L’oreille tendue de… Flaubert

Gustave Flaubert, Madame Bovary, éd. de 1966, couverture

«On envoya chercher Lestiboudois, et M. Canivet, ayant retroussé ses manches, passa dans la salle de billard, tandis que l’apothicaire restait avec Artémise et l’aubergiste, plus pâles toutes les deux que leur tablier, et l’oreille tendue contre la porte.»

Gustave Flaubert, Madame Bovary, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 86, 1966, 441 p., p. 212. Chronologie et préface par Jacques Suffel. Édition originale : 1857.

Accouplements 150

Gustave Flaubert et Jean Echenoz, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

«La vie conne et fine de Gustave F. [épisode 6]», la Mer gelée, mars 2020.

«La mère des enfants se serait appelée Béatrice, Béa pour ses amis, rien à voir avec Christelle, ce nom de contrôleuse de l’URSSAF ou de gestionnaire de sinistres en assurances. Il aurait voyagé un temps, et connu aussi l’angoisse du ratage définitif, la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.»

Echenoz, Jean, Je m’en vais. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1999, 252 p.

«Il connaît la mélancolie des restauroutes, les réveils acides des chambres d’hôtels pas encore chauffés, l’étourdissement des zones rurales et des chantiers, l’amertume des sympathies impossibles» (p. 196).

Flaubert, Gustave, l’Éducation sentimentale. Histoire d’un jeune homme, Paris, Classiques Garnier, 1961, xii/473 p. Introduction, notes et relevé de variantes par Édouard Maynial. Édition originale : 1869.

«Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues» (p. 419).

P.-S.—En effet : ce n’est pas la première fois que l’Oreille tendue aborde les liens entre Jean Echenoz et Flaubert.

Accouplements 147

«Chambre du cœur de Voltaire», gravure de François Denis Née d’après un dessin de Duché, fin du XVIIIe siècle

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

De Santis, Pablo, le Calligraphe de Voltaire, Paris, Métailié, coll. «Bibliothèque hispano-américaine», 2004, 178 p. Traduction de René Solis. Édition originale : 2001.

«Je suis arrivé dans ce port avec peu de bagage : quatre chemises, mes instruments de calligraphie et un cœur dans un flacon de verre. Les chemises étaient reprisées et tachées d’encre, et mes plumes abîmées par l’air de la mer. Le cœur en revanche semblait parfaitement intact, indifférent au voyage, aux tempêtes, à l’humidité de la cabine. Les cœurs ne s’abîment que tant qu’ils vivent; ensuite, plus rien ne peut les atteindre» (p. 9).

Barbey d’Aurevilly, «À un dîner d’athées», dans les Diaboliques, 1874, disponible sur Wikisource.

«Je vous ai dit que le major Ydow avait eu, pour l’enfant qu’il croyait le sien, un amour paternel immense et, quand il l’avait perdu, un de ces chagrins à folies, dont notre néant voudrait éterniser et matérialiser la durée. Dans l’impossibilité où il était, avec sa vie militaire en campagne, d’élever à son fils un tombeau qu’il aurait visité chaque jour, — cette idolâtrie de la tombe ! — la major Ydow avait fait embaumer le cœur de son fils pour mieux l’emporter avec lui partout, et il l’avait déposé pieusement dans une urne de cristal, habituellement placée sur une encoignure, dans sa chambre à coucher. C’était cette urne qui volait en morceaux. […] L’abîme appelle l’abîme, dit-on. Le sacrilège créa le sacrilège. La Pudica, hors d’elle, fit ce qu’avait fait le major. Elle rejeta à sa tête le cœur de cet enfant, qu’elle aurait peut-être gardé s’il n’avait pas été de lui, l’homme exécré, à qui elle eût voulu rendre torture pour torture, ignominie pour ignominie ! C’est la première fois, certainement, que si hideuse chose se soit vue ! un père et une mère se souffletant tour à tour le visage, avec le cœur mort de leur enfant ! […] Voici donc ce qui me reste à dire, à Rançonnet et à toi : j’ai porté plusieurs années, et partout, comme une relique, ce cœur d’enfant dont je doutais; mais quand, après la catastrophe de Waterloo, il m’a fallu ôter cette ceinture d’officier dans laquelle j’avais espéré de mourir, et que je l’eus porté encore quelques années, ce cœur, — et je t’assure, Mautravers, que c’est lourd, quoique cela paraisse bien léger, — la réflexion venant avec l’âge, j’ai craint de profaner un peu plus ce cœur si profané déjà, et je me suis décidé à le déposer en terre chrétienne. Sans entrer dans les détails que je vous donne aujourd’hui, j’en ai parlé à un des prêtres de cette ville, de ce cœur qui pesait depuis si longtemps sur le mien, et je venais de le remettre à lui-même, dans le confessionnal de la chapelle, quand j’ai été pris dans la contre-allée à bras-le-corps par Rançonnet.»

 

Illustration : «Chambre du cœur de Voltaire», gravure de François Denis Née d’après un dessin de Duché, fin du XVIIIe siècle. Source : Gallica.

 

[Complément du 25 janvier 2023]

Jadis, l’Oreille tendue a publié un compte rendu du roman de Pablo de Santis. C’est ici.

Portrait en jouisseur

Marie d’Agoult, Premières années (1806-1827), éd. de 2009, couverture

«Chasseur paresseux, indolent joueur de whist, dormeur inéveillable, amateur de longs repas et de plaisirs commodes, volontiers loin de sa femme dont l’esprit vif et piquant fatiguait son flegme, [le prince Louis de La Trémoïlle] était attiré chez nous par les petits bois giboyeux, par la partie de whist établie en permanence au salon dans les jours de pluie, par les talents d’Adelheid [la cuisinière viennoise], et peut-être aussi par le mien qu’il mettait à contribution chaque soir après dîner en me demandant de lui jouer sur le piano ce qu’il appelait un joli petit air qui l’empêchait de s’endormir avant l’heure d’aller se coucher.»

Marie d’Agoult, Premières années (1806-1827), Paris, Gallimard, coll. «Folio 2 €», série «Femmes de lettres», 4875, 2009, 140 p., p. 57. Édition établie et présentée par Martine Reid.