C’est la faute à Voltaire

Benoît Garnot, Voltaire et Charlie, 2015, couvertureAu moment des attentats parisiens de janvier 2015, le nom de Voltaire a beaucoup circulé (voir ici).

L’historien Benoît Garnot s’est étonné de cette popularité, d’où son bref Voltaire et Charlie sorti des presses à la fin octobre.

Son objectif ?

La question posée est donc la suivante : Voltaire était-il vraiment un héros (un héraut aussi) de la tolérance, un chantre de la liberté d’expression, un défenseur de la justice, un parangon de la vérité ? Peut-on vraiment, sans se fourvoyer, faire encore référence à lui de nos jours quand les unes ou les autres sont menacées, comme ce fut le cas en janvier 2015 ?

Bref : Voltaire aurait-il été Charlie ? (p. 9)

Son verdict global ?

Voltaire n’était pas le héros (le héraut non plus) de la tolérance, le chantre de la liberté d’expression, le défenseur de la justice et le parangon de la vérité. On a tort de faire encore référence à lui de nos jours quand les unes et les autres sont menacées (p. 63).

Non, décidément, Voltaire n’était pas Charlie (p. 65).

Ce verdict d’ensemble prend appui sur des jugements thématiques (chaque chapitre portant sur un thème).

La tolérance ?

Le Traité sur la tolérance est un ouvrage bien moins tolérant et éclairé qu’on ne le dit en général (p. 15).

La liberté d’expression ?

Pour Voltaire, il n’est de véritable liberté d’expression que la sienne (p. 23).

La justice ?

L’affaire Beauregard montre, elle aussi, le peu de scrupules de Voltaire en matière de justice, lorsqu’il estime que ses intérêts sont en jeu (p. 43).

La vérité ?

une présentation de l’affaire [Martin] de plus en plus détachée de la réalité des faits, de sorte que son argumentation non seulement ne tient pas, mais pousse à douter de son honnêteté intellectuelle dans cette affaire (p. 51).

Les jugements sont sans appel.

En introduction, à deux reprises, Benoît Garnot déclare ne vouloir être ni le «contempteur» de Voltaire ni un de ses «dévots» (p. 8 et p. 9). Devant pareil portait-charge, il est pourtant difficile de le voir autrement qu’en contempteur. Pour lui, Voltaire est — en vrac — un conformiste, un intolérant, un jaloux («à son habitude», p. 23), un calomniateur, un flatteur (sensible à la flatterie), un incompétent (relatif) en matière de droit pénal, un menteur, etc. À qui le comparer ?

De sorte que la tolérance de Voltaire n’est pas seulement limitée, elle est aussi à géométrie variable. On est alors bien forcé de constater qu’il se rapproche davantage de la manière de faire des terroristes islamistes contemporains (mutatis mutandis évidemment), quoique d’une manière plus dissimulée, que de celle de Charlie Hebdo et surtout des manifestants du 11 janvier 2015 (p. 22).

Quand ce ne sont pas les «terroristes islamistes contemporains» qui sont évoqués, ce sont les lanceurs de fatwa (p. 28). Édifiant.

Se réclamant d’une «lecture exhaustive de l’œuvre immense (en quantité du moins) de Voltaire, en particulier des 15 284 lettres conservées (et publiées) de sa correspondance» (p. 9), tenant compte des marginalia de sa bibliothèque (p. 54), revenant sur plusieurs des «affaires» où il a joué un rôle (Calas, Sirven, La Barre, Perra, etc.), Benoît Garnot entend fonder son réquisitoire sur une lecture minutieuse de l’auteur. On peut donc juger sur pièce et argumenter, avec ou contre lui.

En revanche, quand celui qui défendait déjà des thèses semblables en 2009 dans «C’est la faute à Voltaire.» Une imposture intellectuelle ? s’en prend à Voltaire pour des sujets qu’il aurait pu traiter, mais qu’il n’a pas traités (p. 54-55), ou lorsqu’il attaque Voltaire pour l’influence qu’il a eue («Voltaire, que d’erreurs on a écrites en ton nom !», p. 60), la discussion est impossible. Comment reprocher à un auteur de ne pas avoir abordé un sujet ? Comment déplorer qu’il n’ait pas su ce que nous savons aujourd’hui ?

Le livre refermé, il reste une question, la seule vraie question d’actualité : pourquoi tant de personnes ont-elles eu besoin de Voltaire au début de 2015 ? Là-dessus, pas un mot.

 

Références

Garnot, Benoît, «C’est la faute à Voltaire.» Une imposture intellectuelle ?, Paris, Belin, coll. «Histoire & société», 2009, 157 p.

Garnot, Benoît, Voltaire et Charlie, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, coll. «Essais», 2015, 68 p.

Autopromotion 212

Épistolaire, 41, 2015, couverture

Depuis la nuit des temps, l’Oreille tendue collabore à Épistolaire, la revue de l’Association interdisciplinaire de recherches sur l’épistolaire. De sa chronique, «Le cabinet des curiosités épistolaires», elle a tiré un recueil en 2011, Écrire au pape et au Père Noël.

La 41e livraison d’Épistolaire vient de paraître. L’Oreille y parle d’Héloïse et Abélard dans la culture populaire.

Table des matières

Haroche Bouzinac, Geneviève, «Avant-propos», p. 5.

«Lettres d’Italie. Voyage de rêve, rêve de voyage»

Obitz-Lumbroso, Bénédicte, «Introduction», p. 9-11.

Richard-Pauchet, Odile, «Lettres d’Italie du président de Brosses, le paradoxe d’une “esthétique de la familiarité”», p. 13-24.

Pujalte-Fraysse, Marie-Luce, «Le voyage d’Italie chez les architectes français de la fin du XVIIIe siècle : l’idéal de la création artistique face à l’expérience voyageuse», p. 25-35.

Allorant, Pierre, «L’amour-médecin : lettres de Gênes de Jean-Jacques à Ursule Ballard, fiancés de l’an VII», p. 37-48.

Crinquand, Sylvie, «Byron et Shelley en Italie : représentations et réalités», p. 49-58.

Cseppentö, István, «Les lettres d’Italie de Chateaubriand : portrait de l’écrivain en peintre paysagiste», p. 59-68.

Janulardo, Ettore, «La sélection de la vision : lettres d’Italie de John Ruskin», p. 69-82.

Petit-Emptaz, Anne-Sophie, «Paul Klee — Lettres d’Italie. L’œil et l’intellect», p. 83-95.

Piantoni, Antoine, «“L’universelle dorure des choses” : les Lettres d’Italie de Charles Demange», p. 97-109.

De Vita, Philippe, «“Dans le décor d’une grande cocotte” : l’idéalisation de l’Italie dans la correspondance de Jean Renoir», p. 111-124.

«Diderot en correspondance (II)»

Buffat, Marc, Geneviève Cammagre et Odile Richard-Pauchet, «Avant-propos», p. 127-128.

«L’engagement»

Pérez, Valérie, «Diderot parrèsisate : la Correspondance comme pratique du dire-vrai», p. 133-142.

Pellerin, Pascale, «La Correspondance de Diderot ou les dessous de l’engagement intellectuel», p. 143-152.

Kovács, Eszter, «Le philosophe et le souverain : la leçon des lettres de Saint-Pétersbourg», p. 153-164.

Gatefin, Éric, «Diderot en marge de ses héros : la Lettre apologétique de l’abbé Raynal à M. Grimm au miroir de l’Essai sur les règnes de Claude et de Néron», p. 165-174.

Albertan-Coppola, Sylviane, «Entre la correspondance de Diderot et le Neveu de Rameau : les antiphilosophes», p. 175-186.

Treuherz, Nick, «Un athée vertueux ? L’image de D’Holbach dans la Correspondance de Diderot», p. 187-195.

Francalanza, Éric, «Diderot et Suard : le prisme de la Correspondance», p. 197-217.

«Éditer la correspondance de Diderot»

Khan, Didier, «Les labyrinthes du repentir. Corrections en tous genres dans les lettres autographes (1750-1760)», p. 221-236.

Bossuge, Emmanuel, «L’annotation de la correspondance de Diderot : quelques résultats d’un travail en cours», p. 237-248.

Dulac, Georges, «Diderot et la Russie : de l’importance de quelques correspondances absentes», p. 249-260.

«Perspectives épistolaires»

Maillard Despont, Aurélia, «L’archive d’Adèle D’Affry, duchesse de Castiglione Colonna ou la découverte de l’autre Marcello», p. 263-269.

De Vita, Philippe, «“Projeter cette pensée en éclats de vérité” : Godard épistolier sur le tournage de Détective», p. 271-285.

«Chroniques»

Michel, Pierre, «La correspondance d’Octave Mirbeau. Histoire d’une recherche», p. 289-298.

Cousson, Agnès (édit.), «Bibliographie de l’épistolaire», p. 299-333. Contributions de Luciana Furbetta, Benoît Grévin, Clémence Revest, Mawy Bouchard, Andrzej Rabsztyn, Nathalie Gibert, Sonia Anton et Benoît Melançon.

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», p. 335-337. Sur Abélard et Héloïse dans la culture populaire.

Charrier-Vozel, Marianne, «Vie de l’épistolaire», p. 339-344.

Richard-Pauchet, Odile, «Cher Père Noël… à l’université», p. 344-347.

«Recherche»

«Comptes rendus», p. 351-385.

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture