Langue de campagne (14)

Il y a des mots neutres, sur lesquels tout le monde s’entend : candidat, circonscription, droit de vote.

Et il y a les objets de contentieux, ces mots dont les sens varient au fil des circonstances et des stratégies : démocratie, vote stratégique, intérêt supérieur de la nation (cette expression existe aussi au pluriel), chef (la question a été posée pour la Coalition avenir Québec), référendum (d’initiative populaire ou pas), cadre financier, classe moyenne (ou «contribuables moyens», pour le dire avec Amir Khadir, de Québec solidaire), valeurs, droite, gauche, néolibéralisme, identité, pays, autrement (comme dans «faire de la politique autrement»).

L’obscurité (potentielle) est à la fois un état de fait (linguistique) et une stratégie de communication (politique). Au Québec, mais pas seulement.

Langue de campagne (13)

La plupart des commentateurs s’entendent pour dire que la révélation du débat électoral télévisé du 19 août 2012 entre Jean Charest (Parti libéral), François Legault (Coalition avenir Québec), Pauline Marois (Parti québécois) et Françoise David (Québec solidaire) a été cette dernière.

Que dire de la langue de Françoise David ?

On ne pouvait qu’être frappé par le naturel de son expression. Loin des tics de ceux qu’elle appelait ses «collègue», elle ne passait pas son temps à reprendre des expressions toutes faites. De même, elle n’hésitait pas à utiliser, par exemple, «han» en fin de phrase, comme le font des masses de ses compatriotes.

Son sens de la répartie tranchait sur les répliques de ses adversaires politiques : «Franchement !», «Laissez-moi une p’tite chance» (à François Legault), «Je prends beaucoup l’autobus et je peux vous dire qu’il n’y a pas de bataille dans l’autobus» (à François Legault, encore, qui ne doit pas le prendre souvent).

Le «Je n’en disconviens pas» qu’elle a utilisé à un moment lui a valu des éloges sur Twitter. (L’Oreille tendue se réjouit de voir employée publiquement une expression qu’elle affectionne.)

C’est surtout à Françoise David que revient une des piques les plus justes de la soirée. S’agissant de la question de la corruption au Québec, elle avait un conseil pour le premier ministre : «À votre place, Monsieur Charest, je ne fanfaronnerais pas.»

Elle aurait pu verser dans le populisme : «À votre place, Monsieur Charest, je ne f’rais pas mon smatte.» Ou dans le rare : «À votre place, Monsieur Charest, je ne plastronnerais pas.» Elle a choisi le verbe le mieux calibré.

Est-ce cela, faire de la politique «autrement» ?

P.-S. — Québec solidaire oblige, Françoise David parle aussi d’«assemblée citoyenne» et elle se sert de l’adjectif «métissé». On n’en attendait pas moins d’un parti de gauche.

P.-P.-S. — Sur le blogue de Québec solidaire, aujourd’hui, sa co-porte-parole préfère «menterie» à «mensonge». Cela n’étonne pas, venant d’elle.

Langue de campagne (12)

À la suite des débats entre les chefs des principaux partis politiques du Québec tenus la semaine dernière, on doit signaler quelques disparitions, peut-être temporaires.

La féminisation automatiqueles Québécois et les Québécoises, les citoyens et les citoyennes —, omniprésente dans les conférences de presse des politiques de tout acabit en temps normal, avait été laissée au vestiaire les soirs du 19, du 20, du 21 et du 22 août. (Elle ne devrait pas y rester longtemps.)

On ne s’en étonnera pas : quitter n’a pas retrouvé ses compléments.

Pendant de longues minutes des débats auxquels il a participé, François Legault, le chef de la Coalition avenir Québec, n’arrivait plus à retrouver le pronom relatif dont. Cela donnait d’innombrables «C’que l’Québec a besoin». Il n’est pas le premier homme politique à être ainsi dépossédé : Robert Bourassa l’a précédé durant sa campagne de 1989, où des publicités télévisées utilisaient exactement la même formule. (L’Oreille tendue, alors dans la fleur de l’âge, avait même consacré un texte, notamment, à cette question, dans le magazine culturel Spirale.)

À chacun ses modèles (linguistiques).

Langue de campagne (11)

Où la politique se fait-elle ?

Jean Charest (Parti libéral du Québec) est formel : ce n’est pas dans la rue.

D’autres se méfient des officines : des créatures de l’ombre y prendraient des décisions sans consulter qui que ce soit.

Tous ne s’entendent pas sur la place des médias dits «sociaux» dans la présente campagne électorale québécoise. Est-elle, ou bien pas, «2.0» ? Internet est-il le nouveau lieu du politique ?

En revanche, les assemblées de cuisine ont toujours la cote. Aller voir des gens chez eux, serrer des mains, répondre directement aux questions, embrasser (et pas seulement des bébés) : ça continue, comme dans le bon vieux temps.

Langue de campagne (10)

Du passé, on ne peut jamais faire complètement table rase. La campagne électorale qui se déroule actuellement au Québec le rappelle à tous les jours.

Nous vivons à l’ère du numérique ? On reproche pourtant aux politiciens de toujours répéter les mêmes discours, de laisser tourner la cassette, alors que la cassette n’a plus technologiquement cours. Ex. : «Sur le terrain, les gens de toutes tendances font le même constat : assez de la langue de bois, de la cassette et des promesses qui ne se réaliseront pas. Le moindre vox pop s’en fait l’écho» (le Devoir, 21 août 2012, p. A6).

Le Parti québécois, et notamment sa chef Pauline Marois, se complique inutilement la vie en se contredisant, ou en se faisant contredire, sur les référendums, la citoyenneté, les souverainistes conservateurs (cette liste n’est qu’indicative) ? C’est que le PQ est historiquement hanté par l’autopeluredebananisation. Patrick Lagacé le rappelle ici.

Vous n’êtes pas porté sur la faune nordique ? Peu importe : grâce au chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, il est de nouveau question sur toutes les tribunes des caribous, ces indépendantistes réputés purs et durs. Sur Twitter, Tristan Malavoy a d’ailleurs proposé de rebaptiser la CAQ : Caribou Attend le Québec.

Parodie de Tintin (Caribous !)Source : @lemotzuste

Qu’avait promis le Parti libéral de Jean Charest lors de son élection de 2003 ? La réingénierie de l’État. On croyait le mot disparu, explulsé des programmes, mais il revient périodiquement sous la plume des journalistes (le Devoir, 18-19 août 2012, p. B3; la Presse, 23 août 2012, p. A12).

Nous vivons entourés des mots du passé.