Langue de campagne (19)

Les expressions et mots préférés des chefs de parti politique du Québec, surtout selon les débats télévisés des 19, 20, 21 et 22 août ?

Jean Charest (Parti libéral) : «poser des gestes», «cela étant dit» et «pour cent». Voilà un homme responsable, mais qui sait faire la part des choses et qui est tout à fait capable de retenir des statistiques.

François Legault (Coalition avenir Québec) : «gêné», «livrer la marchandise». Voilà un autre homme responsable, qui tient ses promesses, même s’il se laisse parfois emporter : le 22 août, il a répété cinq fois de suite «wô»; le lendemain, c’était «non» et «complètement faux» quatre fois, et «wow», deux fois.

Pauline Marois (Parti québécois) : «cependant», «petit peu» (l’autobus des médias attachés à la couverture de sa tournée électorale a été surnommé «le petit peu bus») et «bein» (pour «bien»). Voilà une femme nuancée, modérée et qui sait parler comme le peuple.

Ce n’est pas plus compliqué que cela.

Langue de campagne (20)

Au plus fort de la crise étudiante du printemps dernier au Québec, Line Beauchamp, qui était alors ministre de l’Éducation, avait déclaré à des journalistes que les demandes des étudiants avec lesquels elle négociait la laissaient «pantoite». Plusieurs en étaient restés pantois.

Lors d’un face-à-face télévisé avec la chef du Parti québécois, Pauline Marois, Jean Charest, du Parti libéral du Québec, l’a accusée de vouloir faire planer «un épée de Démoclès» sur la tête des électeurs québécois. On l’a beaucoup raillé pour cette double bourde, répétée dans une conférence de presse tenue immédiatement après ce face-à-face du 20 août.

Ces deux fautes ne sont pourtant pas exactement de même nature, et la première est particulièrement révélatrice du rapport à la langue des politiques au Québec.

Durant le face-à-face, Jean Charest a fait une faute, ce qui arrive à tout le monde, et personne de son entourage n’a probablement eu le temps de la lui indiquer avant la conférence de presse. En revanche, Line Beauchamp a commis sa faute le matin et elle continuait à la répéter en fin d’après-midi le même jour, notamment à la radio. Aucun des proches de la ministre n’a pu la corriger ? Aucun ne l’a voulu ?

Dans le même ordre d’idées, il y a pire.

Dans une publicité radiophonique tombée dans l’oreille de l’Oreille tendue le 27 août, Jean Charest employait un «lequel» où il aurait fallu «laquelle»; or il ne parlait pas en direct.

La Coalition avenir Québec de François Legault ne fait pas autre chose. Sa publicité, sans guère se soucier de la langue, ne dit-elle pas «On est les seuls qui doivent rien à personne. Nous, on va le faire» ? (Merci à @MarcCassivi pour la citation.)

Il y a donc des gens, quelque part, qui conçoivent des campagnes publicitaires et qui y tolèrent une langue fautive ou approximative. La pratique n’est pas nouvelle : durant la campagne électorale de 1989, les publicités du Parti libéral du Québec ne se gênaient pas pour scander «C’que l’Québec a besoin».

Comment expliquer ce mépris de la correction la plus élémentaire, dont il est difficile d’imaginer un équivalent ailleurs dans le monde ?

Une explication psychologique pourrait être avancée, mais elle ne saurait convaincre : certains membres de leur personnel politique hésiteraient à corriger leur patron, par exemple Line Beauchamp.

On pourrait aussi postuler que la faiblesse de la langue des politiques et de leur entourage n’est que le reflet de celle de la population en général. Le personnel politique parlerait aussi mal que le reste des électeurs, ou, pour le dire autrement, il ne parlerait pas plus mal. L’hypothèse serait cruelle.

Il y aurait plus cruel encore. Et si la langue avait tellement peu d’importance pour l’entourage des politiques et pour les politiques eux-mêmes que tous ces gens repéraient les fautes de leurs publicités, mais les laissaient volontairement passer ? Après tout, au Québec, qui pourrait s’offusquer de la mollesse de la langue des élus ? Cette hypothèse d’explication serait la plus cruelle, car la plus cynique.

Langue de campagne (18)

Les campagnes politiques sont faites pour attaquer ses adversaires. Au Québec, en 2012, de quoi s’accuse-t-on les uns les autres ? Les débats télévisés du mois d’août offrent quelques pistes de réflexion.

Le chef du Parti libéral trouve que celui de la Coalition avenir Québec change souvent d’idées. Pour Jean Charest, François Legault n’est «pas fiable».

Entre François Legault et Pauline Marois, la pomme de discorde est syndicale. Lui sur elle : elle a «les mains attachées avec les syndicats». Elle sur lui : «y haït les syndicats». En outre, le caquiste pratiquerait, si l’on en croit la péquiste, la «pensée magique». Inversement, elle représenterait le «statu quo»; pire, elle serait le chef des caribous.

François Legault a deux obsessions : les mains et la gêne. Contrairement aux autres, il n’a pas, lui, les mains «attachées» : les siennes sont «libres» et «propres». Il trouve que ses adversaires devraient se sentir mal de ce qu’ils ont fait ou dit : «Vous êtes pas gênée» (à Pauline Marois, le 19 août et le 22 août); «Vous êtes pas gênée» (à Françoise David, de Québec solidaire, le 22 août); «Vous devriez être gêné» (à Jean Charest, plusieurs fois, le 21 août); «C’est gênant, c’que vous faites» (à Pauline Marois, le 22 août).

Jean Charest se méfie, entre autres choses, de la cruauté de sa vis-à-vis du Parti québécois. Ses positions sur la santé, en effet, «ça donne des frissons à du monde».

Le «bon sens» paraît être une qualité enviable. Pauline Marois, Jean Charest et François Legault accusent leurs adversaires, individuellement ou collectivement, d’en manquer. De la même manière, il y aurait, quelque part, une «vraie vie»; c’est du moins la position de Jean Charest. Certains l’ignoreraient (à François Legault : «Ça marche pas comme ça la vie»).

Y a-t-il un ennemi commun à tous ? Évidemment : «la chicane». Personne ne la souhaite, et tous accusent l’autre de la fomenter. Ce sont des élections bien québécoises.

P.-S. — Ces attaques et insultes sont évidemment réversibles. François Legault a renvoyé son insulte («pas fiable») à Jean Charest et Pauline Marois l’a utilisée à l’égard de François Legault (la Presse, 29 août 2012, p. A1). Elle a aussi traité le chef de la Coalition avenir Québec de «presque caribou» (radio de Radio-Canada, 30 août 2012). On peut parfois s’y perdre.

Langue de campagne (17)

Très peu de néologismes ont été créés dans la campagne électorale québécoise de 2012.

Il a fallu inventer caquiste (pour la Coalition avenir Québec de François Legault) et oniste (pour l’Option nationale de Jean-Martin Aussant); rien là que d’utilitaire.

Félicitons toutefois Vincent Marissal de la Presse pour une trouvaille. Il y a des joueurnalistes, ces sportifs convertis en commentateurs médiatiques ? Parlons alors de policiens, «ces policiers à la retraite devenus candidats aux élections» (la Presse, 30 août 2012, p. A17). Bien vu.

Langue de campagne (16)

Un des points forts de la campagne électorale actuelle au Québec a été — ou aurait dû être, c’est selon — les rencontres télévisées entre les chefs des principaux partis politiques.

Le débat diffusé par la télévision publique (Radio-Canada, Télé-Québec, TV5) le 19 août était presque complètement exempt de langue populaire. Jean Charest (Parti libéral), Françoise David (Québec solidaire), François Legault (Coalition avenir Québec) et Pauline Marois (Parti québécois) s’étaient mis sur leur trente-six. Des exceptions ? Françoise David : «plate». François Legault : «se payer la traite», «tanné» (deux fois). Pauline Marois : «à soir» (deux fois), «cenne», «bein» (pour «bien»). Jean Charest : «J’peux-tu juste vous rappeler ?», «du monde qui font rien». Guère plus.

Les trois soirs suivants, le débat à quatre fut remplacé par des face-à-face (JC/PM, JC/FL, FL/PM), présentés sur les ondes d’une chaîne privée, TVA. La langue populaire s’est alors faite de plus en plus présente, surtout chez Pauline Marois : «trois mois de temps», «bein» (encore), «piasses», «Y a toujours bein un bout», «donner un break», «cenne», «fèque», «c’est plate à dire», «j’trouve ça pas pire», «à matin», «la djobbe», «y haït les syndicats» (s’agissant de François Legault), etc. Ses adversaires n’étaient cependant pas totalement en reste : «les djobbes dans l’nord, c’est des djobbes dans l’sud» (Jean Charest), «pis» (François Legault, deux fois), «J’peux-tu répondre» (Jean Charest, deux fois).

Sur Twitter, le soir du 20 août, @titocurtis se posait la question suivante : «Marois using some joual. Is it a coincidence that the debate’s on TVA ?» Peut-on, en effet, lier l’emploi de la langue populaire (le «joual», pour reprendre le terme de Curtis, tout contestable qu’il est) et la présence sur une chaîne commerciale ? D’autres raisons peuvent expliquer cette modification du lexique de la chef du Parti québécois (volonté de paraître moins «hautaine», cadre différent pour les échanges, etc.), mais la question mérite d’être soulevée.

P.-S. — L’Oreille tendue avoue ne pas trop savoir quoi faire d’une déclaration de Jean Charest le 19 août : «Quand y a des coches mal taillées, on les répare.» Comment peut-on «réparer» une «coche mal taillée» ? Langue populaire ou approximative ?