Citer en public

Il y a ceux qui citent et qui le disent : «Je cite.»

Il y a ceux qui citent et qui marquent leurs citations de guillemets avec leurs doigts (air quotes, disent les anglophones).

Il y a ceux qui citent en utilisant une voix pour le texte et une autre pour les citations. (Promis juré : l’Oreille tendue a déjà assisté à cela.)

Variation. Il y a ceux qui lisent leur texte d’une voix posée et qui, comédiens souvent piètres ou frustrés, jouent les citations avec grandiloquence. (Bis : promis juré.)

Il y a, dit-on, ce duo où l’un faisait le texte et l’autre les notes — faisait-il aussi les citations ?

Il y a ceux qui lisent sur leur feuille la citation qu’ils projettent à l’écran avec un PowerPoint. Plus elle est longue, meilleur c’est, croient-ils.

Et il y a ceux qui s’arrangent pour que leurs auditeurs comprennent, comme des grands, qui parle, d’eux ou des auteurs cités.

P.-S. — On peut ajouter ce qui précède aux «Scènes de la vie de colloque» que publiait l’Oreille en 2008.

 

[Complément du 5 avril 2016]

Et il y a ceux qui citent et qui annoncent «Ouvrez les guillemets», puis «Fermez les guillemets». C’est donc à leur public de faire le travail.

 

Référence

Melançon, Benoît, «Scènes de la vie de colloque (extraits)», le Pied (journal de l’Association des étudiants du Département des littérature de langue française de l’Université de Montréal), 4, 29 février 2008, p. 12-13. Repris dans la Vie et l’œuvre du professeur P. Sotie, Montréal, À l’enseigne de l’Oreille tendue, 2022, p. 43-48. https://doi.org/1866/13167

Le zeugme du dimanche matin et de Gilles Marcotte

Gilles Marcotte, la Vie réelle, 1989, couverture

«Sous son regard glacé vous vous recroquevillez, vous vous sentez extrêmement coupable, coupable à n’en plus finir, vous vous répandez en explications, vous parlez de la rareté des appartements à Paris, des relations France-Québec, de la petite faiblesse que vous avez au cœur, de la très belle Madame Marcotte de Saint-Hilaire peinte par Ingres et qui est au Louvre, oui au Louvre, vous déversez des flots de paroles — alors qu’il serait si simple de fuir — qui se brisent sur ce mur, cette digue, ce dingue, cet empêcheur d’habiter en rond, ce puissant major, ce dôme imposant venu des profondeurs de la maison et du temps.»

Gilles Marcotte, «I love Paris», dans la Vie réelle. Histoires, Montréal, Boréal, 1989, 235 p., p. 63-69, p. 68-69.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accouplements 47

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Louis Sébastien Mercier, dans le chapitre «Cheminées» de son fabuleux Tableau de Paris (vol. 10, texte 837), écrit ce qui suit :

On place volontiers sur nos cheminées, en petits bustes de bronze ou de plâtre doré, les têtes de Voltaire et de J.-J. Rousseau; mais Jeannot et Préville [deux acteurs] ont obtenu le même honneur. La fantaisie de nos sculpteurs célébrise telle ou telle tête. Les bustes des princes trouvent moins d’acheteurs qu’autrefois; on préfère les têtes pensantes (éd. de 1994, tome II, p. 991).

Dans les années 1950, un amateur a décidé de représenter deux joueurs de hockey, le gardien de but Turk Broda des Maple Leafs de Toronto et l’ailier droit Maurice Richard des Canadiens de Montréal, sur un jeu de salière / poivrière. C’est du moins ce qu’avance un marchand sur eBay (il est vrai qu’il n’est pas tout à fait sûr de l’identité des joueurs représentés).

Salière et poivrière, années 1950 (?), représentant Turk Broda et Maurice Richard

Chaque époque — chaque société — choisit ses idoles.

 

P.-S. — Ce n’est pas la première fois que l’Oreille cite le texte de Mercier.

P.-P.-S. — Par ailleurs, elle a beaucoup travaillé sur la présence de Maurice «Rocket» Richard dans la culture matérielle québécoise et canadienne dans un livre qu’elle a publié en 2006.

 

Références

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Mercier, Louis Sébastien, Tableau de Paris, Paris, Mercure de France, coll. «Librairie du Bicentenaire de la Révolution française», 1994, 2 vol. : 8/ccii/1908 et 2063 p. Édition établie sous la direction de Jean-Claude Bonnet. Édition originale : 1781-1788.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Le niveau baisse ! (1789 / 1843)

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«M. [Victor] Cousin : La décadence de la langue française a commencé en 1789.
Moi : À quelle heure, s’il vous plaît ?»

Source : Victor Hugo, Choses vues, 23 novembre 1843, dans Choses vues. Souvenirs, journaux, cahiers. 1830-1885, Paris, Gallimard, coll. «Quarto», 2002, 1416 p., p. 162. Texte présenté, établi et annoté par Hubert Juin avec des révisions pour la présente édition.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture