Autopromotion 032

Ce matin, entre 9 h et 10 h, l’Oreille tendue sera au micro de Franco Nuovo (Dessine-moi un dimanche), à la radio de Radio-Canada, pour parler des mots de la grève étudiante au Québec. Elle y discutera notamment avec Simon Jodoin, de Voir.

Au programme, peut-être :

printemps érable § injonction § outremont + terrasse + sangria + belle vie § conséquence § s’asseoir / s’asseoir avec / s’asseoir auprès / s’asseoir dessus / se rasseoir § terrorisme § momos § ggi § les étudiants § des étudiants § en mode § citoyen § dénouer une impasse § casseurs § casuistique § jeunesse § sophisme § souper § anarchopanda § fascisme / communisme § solution finale § démocratie § apartheid universitaire § manufestant § loi spéciale § rouge / vert / blanc § paix sociale § gagnant-gagnant § siège § accessibilité § masque § (sortie de) crise § enfant-roi § lucide / solidaire § fumigène § etc.

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

Les zeugmes du dimanche matin et de Frédéric Pommier

Frédéric Pommier, Paroles, paroles. Formules de nos politiques, 2012, couverture

Jean-Pierre Chevènement «prend donc des mesures, puis, à l’issue de la réunion, il prend également la parole au cours d’une conférence de presse […]» (p. 37).

«Mais elle n’est pas revenue. Ni aux fondamentaux ni dans la cuisine» (p. 90).

«Que se passe-t-il ? Tout d’abord on prend un café. Ou un whisky. Ou une menthe à l’eau. Puis on prend le temps, on discute» (p. 93-94).

P.-S. — Stricto sensu, le premier texte et le troisième ne sont pas des zeugmes, mais leur esprit relève de celui de cette figure de rhétorique.

Frédéric Pommier, Paroles, paroles. Formules de nos politiques, Paris, Seuil et France inter, 2012, 202 p.

Histoire de la littérature québécoise contemporaine 101

[Que les amateurs de statistiques le notent. Cette entrée est la millième du blogue.]

 

«[Samuel Archibald] aurait brandi
une scie mécanique de marque Mikita au-dessus de sa tête»
(Jean-Philippe Martel,
blogue Littéraires après tout, 12 février 2012).

«Ce n’est pas une raison pour hurler à un
“nouveau mouvement littéraire québécois” […]»
(Pierre Lefebvre, Liberté, avril 2012).

«Après une longue lutte, elle note sur le babillard :
“Benoît, emprunter chainsaw”»
(Danielle Phaneuf, la Folle de Warshaw. Roman, 2004).

 

Pendant de nombreuses années, l’Oreille tendue a enseigné l’histoire de la littérature à l’université, des Grecs à aujourd’hui, en une trentaine d’heures. Il lui arrivait de parler d’écoles, de mouvements ou de périodes littéraires, encore que ce ne fût pas sa tasse de thé pédagogique.

Réfléchissant à des textes de la littérature québécoise récente, elle propose néanmoins aujourd’hui d’en regrouper les auteurs sous l’étiquette École de la tchén’ssâ.

(Qu’est-ce qu’une tchén’ssâ ? Qui n’est pas de souche ne sait peut-être pas qu’il s’agit du mot anglais [chainsaw] désignant la tronçonneuse, mais acclimaté en français du Québec.)

Cette école est composée de jeunes écrivains contemporains caractérisés par une présence forte de la forêt, la représentation de la masculinité, le refus de l’idéalisation et une langue marquée par l’oralité.

L’Oreille tendue surplombe une station de métro de la fenêtre du bureau où elle écrit ceci et elle possède une tchén’ssâ, mais il reste que cet outil est surtout utile hors de la ville, en forêt. La tchén’ssâ est d’un maniement relativement aisé — encore que l’ajustement de sa chaîne demande du doigté —, elle est bruyante et salissante, et elle peut être dangereuse. Parmi les membres de l’école dont il est question, il y a ceux pour lesquels la tchén’ssâ sert essentiellement à abattre et à débiter des arbres; d’autres sont plutôt inspirés par le film The Texas Chainsaw Massacre (1974). Certains critiques préfèrent parler de néoruralité, de posterroir ou de néoterroir pour désigner ces écrivains de la région ou du bois.

Il n’est pas nécessaire d’être un homme pour faire partie de l’École de la tchén’ssâ, mais plusieurs personnages que représentent ses membres sont des hommes, saisis dans un décor non urbain, souvent un fusil à la main. Parfois, ils se contentent d’une canne à pêche.

L’écriture réaliste des auteurs tchén’ssâ ne recule devant aucune matière. Le sang coule dans leurs textes au moins autant que l’huile à moteur. (École du pickup serait un synonyme tout à fait acceptable d’École de la tchén’ssâ.) Ce réalisme n’est évidemment pas incompatible avec la création de mythologies personnelles ou avec des passages proches de la littérature fantastique.

Les écrivains de l’École de la tchén’ssâ, enfin, aiment faire entendre la langue populaire québécoise. Pour eux, une tchén’ssâ s’appelle une tchén’ssâ, pas une tronçonneuse ou une scie mécanique, et il ne leur viendrait pas à l’idée de mettre ce mot en italique dans leurs textes.

Quels sont les membres de l’École de la tchén’ssâ ? Parmi ses figures emblématiques, on compte Samuel Archibald, Raymond Bock et William M. Messier, mais on pourrait aussi leur associer Daniel Grenier, voire Madame Chose.

Sur le plan biographique, on notera — sans en faire une règle absolue — que ces auteurs sont nés à la fin années 1970 ou durant les années 1980, qu’ils ont commencé à publier durant la deuxième décennie du XXIe siècle et qu’ils ont été associés, ou le sont encore, au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal. Ils sont souvent publiés, à Montréal, par Le Quartanier.

De qui s’inspirent-ils ? Sans qu’on puisse toujours parler d’une filiation directe, il est possible de rapporter leur travail littéraire, du côté du roman, à celui de Louis Hamelin, d’André Major ou de Victor-Lévy Beaulieu, parfois de Réjean Ducharme. Pour la poésie, il faudrait plutôt penser à Patrice Desbiens.

Les membres de l’École de la tchén’ssâ sont d’abord prosateurs, mais on compte aussi des poètes parmi eux (Alexandre Dostie de Duo Camaro, Marjolaine Beauchamp, Érika Soucy). Ils pratiquent volontiers la nouvelle (Grenier), parfois appelée histoire (Archibald, Bock). Le numérique n’a pas de secret pour eux : on les lit dans la blogosphère (Grenier) ou dans la twittosphère (Madame Chose). Ils ont leur exégète, Mathieu Arsenault, le fondateur de l’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle et l’auteur d’un texte éclairant sur la «ruralité trash» (Liberté, 295, avril 2012).

On peut posséder une tchén’ssâ, sans pour autant être de cette école. C’est le cas d’un poète apprécié de l’Oreille tendue, François Hébert.

On peut décrire des lieux non montréalais, sans non plus en être. Le Rivière-du-Loup de Nicolas Dickner ou le Shawinigan de François Blais ne nécessite pas qu’on y coupe du bois.

L’Oreille tendue a bien cherché une façon de rattacher Éric Plamondon à l’École de la tchén’ssâ — à cause de ses allusions à la pêche à la ligne et au tir à l’arc (sur écureuil) —, mais sans être elle-même parfaitement convaincue.

Mélanie Vincelette écrit sur le Nord (Polynie, Paris, Robert Laffont, 2011), mais on ne lui confierait pas une tchén’ssâ; ce pourrait être risqué. En revanche, Catherine Mavrikakis ferait de beaux ravages avec un outil comme celui-là : qu’on se souvienne de ce qu’un de ses personnages est capable de faire avec une pelle au début de Ça va aller. Roman (Montréal, Leméac, 2002).

Nicolas Langelier, l’auteur du roman Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles (Montréal, Boréal, 2010), se situe aux antipodes des auteurs rassemblés ici, même si son personnage se réfugie dans l’ex-chalet familial.

Les textes de l’École de la tchén’ssâ sont encore peu nombreux, et beaucoup de leurs auteurs en sont encore au début de leur carrière. L’historien de la littérature suivra leur évolution avec attention et bienveillance.

Exercices

1. Répartissez les tenants de l’École de la tchén’ssâ en deux catégories : auteurs possédant une tchén’ssâ; auteurs ne possédant pas de tchén’ssâ.

2. Démontrez pourquoi Gabriel Anctil (Sur la 132, Montréal, Héliotrope, 2012), Jean-François Caron (Rose Brouillard, le film, Chicoutimi, La Peuplade, 2012) ou Ariane Gélinas (les Villages assoupis, Montréal, Marchand de feuilles, 2012) se rattachent, ou ne se rattachent pas, à l’École de la tchén’ssâ.

3. Traduisez le passage suivant en français hexagonal : «Big Lé allait assez souvent aux États avec moi pour savoir que la frontière entre le Canada et les States était une passoire. Il a dit à Luis qu’il pourrait la passer, América, et la lui domper à San Francisco s’il y mettait le prix. Ils s’en sont parlé pas mal le temps que Big Lé était là-bas. C’est resté de même pis Lé est rentré au Québec» (Arvida, p. 84).

4. Complétez la citation suivante : «Tu peux pas comprendre si tu viens de __________» (Arvida Crew).

Citations choisies

Daniel Grenier : «Et quand elle veut se rendre d’ici au comptoir de la cuisine, pour aller chercher le Windex, parce qu’en gossant sur sa plaie encore molle, elle a fait gicler le pus dans le miroir de la salle de bain, quand elle veut se rendre d’ici à là-bas, elle s’aligne un peu à gauche, histoire de ne pas dériver, dériver, dériver» (Malgré tout on rit à Saint-Henri, p. 73).

Raymond Bock : «[…] Jason s’est soudain précipité pour aller chercher une pinte d’huile à moteur dans le coffre et est revenu détacher ce qui restait de Turbide, qui s’est écrasé au sol, des aiguilles de pin collées dans sa face tuméfiée. Jason a arraché les pantalons à plis beiges du vieux et lui a abondamment aspergé le derrière avec l’huile. J’ai cru qu’il voulait l’immoler. J’allais lui dire d’au moins l’éloigner de l’arbre, mais Jason bougeait plus, les shorts baissés à mi-cuisse, bandé comme un démon» (Atavismes, p. 21-22).

Conseils du jour de Madame Chose : «La jeune femme moderne devrait savoir faire du caramel et graisser un moteur» (Twitter, 16 mai 2012); «La jeune femme moderne devrait savoir partir une génératrice en battant des cils» (Twitter, 11 mai 2012); «La jeune femme moderne devrait savoir creuser une rigole et appliquer ses fards avec les doigts» (Twitter, 9 mai 2012); «La jeune femme moderne devrait savoir faire un bas de pantalon et chasser l’outarde» (Twitter, 8 mai 2012); «La jeune femme moderne devrait savoir déveiner un cerf et poser des rouleaux chauffants» (Twitter, 2 mai 2012).

Lectures recommandées

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Bock, Raymond, Atavismes. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 03, 2011, 230 p.

Grenier, Daniel, Malgré tout on rit à Saint-Henri. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 07, 2012, 253 p.

Liberté, 295 (53, 3), avril 2012, p. 5-47 : dossier «Les régions à nos portes». Textes de Pierre Lefebvre, Raymond Bock, Samuel Archibald, William S. Messier et Mathieu Arsenault.

Messier, William S., Townships. Récits d’origine, Montréal, Marchands de feuilles, 2009, 111 p.

 

[Complément du 28 janvier 2013]

Pour en savoir plus sur l’imprévisible fortune de l’expression «École de la tchén’ssâ», on va ici.

L’École de la tchén’ssâ

Non, Solange ne te parle pas québécois

Le 16 avril, sur YouTube, nouvelle capsule de la série Solange te parle : Solange te parle québécois. À la première écoute, l’Oreille tendue avait trouvé fort réussi le passage, bière aidant, d’un accent parisien à un accent québécois, et bien choisies les expressions employées (bain là, nécessairement, dans le fond).

Qu’on en juge.

Dès sa sortie, la vidéo a été largement commentée, par exemple sur YouTube ou sur le blogue En tous cas.

Plus récemment, Hugo Dumas lui a consacré un article chagrin, «Solange te parle sans accent», dans la Presse du 10 mai 2012 (cahier Arts, p. 8). Il décrit d’abord la série Solange te parle et, s’agissant de Solange te parle québécois, il rappelle que Solange s’appelle en fait Ina Mihalache et qu’elle a vécu 19 ans au Québec avant de s’établir en France. Dumas est «extrêmement perplexe» devant la volonté d’Ina Mihalache de refuser, dès l’adolescence, l’«accent québécois» — comme s’il n’y en avait qu’un — au profit de l’«accent français» — bis. Il déplore qu’elle ait cessé de parler «en québécois pure laine», qu’elle se soit débarrassée «de son parler québécois», qu’elle ne parle plus «notre langue» : «se travestir vocalement à ce point, c’est troublant», écrit celui qui affirme pourtant ne pas «vouloir jouer au psy à cinq sous».

Laissons Dumas à ses états d’âme, mais insistons sur une chose, qui unit le journaliste et la comédienne : l’un et l’autre se trompent quand ils disent que la seconde a délaissé sa «langue maternelle», que, pour elle, c’est une «langue morte». Solange ne parle qu’une langue, le français, tantôt avec un accent, tantôt avec un autre. Il n’existe pas de langue qui s’appellerait «le québécois».

 

[Complément du 23 novembre 2015]

Nouvelle vidéo sur la même chaîne et le même sujet :

Même remarque : «en québécois» ? Non.