Suggestion du jour

Sur Twitter, le 28 avril, une fidèle lectrice de l’Oreille tendue proposait un mot pour désigner l’«abus d’ornementations sous Office : bordure étoiles, comic ms dégradé rose, liste à puces en cœur, fond de page motif plage…»

Ce mot ? Rococotique.

Cette lectrice ? PimpetteDunoyer.

Pas étonnant qu’elle ait pensé à rococo, elle qui a choisi comme pseudonyme le nom d’un des amours de jeunesse de Voltaire.

Contextes

Pierre Michon, les Onze, 2009, couverture

Il est jadis arrivé à un étudiant de l’Oreille tendue, au moment de soutenir sa thèse de doctorat, de se faire reprocher d’avoir utilisé — en toute connaissance de cause, pourtant — l’expression «“has been” de la sociabilité». Il n’aurait pas fallu parler ainsi de la décadence de Paris.

Cet étudiant, qui n’en est plus un, se consolera peut-être en lisant ceci, sous la plume du Pierre Michon des Onze : au moment de la Révolution française, le peintre David, «s’il avait évincé, emprisonné et exilé tous ses rivaux directs, ceux de sa génération, les quarantenaires, il avait gardé les vieilles mains des hasbeens, Fragonard, Greuze, Corentin» (p. 88).

Il faut croire que le contexte fait tout.

 

[Complément du 24 octobre 2010]

Lise Bissonnette, ex-directrice du Devoir et ex-présidente-directrice générale de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, a récemment prononcé un discours sur l’utilisation journalistique des réseaux sociaux. Elle a fait des vagues. Comment l’a-t-on appelée ? «Has been Lise.» Voir le récit d’Antoine Robitaille (le Devoir, 24-25 avril 2010, p. C2).

 

Référence

Michon, Pierre, les Onze, Lagrasse, Verdier, 2009, 136 p.

Citation autoréférentielle (?) du jour

 Denis Diderot, Jaques le fataliste et son maître, éd. de 1976, couverture

«— Oui, voilà qui est fort bien dit; et parcequ’on est dans la misere vous me faites un enfant, comme si nous n’en avions pas déjà assez. — Oh ! que non. — Oh ! que si; je suis sure que je vais être grosse. — Voila comme tu dis toutes les fois. — Et cela n’a jamais manqué quand l’oreille me démange après, et j’y sens une démangeaison comme jamais… — Ton oreille ne sait ce qu’elle dit. — Ne me touche pas ! Laisse là mon oreille ! Laisse donc, l’homme, est-ce que tu es fou ? Tu t’en trouveras mal.»

 

Denis Diderot, Jaques le fataliste et son maître, Paris et Genève, Librairie Droz, coll. «Textes littéraires français», 230, 1976, clxiii/501 p., p. 26. Édition critique par Simone Lecointre et Jean Le Galliot.

 

[Complément du 28 janvier 2018]

«Évoquant son père, Modeste Brouillon, qui tenta en vain toute sa vie de faire publier les histoires qu’il inventait pour ses enfants, Prosper se demande si cette inclination ne serait pas héréditaire : “Les femmes ont un clitoris”, affirme-t-il pour commencer (mais ses opinions n’engagent évidemment que lui). Et il poursuit ainsi : “N’aurions-nous pas dans la famille, de père en fils, une petite excroissance anatomique qui s’excite dès que résonnent les quatre mots magiques, il était une fois”, et qui se situerait dans l’oreille ? Ce sont des choses qui doivent pouvoir se vérifier.»

 

Éric Chevillard, Défense de Prosper Brouillon, Paris, Éditions Noir sur blanc, coll. «Notabilia», 2017, 101 p., p. 47. Illustrations de Jean-François Martin.

 

[Complément du 15 août 2019]

Variation sur un thème semblable dans le Libertin d’Éric-Emmanuel Schmitt (1997) :

Diderot (gêné). C’est au sujet des hommes et des femmes… (Il se décide.) Lorsqu’un homme et une femme font l’amour, qui éprouve le plus de plaisir ?

Mme Therbouche (du tac au tac). Lorsque vous vous grattez l’oreille avec le petit doigt, qui éprouve le plus de plaisir ? L’oreille ou le petit doigt ?

Diderot (sans réfléchir). L’oreille, naturellement.

Mme Therbouche. Donc vous avez la réponse. Adieu.

 

Éric-Emmanuel Schmitt, le Libertin, Paris, Albin Michel, 1997, 172 p., p. 151-152.

La liberté de PKP

Portrait de Fontenelle

Pierre Karl Péladeau est président et chef de la direction du groupe Quebecor (médias, imprimeries, télécommunications, etc.). On l’entend souvent chanter les mérites de la convergence et rappeler la prépondérance des contenus sur leurs canaux de diffusion dans l’économie médiatique contemporaine.

Hier soir, au gala célébrant le centième anniversaire du Devoir, il a fait preuve, dans son allocution, d’une grande liberté.

Envers la syntaxe, d’abord : beaucoup de ces phrases étaient bancales.

Envers l’histoire de la littérature, ensuite : il a associé Fontenelle, l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, et le quotidien montréalais. Le prétexte ? Fontenelle est mort quelques semaines avant d’avoir 100 ans, alors que le Devoir, lui, est bel et bien centenaire. Le rapport entre le XVIIIe siècle et le journal ? La liberté de penser (si l’Oreille tendue a bien compris). L’Encyclopédie ramenée au seul nom de Fontenelle ? Cela relève, c’est le moins qu’on puisse dire, du raccourci historique : Fontenelle n’a pas collaboré à l’entreprise, bien qu’il l’ait influencée.

Pierre Karl Péladeau a raison : les contenus sont importants.

Tu ?

Les études sur l’usage du tutoiement en littérature sont peu nombreuses (voir deux références ci-dessous). Il faut donc se réjouir de la parution récente d’un article de Catherine Volpilhac-Auger sur cette question, plus précisément sur l’utilisation du tu et du vous dans la traduction des textes antiques au XVIIe et, surtout, au XVIIIe siècle. Conclusions : «Étranger, et étrange, le tutoiement autorise les nuances, mais se présente aussi comme l’exception chez la plupart des traducteurs […]» (p. 561); «on ne peut que constater l’usage parcimonieux d’un tu réservé à des cas très exceptionnels […]» (p. 564).

Autre leçon à tirer de ce texte : «C’est dire que l’usage complémentaire du vous et du tu est ressenti, et cela sans grand changement jusqu’à l’époque révolutionnaire, comme une des ressources les plus fécondes du français, ou plutôt que le tutoiement, ressenti comme exceptionnel, ressortit à un mode toujours particulier d’expression, et toujours digne d’intérêt» (p. 557).

Spécialistes des lettres anciennes et modernes, au travail.

 

Références

Bray, Bernard, «Quelques remarques sur la deuxième personne épistolaire et sur son mode d’emploi», dans Anne Chamayou (édit.), Éloge de l’adresse. Actes du colloque de l’Université d’Artois. 02-03 avril 1998, Arras, Artois Presses Université, coll. «Cahiers scientifiques de l’Université d’Artois», 14, 2000, p. 15-25.

Grimaud, Michel, «Tutoiement, titre et identité sociale. Le système de l’adresse du Cid au Théâtre en liberté», Poétique, 77, février 1989, p. 53-75.

Volpilhac-Auger, Catherine, «De vous à toi. Tutoiement et vouvoiement dans les traductions au 18e siècle», Dix-huitième siècle, 41, 2009, p. 553-566.