Autarcie

Berthelot Brunet, Histoire de la littérature canadienne-française, 1946, couverture

«Berthelot Brunet (1901-…), un polygraphe dont on remarqua surtout les critiques humoristiques et les charges, a publié, après un recueil de notes et de pensées religieuses et politiques, Chacun sa vie, un recueil de contes que ses confrères ont assez bien accueilli, le Mariage blanc d’Armandine et le premier tome d’un grand roman, les Hypocrites, dont les uns ont dit qu’il leur rappelait Céline et d’autres qu’il n’avait de hardiesse que parce qu’il était écrit au Canada» (Berthelot Brunet, Histoire de la littérature canadienne-française, p. 177).

On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

 

[Complément du 21 mars 2016]

Dans la réédition de l’ouvrage, en 1970, on lit «Berthelot Brunet (1901-1948)», la date finale, manquante en 1946, ayant été ajoutée. On n’est jamais si bien servi que par soi-même, même dans la mort.

 

Références

Brunet, Berthelot, Histoire de la littérature canadienne-française, Montréal, L’Arbre, 1946, 186 p.

Brunet, Berthelot, Histoire de la littérature canadienne-française suivie de portraits d’écrivains, Montréal, HMH, coll. «Reconnaissances», 1970, 332 p. Avant-propos d’André Major.

Berthelot Brunet, Histoire de la littérature canadienne-française, 1946, dédicace

Les familles d’Erika Soucy

Erika Soucy, les Murailles, 2016, couverture

Il est beaucoup question de famille(s) dans les Murailles d’Erika Soucy (2016). Parlons-en familialement.

Fille. La narratrice, Erika Soucy, part quelques jours au campement des Murailles, près du chantier hydroélectrique Romaine-2, dans le nord du Québec, avec comme seule lecture un recueil de Denis Vanier. Elle va y retrouver son père, Mario, histoire d’essayer de comprendre pourquoi celui-ci a passé une partie de sa vie dans ce genre de lieu, éloigné volontairement de sa famille. Ils ont eu des relations difficiles : «Je pouvais pas laisser mon père comme on laisse son mari. J’ai pourtant essayé» (p. 143).

Père. Pourquoi Mario a-t-il choisi ce genre de vie contre la «vie d’en bas» (p. 137) ? Erika Soucy finit par le comprendre. Il a cherché hors du monde familial un «genre de quiétude, une facilité» (p. 148), une vie «commode, confortable même» (p. 149) — une mise à distance de la responsabilité.

Mère. Elle a longtemps toléré les absences et les frasques de Mario (drogue, alcool), puis plus. On n’en saura guère plus, sinon qu’il y a des choses que ses enfants, même adultes, doivent lui cacher : «Faut pas le dire à m’man ! Faut pas le dire à m’man !» (p. 132)

Frère. Homme des bois, il peut parler plus facilement à sa sœur qu’à son père.

Mari. Erika Soucy est poète. Or ce qu’elle donne à lire, ce ne sont pas des poèmes, mais un «journal» (p. 72), un «carnet» (p. 148) : «Tout te raconter dans mon carnet me permet de mettre des mots sur ce que ma poésie peut pas transmettre» (p. 78). Cela est adressé à un «tu», son mari, resté à Québec.

Enfant. Ce mari (ce «chum») s’occupe de leur fils d’un an, pendant que la narratrice est partie. Elle regrette de ne pas être là pour le premier anniversaire de son «gars», mimant ainsi en quelque sorte l’absence de son propre père.

Demi-sœur. À un moment, Mario a eu brièvement une nouvelle compagne, de l’âge d’Erika. Ensemble, ils ont eu une fille. «Il est devenu père et grand-père en dedans de huit mois, comme ça arrivait dans le temps, avec les familles nombreuses» (p. 50).

Grand-père. Lui aussi était homme de chantier : l’oncle Gérard, aussi présent aux Murailles, «enchaîne avec une histoire sur mon grand-père comme ça arrive tout le temps dans la famille quand on parle de construction» (p. 102). Ce grand-père aurait couché avec Alys Robi et il aurait été l’ami du Grand Antonio, l’homme qui tirait des autobus «avec ses cheveux» (p. 103-104).

Ancêtres (I). Le racisme envers les Amérindiens est fréquemment évoqué dans le «roman» (le mot est en couverture). La phrase «Y a pas d’ancêtres icitte» (p. 95) leur est destinée, mais on peut l’entendre plus généralement : le chantier est un lieu hors du temps et, par là, d’une certaine façon, hors de la filiation assumée.

Ancêtres (II). Racisme ou pas, parmi les aïeux d’Erika et de son frère, «de l’innu, on en a des deux bords» (p. 136), du côté maternel comme du paternel.

Beau-père. Il n’y a pas que le famille d’Erika Soucy dans les Murailles. Un des ouvriers du chantier aurait été — le conditionnel est de mise — le gendre de Jacques Brault. Le récit d’une beuverie chez ce poète (p. 57-58), avec Pauline Julien et Roland Giguère, est hautement comique (et improbable).

Langue maternelle. La langue d’Erika Soucy est fortement oralisée, pleine d’anglicismes et de régionalismes (l’adverbe «astheure», l’adjectif «chouenneux», le substantif «fait-ben», le groupe verbal «faire la job»), nourrie de jurons (dont un «criff», forme plus rare que d’autres). Dans sa famille, on parle le français québécois.

P.-S. — L’auteure a beau pratiquer une langue verte, elle sait que la locution conjonctive après que commande l’indicatif, non le subjonctif (p. 54, p. 136). On a des lettres ou on n’en a pas.

 

Référence

Soucy, Erika, les Murailles, Montréal, VLB éditeur, 2016, 150 p.

Accouplements 46

Marquis de Bièvre, Calembours et autres jeux sur les mots d’esprit, éd. 2000, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Le marquis de Bièvre connut brièvement la gloire au XVIIIe siècle pour son art du calembour. Exemple, tiré des Bièvriana éditées par Antoine de Baecque en 2000 :

Il avait fait planter six ifs dans un bosquet de son jardin, pour y faire prendre le café aux dames qui dînaient chez lui. Là, il leur disait : Mesdames, entendez-le comme vous voudrez, mais voici l’endroit décisif (des six ifs) (p. 127).

Dans la livraison du 13 mars 2016 de l’émission Des Papous dans la tête de France Culture («Les Papous fêtent la francophonie»), un roman interactif a été présenté. Extrait du chapitre rédigé par Lucas Fournier :

— Capitaine, capitaine, nous voici à l’endroit décisif.
— Décisif ? Mais qu’est-ce que vous me chantez là, Marius ? Je vois qu’un If, le nôtre, le château d’If.
— Décisif, parce que nous somme en panne d’essence, insiste Marius.

P.-S. — C’est notamment du marquis de Bièvre que s’est inspiré Patrice Leconte dans le film Ridicule (1996).

P.-P.-S. — Dominique Muller, dans le chapitre qui suit celui de Lucas Fournier, évoque Julie de Lespinasse. C’est une autre histoire.

 

Référence

Bièvre, François-Georges Maréchal, marquis de, Calembours et autres jeux sur les mots d’esprit, Paris, Payot & Rivages, 2000, 155 p. Édition établie et présentée par Antoine de Baecque.

Autopromotion(s) 232

Cette semaine, l’Oreille tendue va beaucoup parler.

Cet après-midi, elle sera à Saint-Hyacinthe pour une conférence intitulée «Diderot : de l’Encyclopédie à Wikipédia».

Vendredi, aussi en après-midi, mais à Montréal, elle causera livre scientifique dans le cadre de la Journée internationale de la Francophonie.

Samedi, toujours en après-midi, à Québec cette fois-là, elle interviendra lors de la journée sur la nordicité qui se tiendra au Musée de la civilisation. Sujet ? «Notre sport national ? Parler de hockey !»

 

[Complément du jour]

Vous voulez savoir de quoi causera l’Oreille vendredi ? Lisez ceci :

Letarte, Martine, «Écrire en français à l’ère du numérique», le Devoir, 12-13 mars 2015, p. H3.

 

[Complément du 4 mai 2016]

La table ronde du 18 mars, «Écrire en francais à l’ère du numérique», est désormais disponible en ligne.