Terry Sawchuck ou de Glenn Hall (p. 207).

Sauf dans le dernier chapitre, «The Hockey Sweater», In the Pressure of the Moment est d’abord et avant tout une biographie sportive; les autres éléments de la vie de Gerry McNeil ne sont pas le centre d’intérêt principal du livre. Cela étant, un fils parlant de son père ne peut pas ne pas se mettre en scène. David McNeil le fait sans insistance, dans le texte comme dans l’iconographie, utilisant ses souvenirs, mais aussi la mémoire familiale.

Au-delà du cas de Gerry McNeil, l’ouvrage propose une réflexion sur les discours entourant le hockey. David McNeil est particulièrement sensible à la photographie et c’est une des forces de son travail que de montrer son rôle dans la constitution des imaginaires sportifs (de la boxe et du hockey, surtout). Il aborde aussi la littérature sur le hockey (p. 232-242), bien que son père y ait été assez peu représenté (p. 218-220). Il est encore question de la télévision et de la radio. Dans le premier cas, il aurait probablement été utile de comparer la pénétration de la télévision selon les provinces canadiennes; en 1956, quatre ans après son introduction au pays, près des deux tiers des ménages québécois (64,2 %) auraient possédé la télévision, selon Yvan Lamonde et Pierre-François Hébert (1981, p. 65), ce qui suppose une importance peut-être plus grande qu’on ne le pense habituellement du spectacle hockeyistique télévisuel. L’importance de la radio, elle, ne doit jamais être sous-estimée. Ken Dryden l’avait parfaitement saisi en 2000, quand il parlait des années 1940 et 1950 et de l’image de Maurice Richard :

And this was an easier time to be a hero. This was before TV. Very few people ever actually saw Richard play. […] Radio was perfect for heroes. Radio was live. Radio games offered an unknowable result. Radio meant lying in the darkness and, to the words of an excited storyteller, painting pictures of everything you heard. It meant using your own imagination. There has never been a bad game played on radio.

(C’était plus facile alors d’être un héros. C’était avant la télé. Très peu de gens ont vraiment vu jouer Richard. […] La radio était parfaite pour les héros. La radio, c’était en direct. La radio, c’était des matchs imprévisibles. La radio, ça voulait dire être étendu dans le noir et, grâce aux mots d’un conteur ardent, peindre des images de ce que vous entendiez. Ça voulait dire vous servir de votre imagination. On n’a jamais joué un mauvais match à la radio.)

Avec la transformation de la couverture médiatique, c’est le rapport au temps et à la mémoire qui change chez les spectateurs : «In the day of the newsreel, the pressure of the moment could last a week» (p. 188; Au temps des actualités filmée, la pression du moment pouvait durer une semaine).

David McNeil livre enfin plusieurs réflexions sur l’évolution du hockey, à la fois comme sport (la disparition des matchs nuls, l’apparition de la reprise vidéo) et comme spectacle, souvent sur le mode de la nostalgie. Cet amateur respecte le caractère sacré du hockey («sacredness», p. 104), sa noblesse («nobility», p. 104). Dès lors, il accepte avec difficulté ce qu’est devenue l’expérience du spectateur dans les arénas modernes : les sources de distraction ne cessent de s’y multiplier, au détriment du match. (Ce n’est pas l’Oreille tendue qui va le contredire, elle qui a avancé, en 2014, «Seize mesures pour réformer le hockey et sa culture».)

Magnifiquement illustré, In the Pressure of the Moment fait découvrir une carrière, celle de Gerry McNeil, et la contextualise, tant sur les plans sportif qu’imaginaire. Son contenu est étonnant, qui mêle analyse socioculturelle, réflexions sur l’histoire et la culture du hockey, anecdotes familiales, personnelles et sportives, biographie sportive et histoire personnelle. On y apprend des masses de choses. Le fils a bien honoré la mémoire du père.

P.-S. — C’est trop rare pour ne pas être signalé : l’index de cet ouvrage ravira les lecteurs les plus maniaques.

P.-P.-S. — Ce n’est pas la première fois que l’Oreille parle de ce livre. Voir ici et .

 

Références

Dryden, Ken, «Farewell to The Rocket», Time, 155, 24, 12 juin 2000, p. 40-44. Texte traduit par Gilles Blanchard sous le titre «Il est arrivé à nous rendre fiers», la Presse, 7 juin 2000, p. S6.

Lamonde, Yvan et Pierre-François Hébert, le Cinéma au Québec. Essai de statistique historique (1896 à nos jours), Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1981, 478 p.

Melançon, Benoît, «Seize mesures pour réformer le hockey et sa culture», Nouveau projet, 05, printemps-été 2014, p. 133-137. https://doi.org/1866/28747

McNeil, David, In the Pressure of the Moment. Remembering Gerry McNeil, Vancouver, Midtown Press, 2016, 285 p. Ill.

Description peu flatteuse du jour

Éric Dupont, la Fiancée américaine, 2015, couverture

«Pas assez fous pour mettre le feu, mais pas assez fins pour l’éteindre !»

Éric Dupont, la Fiancée américaine. Roman , Montréal, Marchand de feuilles, 2015, 877 p., p. 146. Édition originale : 2012.

P.-S. — S’agissant du sens du mot innocent au Québec, l’Oreille tendue avait évoqué la prédilection de sa mère pour cette phrase.

 

[Complément du 27 mai 2016]

Autre occurrence, avec précision géographique et évaluation linguistique, chez le même auteur : «Pas assez fous pour mettre le feu, mais pas assez fins pour l’éteindre, c’est ce qu’ils disaient de ses oncles à Rivière-du-Loup. Avouez que c’est coloré comme langage» (p. 846).

 

[Complément du 11 décembre 2018]

Troisième occurrence, montréalaise celle-là, dans la pièce Nos ghettos (2018) :

Ici, on ne va pas casser une vitrine
sous prétexte qu’on embourgeoise le quartier
Personne n’est assez fou pour mettre le feu
ni assez fin pour l’éteindre (p. 47)

J-F Nadeau, Nos ghettos. Avec des chansons de Stéfan Boucher, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 17, 2018, 107 p. Ill. Suivi de «Contrepoint. De l’écume et des commerces ethniques» par Marie-Sophie Banville.

 

[Complément du 26 septembre 2021]

Variation simenonienne : «Écoutez, monsieur le commissaire, je ne suis pas très intelligente, mais je ne suis pas tellement bête.»

Simenon, Georges, l’Amie de madame Maigret, Paris, Presses Pocket, coll. «Presses Pocket», 1066, 1974, 187 p., p. 116. Édition originale : 1952.