Autopromotion 209

Salon du livre de Montréal 2015

C’est Salon du livre cette semaine à Montréal. L’Oreille tendue y sera pour trois séances de signature(s) :

vendredi, le 20 novembre, de 19 h à 20 h;

samedi, le 21 novembre, de 16 h à 17 h;

dimanche, le 22 novembre, de 14 h à 15 h.

Ce sera au stand des Éditions Gallimard (stand 432).

Renseignements ici.

Interprétation spontanée

Dessin de Jean Jullien, 13 novembre 2015

Comment donner sens aux attentats qui viennent d’avoir lieu à Paris ? Depuis vendredi dernier, on entend sur toutes les tribunes des politologues, des sociologues, des spécialistes de l’étude des religions ou de la sécurité, tant d’autres déjà, s’y essayer. Parmi les concepts qu’ils utilisent, il y a celui de génération.

Ce concept n’est pas nouveau. En histoire de la littérature, par exemple, il a été popularisé par Albert Thibaudet dès 1921, puis développé en 1936 dans son Histoire de la littérature française :

Pour notre part, nous adapterons un ordre dont nous ne nous dissimulons pas les inconvénients et l’arbitraire, mais qui nous paraît avoir l’avantage de suivre de plus près la démarche de la nature, de coïncider plus fidèlement avec le changement imprévisible et la durée vivante, de mieux adapter aux dimensions ordinaires de la vie humaine la réalité et le produit d’une activité humaine : c’est l’ordre par générations (éd. de 1963, p. xiii).

L’idée de génération ne fait pas l’unanimité chez les historiens de la littérature, mais elle est constamment reprise, notamment par des essayistes (François Ricard) et par des historiens (Michel Winock). Elle est omniprésente, aujourd’hui, dans une revue comme Nouveau projet, qui en fait une de ses clés d’interprétation du monde.

Le rapport avec les attentats du 13 novembre ? «Ce qui forgera la génération Bataclan», titre le Devoir d’hier, en reprenant un article du quotidien Libération signé Didier Péron (p. A4). Sous nos yeux, une génération est née, qui côtoie celle de Charlie hebdo :

Deux générations ont été visées. L’assaut des frères Kouachi entendait faire taire la vieille garde de l’esprit gauchiste libertaire et son insolence laïcarde. Tirer à bout portant notamment sur Cabu (76 ans), sur Wolinski (80 ans), sur Bernard Maris (68 ans), c’était pas de pitié pour les rieurs et pas de respect pour les ancêtres. Les événements de vendredi viennent décimer un autre genre de public […]. Une même scénographie de l’irruption violente, dans le bureau de l’hebdomadaire le 7 janvier post-conférence de rédaction et dans la salle surchauffée [du Bataclan] vendredi, alors que le concert bat son plein. […] Si l’on veut bien considérer qu’en France, plus que partout ailleurs, une génération se définit par son baptême de révolte ou de manif, qu’il s’agisse des étudiants de Mai 68 ou des émeutiers de 2005, on a le sentiment que, pour la première fois peut-être, une génération naît et meurt la même année. Un gamin peut ainsi s’être fondu dans l’immense cohorte de la manifestation du 11 janvier, après la tuerie de Charlie Hebdo, et s’être fait tuer dix mois plus tard, selon une ordalie djihadiste qui manie la mort aléatoire et la lisibilité des massacres.

Pour Péron, en bon praticien de la génération, celle-ci se définit par la date de naissance.

Avoir 20 ans en 2015, c’est être né en 1995, l’année des huit attentats islamistes à la bombe avec la traque de Khaled Kelkal, et c’est avoir 6 ans quand les tours jumelles s’effondrent. On ne sait pas décrire la part obscure, invisible des imprégnations politiques qui façonnent les individus au long cours des années d’apprentissage, quand on sait si bien le faire des traumas privés par la psychanalyse.

Comme la génération : une interprétation spontanée.

 

[Complément du jour]

Sur son blogue, l’ami Michel Porret écrit, lui aussi après avoir évoqué Charlie hebdo : «il s’agit de plonger dans l’effroi la génération hédoniste des villes multiculturelles et cosmopolites (au moins 19 nationalités parmi les victimes) qui refusent l’intégrisme au nom de la diversité et de la liberté dans les relations humaines»; «Rétorquer démocratiquement à la stratégie de l’effroi terroriste devrait amener à évaluer lucidement ce qui, depuis une génération au moins, exclut de la République une génération issue de l’émigration. La génération perdue de l’éducation nationale. La génération renvoyée à l’impasse miséreuse de la ghettoïsation socioculturelle, de la prolétarisation galopante, du délit de faciès, de l’accumulation des haines identitaires, du chômage incessant et de la survie dans la petite et grande criminalité organisée» («Stratégies de l’effroi», la Ligne de mire, 16 novembre 2015).

 

[Complément du 18 novembre 2015]

En juin 2015, Malek Boutih, le député de l’Essonne, a remis au premier ministre de la France le fruit d’une «une réflexion sur l’analyse et la prévention des phénomènes de radicalisation et du djihadisme en particulier». Le titre de son rapport ? Génération radicale. On le lit ici.

 

[Complément du 23 novembre 2015]

Sur Mediapart, le 20 novembre, Sarah Roubato publie une «Lettre à ma génération : moi je n’irai pas qu’en terrasse».

 

[Complément du 24 novembre 2015]

Selon les Inrocks, il faudrait parler des Générations Bataclan (au pluriel). C’est ici. (Merci à @machinaecrire pour le tuyau.)

 

[Complément du 30 novembre 2015]

Dans son discours d’hommage aux victimes des attentats du 13 novembre, François Hollande va aussi dans le sens d’une interprétation générationnelle :

Ces hommes, ces femmes, avaient tous les âges, mais la plupart avait moins de 35 ans. Ils étaient des enfants lors de la chute du mur de Berlin, ils n’avaient pas eu le temps de croire à la fin de l’Histoire, elle les avait déjà rattrapés quand survint le 11 septembre 2001. Ils avaient alors compris que le monde était guetté par de nouveaux périls. Les attentats du début de l’année les avaient bouleversés. Beaucoup, je le sais, avaient tenu à manifester le 11 janvier, comme des millions de Français.

[…]

Avant elle, d’autres générations ont connu, à la fleur de l’âge, des événements tragiques qui ont forgé leur identité. L’attaque du 13 novembre restera dans la mémoire de la jeunesse d’aujourd’hui comme une initiation terrible à la dureté du monde, mais aussi comme une invitation à l’affronter en inventant un nouvel engagement. Je sais que cette génération tiendra solidement le flambeau que nous lui transmettons.

[…]

Malgré les larmes, cette génération est aujourd’hui devenue le visage de la France (le Devoir, 28-29 novembre 2015, p. B5).

 

Références

Ricard, François, la Génération lyrique. Essai sur la vie et l’œuvre des premiers-nés du baby-boom, Montréal, Boréal, 1992, 282 p.

Thibaudet, Albert, «Réflexion sur la littérature : l’idée de génération», Nouvelle revue française, 16, 1921, p. 344-353.

Thibaudet, Albert, Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours, Paris, Stock, 1963, xiii/587 p. «Notice» de Léon Bopp et Jean Paulhan. Édition originale : 1936.

Winock, Michel, l’Effet de génération. Une brève histoire des intellectuels français, Vincennes, Thierry Marchaisse Editions, 2011, 129 p.

Citation (assez) (bassement) intéressée du lundi matin

Nouveau projet, 08, automne-hiver 2015, couverture

«Dans un essai paru il y a quelques mois [Information Doesn’t Want to Be Free, 2014], le Torontois Cory Doctorow, auteur de science-fiction et militant notoire du domaine des nouvelles technologies, propose une lecture préoccupée mais non alarmiste des bouleversements actuels de l’industrie du divertissement et de leur impact sur les notions de droits d’auteur et de rémunération des créateurs. La position d’un libre penseur, clairvoyante pour les uns, suicidaire pour les autres, qui a le mérite de prendre les problèmes depuis leur base et de ne pas se cantonner dans les idées reçues. Information Doesn’t Want to Be Free, toujours pas traduit en français et dont le titre, si c’était le cas, serait L’information ne veut pas être gratuite, refuse le catastrophisme et se présente d’abord comme pédagogique

Tristan Malavoy, «Les mammifères et les pissenlits», Nouveau projet, 08, automne-hiver 2015, p. 135-139, p. 135-136. (Les caractères gras sont de l’Oreille tendue.)

Les zeugmes du dimanche matin et de Daniel Grenier, la suite

Daniel Grenier, l’Année la plus longue, 2015, couverture

«Les serveurs se promenaient entre les tables et s’inclinaient très bas pour faire voyager les odeurs et les convives» (p. 185).

«Quiconque arrivait dans le coin avec sa pelle ou même avec rien, juste de la volonté et un peu de tabac à chiquer, pouvait trouver du travail» (p. 198).

«Avait-il déjà été cet homme bavard qu’il ressuscitait dans son esprit, ce conteur plein de bière et de récits abracadabrants à offrir à un auditoire captif ?» (p. 216)

«“Longtemps”, c’était le mot qui l’avait accompagné, comme un ami, comme un ennemi aussi parfois, au cours de sa vie, rythmé en syllabes nasales et en décades, deux mots en un seul» (p. 296).

Daniel Grenier, l’Année la plus longue. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 10, 2015, 422 p.

P.-S. — Cela est une deuxième fournée. La première est ici.

P.-P.-S. — Les «décades» de la p. 296, ce ne serait pas plutôt des «décennies» ?

P.-P.-P.-S. — L’Oreille tendue a dit tout le bien qu’elle pensait de ce roman .

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

La littérature, encore

Dessin de Jean Jullien, 13 novembre 2015

Que peut la littérature devant l’horreur ? En janvier dernier, au moment des attaques contre Charlie hebdo, le nom de Voltaire était partout.

Depuis les attentats d’hier à Paris, on fait appel à Kessel, à Hugo, à Aragon, à Éluard, à Dylan Thomas, à bien d’autres encore.

La littérature est utile.

 

[Complément du jour]

 

Quelques exemples.

 

 

https://twitter.com/Declaracion/status/665020796771921920

 

 

 

 

 

 

 

https://twitter.com/GSourdot/status/665594028210155521

 

 

 

 

 

 

 

https://twitter.com/marievallieres/status/665401553411563522

 

 

https://twitter.com/ryan_marsh/status/665593657777631232

 

 

 

 

https://twitter.com/RemiMathis/status/665495224286752768

 

 

 

 

[Complément du 15 novembre 2015]

 

Et d’autres.

 

 

http://twitter.com/Landdry/status/665462459298390017

 

 

 

 

 

 

 

 

https://twitter.com/Spartitude/status/665334379384733698

 

https://twitter.com/AdrienBellenger/status/665625721528782849

 

https://twitter.com/JulienLefortF/status/665617640610594816

 

 

 

 

[Complément du 16 novembre 2015]

Et ça continue.

 

 

 

https://twitter.com/trudeau_michel/status/666048771848056833

 

 

 

 

 

 

 

http://twitter.com/EmileFZola/status/666326949174730753

 

 

 

 

[Complément du 20 novembre]

 

Et une dernière fournée.

 

http://twitter.com/LeGrosRaTt/status/666473735940087808

 

http://twitter.com/FreddyAbon/status/665881423279235076

 

http://twitter.com/FreddyAbon/status/666500550444326912

 

 

 

http://twitter.com/carolinacarnier/status/666977010821001216

 

http://twitter.com/carolinacarnier/status/666977069268656128

 

[Complément du 6 janvier 2016]

Dans la Presse+ du jour, Rima Elkouri confie à ses lecteurs le souvenir suivant :

Rima Elkouri, la Presse+, 6 janvier 2016