Un portrait de Marc Denis

Gilles Marcotte, le Poids de Dieu, 1962, couverture

 

«Pourtant, ce soir-là, le premier moment d’exaltation passé, Claude avait senti que leur amitié ne résistait pas au temps. Seul Marc Denis continuait d’habiter la zone où ils s’étaient rencontrés. D’une intelligence brillante, travailleur infatigable, cultivé comme il n’est guère habituel dans son milieu, on l’avait affecté à l’enseignement au grand séminaire. Claude éprouvait un plaisant vertige à se laisser entraîner par lui d’un point à l’autre du vaste domaine intellectuel où Marc se mouvait avec une aisance prodigieuse. De saint Thomas à André Gide, de Platon à quelque théorie scientifique, c’étaient des rapports d’une rapidité fulgurante, établis par une intelligence jamais en repos. Mais, pour Claude, le point de saturation est venu plus tôt que d’habitude. Au grand séminaire, déjà, quand il baignait dans une atmosphère d’intense ferveur théologique, il lui arrivait d’être lassé par la haute voltige de Marc Denis. Maintenant, le fil est coupé» (p. 63-64).

P.-S. — On ne confondra pas ce Marc Denis, personnage d’un roman de Gilles Marcotte, le Poids de Dieu, paru en 1962, avec l’ex-cerbère de la Ligue nationale de hockey qui porte le même nom.

 

Référence

Marcotte, Gilles, le Poids de Dieu, Paris, Flammarion, 1962, 218 p.

Le français d’Ottawa

Gilles Marcotte, Une mission difficile, 1997, couvertureEn 1997, Gilles Marcotte publiait un roman extravagant, Une mission difficile, qu’on pourrait sans mal rapprocher de certains textes de Jean Echenoz.

L’Oreille tendue le relisait l’autre jour et elle y tombe sur cette description d’une des deux langues officielles du Canada, telle que pratiquée par un grand fonctionnaire devant des porteurs dayaks dans la forêt de Bornéo (c’est un peu difficile à expliquer) :

Étaient-ils sensibles à la musique très particulière de ce français d’Ottawa que parlait le directeur, mâtiné de beaucoup d’anglais, d’ukrainien, de polonais et d’un peu d’acadien, dialecte étrange auquel les linguistes commençaient à s’intéresser sérieusement ? […] Il avait prononcé les derniers mots avec l’accent de Paris. Cela aussi fait partie du français d’Ottawa (p. 80-81).

Heureux linguistes !

 

Référence

Marcotte, Gilles, Une mission difficile. Roman, Montréal, Boréal, 1997, 101 p.

Un p’tit coup de science, avec ça ?

Depuis quelques années, l’Oreille tendue collectionne les bars improbables. Il y a jadis naguère, sur Twitter, @revi_redac lui faisait remarquer qu’elle n’avait jamais abordé le bar des sciences. Dont acte.

Il s’agit d’une pratique courante, par exemple dans le cadre de l’émission radiophonique les Années lumière de la Société Radio-Canada. La France en est également friande.

Ce type de bar a maintenant de la concurrence.

Il existe en effet des cafés scientifiques. On peut aussi participer, en bilingue, à l’activité Pinte de science / Pint of Science Canada. Description :

Le Festival Pinte de Science – Pint of Science invite des scientifiques dans votre bar préféré pour discuter avec vous de leurs dernières recherches et découvertes. C’est pour vous l’occasion parfaite de rencontrer les véritables acteurs de la science en chair et en os. Vous n’avez plus d’excuse de ne pas venir partager un verre avec nous !

On n’arrête pas le progrès.

Régionalismes 101

Fabien Cloutier, Trouve-toi une vie, 2016, couverture

Dans le cadre de l’émission Plus on est de fous, plus on lit !, à la radio de Radio-Canada, Fabien Cloutier a souvent présenté des chroniques sur les régionalismes québécois. Certaines viennent d’être rassemblées dans Trouve-toi une vie. Chroniques et sautes d’humeur, sans perdre leur caractère oral.

Qu’est-ce qu’un régionalisme ?

Précisons-le dès le départ

ma définition de «régionalisme» est assez large

si j’ai un mononc’ de la Beauce qui utilise

une expression colorée

et que j’aime ça et que je trouve ça beau

et que ça sert ce que je veux dire

même si je l’ai presque jamais entendue dans la bouche

d’une autre personne

je peux décider d’en faire un régionalisme (p. 15).

Cette définition initiale est précisée plus loin dans l’ouvrage : «c’est une expression qu’on peut utiliser dans un bar / de région / sans que personne cherche à nous casser ‘a yeule» (p. 115). Voilà pourquoi, au Québec, du moins à Almow (Alma), «Avoir le cul bordé de nouilles» ne peut pas être un régionalisme (p. 114-118).

Certains régionalismes ne sont traités que brièvement : «Y est revenu avec le trou d’cul en-dessous du bras» (p. 68); «J’me su’ levé avec la tête dans l’cul» (p. 68); «Ça faisait tellement mal / j’avais l’impression que le cœur me battait / dans l’trou d’cul» (p. 69); «Y est trop tard pour serrer les fesses quand / la crotte est passée» (p. 69); «Y fait noir comme dans l’cul d’un ours» (p. 70); «Ça m’fait pas un pli su’à poche» (p. 70); «Avoir un os dans le baloney» (p. 101); «J’me sens comme une truite su’à sphatte» (p. 101); «J’me sens comme un ours qui a reçu / une flèche dans’ panse» (p. 101). Trois sont rapportés à un ancien ministre du gouvernement fédéral, Steven Blaney : «C’est pas le crayon le plus aiguisé de la boîte»; «C’est pas lui qui a faite le trou dans’ pissette des brulots»; «C’est pas lui qui a mis le spring aux sauterelles» (p. 119).

D’autres ont droit à un chapitre complet : «Trouve-toi une vie»; «Y farme pas étanche»; «Ben accoté dans’ barrure»; «Yinke à wouèr on woé ben»; «Y a des claques su’a yeule qui s’pardent»; «Y sort pas d’colombes du cul d’une corneille»; «Y est su’a coche»; «Oussé qu’t’avais ‘a tête ?»; «Bizouner»; «Charche pas à dju pis à djâ»; «C’est pas vargeux».

Fabien Cloutchier, comme on dit dans sa «Beauce natale» (p. 113), utilise les régionalismes pour commenter l’actualité, la culture populaire et la politique. L’auteur a ses têtes de Turc : Régis Labeaume, le maire de Québec, devient «le che de Sillery» (p. 85); l’ancien ministre provincial Yves Bolduc est «un docteur Bleuet» (p. 87); le ministre Gaétan Barrette «brise» l’«image du Gaétan standard» (p. 106). Ce «recueil de grandes vérités» (p. 9) manie avec dextérité la dérision, l’ironie, l’absurde, l’humour. C’est tout à fait instructif.

P.-S. — Que l’on permette à l’Oreille tendue de proposer son régionalisme : «Y a un éditeur qui a dormi sur la switch.» Certains mots comportent inutilement la lettre e : «l’avion nolisée [sic] de Lise Thériault» (p. 35). Ailleurs, elle manque : «avec de la poutine servi [sic] sur le chest» (p. 21); «la belle table à café que j’nous ai bizouné [sic]» (p. 100); «tu peux aspirer à faire parti [sic] de l’élite» (p. 137). «Cours» (p. 43) et «tiers-mondistes» (p. 70) devraient prendre une s, mais pas «sous» (p. 43) ni «quelques temps» (p. 128). Les pots Mason, comme l’atteste l’illustration de la page 18, ne sont pas des pots Masson (p. 21). Page 74, il faut «Quoique» au lieu de «Quoi que» et «Parisien» au lieu de «parisien». «Nul part» (p. 75) ? Non. Si «y a du monde qui aiment», alors ce monde «recommandent», au pluriel (p. 78). Etc. Ça fait désordre, et beaucoup.

 

Référence

Cloutier, Fabien, Trouve-toi une vie. Chroniques et sautes d’humeur, Montréal, Lux éditeur, 2016, 140 p. Dessins de Samuel Cantin.

Chanter Henri Richard

Réplique du casier de Henri Richard, Temple de la renommée, Toronto

Le joueur de hockey Henri Richard, le frère de l’autre, est né un 29 février, en 1936.

Anna McGarrigle lui a consacré une chanson en 1974 («Hommage à Henri Richard», 2 minutes 13 secondes, disque 45 tours, étiquette PAC 4411 Pacha).

Henri Richard, vous êtes bien correct
Henri Richard, prenez pas votre retraite

Salut Henri, petit bonhomme brave
Capitaine de notre équipe gagnante

Henri Richard, vous êtes bien correct
Henri Richard, prenez pas votre retraite

Cheveux gris, visage cicatrisé
Pocket Richard, nous sommes vos amis

Henri Richard, vous êtes bien correct
Henri Richard, prenez pas votre retraite

Numéro 16, vous nous mettez à l’aise
Vous serez bientôt canonisé

Henri Richard, vous êtes bien correct
Henri Richard, prenez pas votre retraite

Vous comptez trop et la bière est gratuite
Tavernier vous allez faire faillite

Henri Richard, vous êtes bien correct
Henri Richard, prenez pas votre retraite

Bâton d’hockey pour em’ner d’une rondelle
Son épée est le cœur du Canadien

Henri Richard, vous êtes bien correct
Henri Richard, prenez pas votre retraite

Henri Richard, vous êtes bien correct
Henri Richard, prenez pas votre retraite

P.-S. — D’autres chansons sur le hockey ? Par ici.

 

[Complément du 8 mars 2020]

Henri Richard vient de mourir.

On peut entendre la chanson .

 

Illustration : Michael Barera, réplique du casier de Henri Richard dans le vestiaire des Canadiens de Montréal, Temple de la renommée du hockey, Toronto (Ontario, Canada), 24 juillet 2010, photo déposée sur Wikimedia Commons