Vie et mort du bougon ?

En 2004, la télévision de Radio-Canada lançait la série les Bougon. C’est aussi ça la vie !

Bougon ? Voici comment l’Oreille tendue définissait le terme alors.

Prestataire de l’aide sociale qui n’a pas besoin de consultant pour faire preuve de vision. Le bougon s’enrichirait sans jamais travailler, ce qui ne l’empêche pas de dépenser beaucoup d’énergie pour se faire vivre par le gouvernement. Synonyme : affreux, sale et habile.

Histoire. Mot ancien au sens de râleur renfrogné, mais popularisé en ce nouveau sens par une émission de télévision lancée par la Société Radio-Canada en janvier 2004. Comme le dit son auteur, «J’aimerais qu’un jour on dise de quelqu’un qui est contre le système que c’est un Bougon» (la Presse, 11 janvier 2004). Circule sous des formes diverses, plus ou moins neuves : «Il n’y a pas de scandale “Bougon”, à peine quelques gémissements, quelques râles, un peu de bougonnage, en somme» (la Presse, 9 janvier 2004); «Petite bougonnerie journalistique» (la Presse, 12 janvier 2004); «La Bougonmanie frappe : 1 945 000 téléspectateurs» (la Presse, 16 janvier 2004); «Bougonner autour des Bougon» (le Devoir, 19 janvier 2004); «Fraude bougonnante et fraude bourgeonnante» (le Devoir, 24-25 janvier 2004).

Donc, pour 2004, outre bougon : bougonnage, bougonnerie, bougonmanie, bougonner, bougonnante.

Par la suite, le mot a continué à exister, avec ou sans guillemets, tant pour désigner les pauvres que les riches qui abusent de l’État, communément appelé «le système» :

«Les Bougon de la pub» (le Devoir, 4-5 juin 2005, p. A7).

«Un plan Bougon, accuse l’ADQ» (la Presse, 24 mars 2006, p. A10).

On notera que bougon est ici employé comme adjectif.

«20 000 “Bougons” pris au piège au Québec» (la Presse, 31 mars 2006, p. A7).

«Les Bougon pilleurs de la faune» (le Devoir, 8 décembre 2006, p. B8).

«Les Bougon de la location» (la Presse, 19 février 2007, p. A1).

«Québec épingle 26 000 “Bougon”» (la Presse, 8 janvier 2008, p. A1).

Si le mot a moins fait les manchettes par la suite, il n’en continue pas moins sa vie publique jusqu’à aujourd’hui.

Alecka le chante en 2011 :

Ben voyons don
Heille creton
C’est don ben bon
Heille creton
Dans l’fond
Bougon gigon
Ou bedon

Et le Devoir titre, les 2-3 juin 2012 : «La chasse aux “Bougon saisonniers» (p. B1).

 

[Complément du 10 avril 2013]

Titre vu dans la Presse du jour : «Fiscalité. Québec solidaire veut traquer les “Bougon”» (p. A11). De qui s’agit-il ? De ceux qui cachent de l’argent dans les paradis fiscaux. Les Bougon(s) sont partout.

 

Référence

Alecka, «Choukran», Alecka, 2011, étiquette Spectra musique

Chronique vestimentaire

Amir Khadir est député à l’Assemblée nationale du Québec. Il représente la circonscription de Mercier pour le parti Québec solidaire. Il a été arrêté le 5 mai durant une manifestation étudiante.

Commentaire du journal la Presse : «Cela nous rappelle que derrière le député Khadir, poli et cravaté, il y a le militant, plus radical, qui saute parfois une coche, dont le jupon gauchiste dépasse» (8 juin 2012, p. A21).

L’Oreille tendue a parlé de cette cochepéter ou à sauter) le 23 mars 2010.

Mais qu’est-ce que ce «jupon» qui «dépasserait» ? Ce n’est pas une «Jupe de dessous» (le Petit Robert, édition numérique de 2010) — on ne sache pas qu’Amir Khadir en porte —, mais le signe que quelque chose que l’on voulait cacher est visible malgré tout. Qui a le jupon qui dépasse en révèle plus qu’il ne le voudrait.

Autres exemples

«Le jupon dépasse à la FPJQ» (le Devoir, 4-5 décembre 2010, p. B4).

«Quand le jupon de la recette dépasse» (la Presse, 27 novembre 2010, cahier Arts et spectacles, p. 15).

N.B. Dans les années 1970, le Canada est passé au système métrique. Cela ne semble toutefois pas s’appliquer aux jupons qui dépassent.

«Le jupon dépassait de plusieurs pouces» (la Presse, 10 août 2004, p. A10).

Le blogueur qui plantait des calembours

Marquis de Bièvre, Calembours et autres jeux sur les mots d’esprit, éd. 2000, couverture

L’Oreille tendue apprécie la littérature des Lumières. Il lui arrive aussi de jardiner. Elle a marié ces deux plaisirs au cours des derniers jours.

Il lui fallait planter des arbres, en l’occurrence des ifs. Plus précisément, elle en a transplanté un et elle en planté cinq nouveaux.

En 2011, elle avait présenté, à l’Université François-Rabelais de Tours, une communication sur le marquis de Bièvre (1747-1789), le «calembouriste» le plus célèbre du XVIIIe siècle.

Un exemple de l’art du marquis ? «Il avait fait planter six ifs dans un bosquet de son jardin, pour y faire prendre le café aux dames qui dînaient chez lui. Là, il leur disait : Mesdames, entendez-le comme vous voudrez, mais voici l’endroit décisif (des six ifs)» (éd. de Baecque, p. 127).

L’Oreille pourra dorénavant dire la même chose.

 

Références

Bièvre, François-Georges Maréchal, marquis de, Calembours et autres jeux sur les mots d’esprit, Paris, Payot & Rivages, 2000, 155 p. Édition établie et présentée par Antoine de Baecque.

Melançon, Benoît, «Oralité, brièveté, spontanéité et marginalité : le cas du marquis de Bièvre», dans Didier Masseau (édit.), les Marges des Lumières françaises (1750-1789). Actes du colloque organisé par le groupe de recherches Histoire des représentations (EA 2115). 6-7 décembre 2001 (Université de Tours), Genève, Droz, coll. «Bibliothèque des Lumières», LXIV, 2004, p. 215-224. https://doi.org/1866/28776

Autopromotion 034

Premier et seconds voyages de mylord de *** à Paris, 1777, page de titre

Jean-Jacques Rousseau est né en 1712. Il allait de soi que sa ville de naissance, Genève, souligne le 300e anniversaire de cette naissance.

Du 13 au 16 juin s’y tiendra, entre autres activités, un colloque intitulé «Amis et ennemis de Jean-Jacques Rousseau».

L’Oreille tendue y sera, pour causer de deux JJR, Jean-Jacques Rousseau et Jean-Jacques Rutlidge.

Elle ne cessera pas de bloguer pour autant.

 

[Complément du 22 avril 2014]

En attendant de lire «Les deux JJR», la communication de l’Oreille à ce colloque (Actes à paraître dans les Annales Jean-Jacques Rousseau), on peut l’entendre sur YouTube :

 

[Conplément du 17 octobre 2017]

Le texte a paru :

Melançon, Benoît, «Secourir le Philosophe. Ménilmontant, 24 octobre 1776», Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, tome cinquante-deuxième, 2014 (2016), p. 137-154. Suivi d’une «Discussion», p. 167-174. https://doi.org/1866/28779

Victimes de la grève et de la loi 78

Des associations étudiantes québécoises sont en grève depuis plusieurs mois. Elles en ont contre la hausse des droits de scolarité universitaires décidée par le gouvernement du premier ministre Jean Charest.

À cette grogne s’en ajoute une autre, contre la Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent (communément appelée loi 78).

Cela dure depuis longtemps : les dérapages et exagérations étaient prévisibles de part et d’autre. Parmi les victimes du conflit, il y a les mots. L’Oreille tendue en a repéré quelques-unes dans les textes des pancartes des manifestants; ce ne sont pas les seules.

Mettre côte à côte, dans un tweet, les noms de Charest et de Pinochet ? Non.

Appeler les leaders étudiants des «communistes» ? Non.

Comparer les policiers du Service de police de la ville de Montréal aux tontons macoutes ? Non.

Traiter la Société de transport de Montréal de «collabo» parce qu’elle transporte les personnes arrêtées ? Non.

Rapprocher le carré rouge — le symbole de la grève étudiante — de l’étoile jaune ? Non.

Il y a des victimes — de chair et d’os — qui doivent se retourner dans leur tombe.

 

[Complément du 21 juin 2012]

Sur la même question, on lira avec profit Patrick Lagacé («Une théorie à cinq sous», la Presse, 14 juin 2012) et Antoine Robitaille («Les ravages de la polarisation», le Devoir, 16-17 juin 2012, p. A1 et A12).