Quand on s’attache à la langue, une menace plane : «l’oreille tendue, son visage exprimait de l’ennui, de la mauvaise humeur, voire un sentiment qui, sans être de l’inquiétude, y ressemblait» (les Inconnus dans la maison, p. 901).
Pour éviter cela, une solution : prendre congé de clavier.
L’Oreille tendue sera de retour dans une dizaine de jours.
Référence
Simenon, les Inconnus dans la maison, dans Romans. I, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 495, 2003, p. 893-1042 et 1442-1458. Édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis. Édition originale : 1940.
«Quand on eut dépassé Libreville, on vira de bord et quelques minutes plus tard on entrait dans la rivière en même temps que dans le soleil.»
Simenon, le Coup de lune, dans Romans. I, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 495, 2003, p. 319-437 et 1379-1398, p. 377. Édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis. Édition originale : 1933.
«Finalement pourtant, sans que je les cherche,
les “quelques arpents de neige” s’imposèrent à moi,
lors d’un voyage à la Côte Nord.»
(Henri Vernes, le Petit Journal, 4 avril 1965)
Tous le savent : pas de Bob Morane sans Bill Ballantine.
Tous ne le savent peut-être pas : l’auteur de la série des «Bob Morane», Henri Vernes, a campé trois de ses romans au Québec, le Diable du Labrador (1960), Terreur à la Manicouagan (1965) et Des loups sur la piste (1980). En 2012, le romancier Bryan Perro a regroupé ces trois œuvres sous le titre Bob Morane au Québec.
En couverture du recueil, dessinée par Carl Loiselle, deux personnages filent en motoneige, devant un barrage hydroélectrique.
Celui qui est derrière, fusil à la main, doit être Bob Morane; il était également armé sur la couverture de l’édition originale (Marabout, 1965). Celui qui conduit est nécessairement Bill Ballantine. Comment en être sûr ? Il est roux et, derrière le pare-brise endommagé, on voit clairement une bouteille sur laquelle on lit «77». Or le seul whisky que boit ce rouquin de Bill Ballantine — tous devraient le savoir — est du Zat 77.
Québec oblige, Ballantine porte un maillot des Canadiens, l’équipe de hockey de Montréal. Son numéro ? Le 4, comme celui que porte Jean «Le Gros Bill» Béliveau. Cela ne devrait pas nous étonner : «le commandant Morane et Bill Ballantine étaient des fervents du sport national canadien» (éd. de 2012, p. 164).
Bill et / en Bill.
P.-S. — Il y a plusieurs éditions de Terreur à la Manicouagan (1968, 1995, 2000…). Dans celle de 2000, on lit ceci : «On se souvenait, à Montréal, de cette mémorable soirée où, dans ce même Forum, également lors d’une rencontre pour le championnat professionnel de la ligue Nationale d’Amérique, les deux équipes en présence en étaient venues aux mains en une gigantesque bagarre à laquelle, aussitôt, s’étaient mêlés les joueurs de réserve, et qui avait ensuite gagné les gradins. Il avait fallu faire appel à la police et aux bombes lacrymogènes pour évacuer le stade, mais l’achaffourée [sic] s’était continuée au-dehors, se changeant en une émeute au cours de laquelle le quartier tout entier avait été mis à sac» (p. 112-113). L’édition de 2012 corrige le texte, en remplaçant «pour le championnat professionnel de la ligue Nationale d’Amérique» par «pour la finale d’Association», et «achaffourée» par «échauffourée» (éd. de 2012, p. 165). Il y avait pourtant plus important à corriger. Il y eut bel et bien une émeute, au Forum de Montréal, le 17 mars 1955 (c’est d’elle que Vernes parle, sans la nommer). En revanche, il n’y eut pas de «gigantesque bagarre», ni sur la glace ni dans les gradins, et la police n’a pas utilisé de «bombes lacrymogènes».
[Complément du 4 novembre 2014]
L’Oreille tendue vient de faire paraître une courte analyse de l’article du Petit Journal du 4 avril 1965 signé par Henri Vernes. Voir dans les références ci-dessous.
[Complément du 5 décembre 2014]
Dans la Presse du jour, le journaliste Daniel Lemay rapporte le contenu d’un entretien qu’il a eu avec Vernes au moment de la mort de Jean Béliveau :
Joint hier à Bruxelles, le célèbre auteur nous a raconté sa rencontre avec le grand hockeyeur.
«Au début des années 60, je suis allé au Québec pour Bob Morane, et mon guide était le père Ambroise Lafortune. Nous étions allés partout : dans le Grand Nord, chez les Indiens et au Forum de Montréal pour un match des Canadiens contre les Maple Leafs de Toronto. Là, on m’avait présenté à Jean Béliveau, qui m’avait offert sa crosse dédicacée.
«Comme je ne pouvais pas l’emporter dans l’avion, je l’avais offerte au fils de M. Kazan, le directeur de Marabout au Canada. J’ignore ce qu’il est advenu de cette crosse.»
Où qu’elle soit, elle vaut beaucoup d’argent… Comme le roman de Bob Morane qu’Henri Vernes a dédicacé à Jean Béliveau il y a 50 ans.
[Complément du 22 octobre 2018]
Philippe Girard publie en 2009 le roman graphique Tuer Vélasquez. On y voit le personnage de Philippe Girard traverser une adolescence difficile et être témoin des agissements d’un prêtre pédophile. Comment se donne-t-il «du courage» (p. 23) pour le dénoncer ? En tirant des leçons de la série des aventures de Jack Bowmore et de Glen Glenlivet publiée chez Marabout sous la signature d’Harry Barnes; les allusions à Bob Morane, à Bill Ballantine et à Henri Vernes sont transparentes. Il y a même un roman de la série qui s’intitule Panic à la Manic (p. 24).
[Complément du 25 janvier 2023]
Références
Girard, Philippe, Tuer Vélasquez, Montréal, Glénat Québec, 2009, 191 p.
Lemay, Daniel, «Jean Béliveau, acteur, auteur et lecteur», la Presse, 5 décembre 2014, p. A31.
Vernes, Henri, «Hommage de Henri Vernes au Québec nouveau. L’auteur de Bob Morane à la Manicouagan», le Petit Journal, 4 avril 1965, p. 62.
Vernes, Henri, Bob Morane au Québec. Le diable du Labrador. Terreur à la Manicouagan. Des loups sur la piste, Shawinigan, Perro éditeur, 2012, 445 p. Préface de Normand de Bellefeuille.
Vernes, Henri, Terreur à la Manicouagan, dans Bob Morane. L’intégrale 12, Bruxelles, Ananké, coll. «Volumes», 2000, p. 107-211. Ill.
Depuis plusieurs mois, la société québécoise est traversée de gros mots, qui commencent tous par la lettre c : corruption, collusion, collusionnaires, cartel, construction, commission, Charbonneau, construction, crime organisé, crosseurs, etc. (Ça ne va pas se calmer : les travaux de la Commission [québécoise] d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction reprennent aujourd’hui.)
Comment mettre fin à la morosité entraînée par pareils mots ? En leur opposant un mot constructif : transparence.
Pourquoi le chef du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau, avoue-t-il publiquement avoir fumé de la marijuana ? Par souci de transparence (la Presse, 23 août 2013, p. A2).
Que reproche-t-on à Stephen Harper ? De manquer de transparence. C’est du moins l’avis du commentateur politique Alec Castonguay sur Twitter : «Ça fait un bon moment que le gouv. Harper amène la transparence et les comm. vers le bas fond.» Pourtant, «Ottawa promet des réformes au nom de la transparence» (le Devoir, 11 août 2013, p. A1).
Non seulement, transparence est un mot avec lequel on ne saurait être en désaccord, il a aussi une dimension internationale. Partout dans le monde, on souhaite être transparent.
Le gouvernement américain a espionné ses propres citoyens ? Il est déchiré «Entre transparence et sécurité» (la Presse, 10 août 2013, p. A21).
La Chine fait un procès à un des anciens dirigeants ? «Procès de Bo Xilai, transparence ou propagande 2.0 ?» (la Presse, 27 août 2013, p. A13).
Vous êtes sur Facebook ? «“La transparence et la confiance sont des valeurs fondamentales chez Facebook”, a affirmé l’avocat général du groupe, Colin Stretch» (la Presse, 28 août 2013, p. A13).
Bref, le noir n’est plus la couleur à la mode. Soyez positifs ! Soyez transparents !
P.-S. — Il y a encore des sceptiques : «Les risques de la communication transparente» (la Presse, 29 août 2013, cahier Affaires, p. 4). Ils seront confondus.
[Complément du 28 juillet 2015]
Ceci, chez Jean-Marie Klinkenberg, dans la Langue dans la Cité (2015) : «Mais il faut assurément se défier du mot “communication”, un mot qui, avec son compère “transparence”, monte à notre firmament au fur et à mesure que les ténèbres s’épaississent autour de nous» (p. 21).
L’Oreille tendue a eu quelques occasions de l’écrire : il arrive qu’on lui indique des expressions qui seraient devenues populaires — faire du pouce sur, dans le fond —, alors qu’elle-même ne les a pas repérées.
Merci, lecteurs.
Elle savait que @PimpetteDunoyer en avait contre l’expression pas de côté.
j’entends que vous allez faire un pas de côté pour traiter hors de la boîte la problématique des expressions galvaudées ? (16 mai 2013).
MT @larrysa CHORÉGRAPHIE Sur nouvelle app du Monde on trouve “des pépites qui font faire au lecteur un pas de côté” (sic) (5 avril 2013).
Oh noooooon svp Épargnez vos étudiants et puis ensuite quoi vous allez adopter “Un pas de côté” puis “impacter” ? (27 février 2013).
Puis, en deux jours, l’Oreille tombe deux fois sur l’expression, dans la bouche d’un collègue historien, puis dans les pages du Devoir :
Cette saison, à 82 ans, [Jacques Laurin] s’offre un pas de côté en racontant sa vie dans Chroniques d’un homme heureux (18-19 mai 2013, p. F6).
Merci, lectrice. Bien vu.
[Complément du 15 décembre 2018]
Dans Tours & détours le retour. Les plus belles expressions du français de Belgique (2018), Michel Francard consacre un texte à «Faire un pas de côté» (p. 122-124). Il distingue l’emploi hexagonal et l’emploi québécois de l’expression — «Outre-Quiévrain et outre-Atlantique, une personne qui fait un pas de côté décide de prendre des distances avec une situation donnée, avec une routine qui s’est installée; cela, afin d’élargir ses horizons, de renouveler sa pratique, de mieux atteindre l’objectif fixé» (p. 123) — de l’emploi belge — «dans les attestations belges, il marque un arrêt — provisoire ou définitif — dans une carrière, dans l’exercice d’un mandat» (p. 124). Ajoutons encore ceci : «On la retrouve [cette expression] notamment en France et au Québec, où elle est très employée — au point parfois de susciter des commentaires agacés qui la rangent parmi les tics de langage à la mode» (p. 123). En effet.