Pigeon. Contribuable hexagonal fortuné qui refuse de se faire plumer par les mesures fiscales du gouvernement socialiste de François Hollande. Niche dans Facebook et Twitter (et parfois en Belgique). Synonyme : geonpi. Exemple : «Des “pigeons” à l’assaut du gouvernement français» (la Presse, 6 octobre 2012, p. A28).
Portrait sibyllin
«De taille et d’embonpoint, [le ministre Auguste Point] était à peu près le pendant du commissaire [Maigret], en plus carré, en plus dur, on aurait dit en plus paysan, et ses traits vigoureusement taillés, son nez fort et sa bouche faisaient penser aux têtes sculptées dans un marron d’Inde.»
Georges Simenon, Maigret chez le ministre, Genève, Édito-Service S. A., 1974, 167 p., p. 11. Édition originale : 1955.
Au carré
La nomenclature de la Base de données lexicographiques panfrancophone ne connaît pas le mot, non plus que le Dictionnaire de la langue québécoise (1980) de Léandre Bergeron et son Supplément (1981) ou le Petit Robert (édition numérique de 2010).
L’Oreille tendue l’a néanmoins entendu dans la bouche de @MadameChos à l’émission la Sphère de la radio de Radio-Canada le 8 septembre. Et elle l’a lu récemment sur Twitter chez @mpoulin, @kick1972 et @EmmaG.
Ce mot ? Malaisant.
Il s’emploie pour désigner un sentiment de malaise chez celui qui parle. On peut trouver malaisant de regarder un film ou une émission de télévision, d’entendre une conversation, d’assister à un événement.
Ce sentiment de malaise est toutefois redoublé devant le mot lui-même. D’où vient-il ? De France ? Le Glossaire de l’ancien parler gâtinais répertorie le mot, en un sens différent («malaisé, difficile»), mais pas le verbe malaiser; malaisant n’en serait donc pas le participe présent. Est-il construit sur le modèle de dérangeant, dont il partage le sens («Qui dérange, provoque un malaise moral, une remise en question») ?
Un mot du malaise, donc, qui crée un malaise étymologique. Un malaise au carré.
[Complément du 2 janvier 2014]
Dans le cadre de la revue télévisée annuelle Bye bye (télévision de Radio-Canada, 31 décembre 2013), on a prononcé (au moins) deux fois le mot malaisant au cours des quatorze premières minutes. Mise en abyme ?
[Complément du 7 juin 2014]
L’Oreille tendue avait l’impression que le mot était surtout en usage au Québec. Elle vient de l’entendre dans la bouche de Jean-Marc Lalanne, critique de cinéma à l’émission radiophonique le Masque et la plume de France inter (livraison du 1er juin 2014). Elle a maintenant un petit doute.
[Complément du 17 juillet 2014]
Dans le plus récent numéro de la revue Québec français (2014) , Ludmila Bovet retrace le parcours historique de malaisant et réfléchit à son sens. Conclusion : «Il n’y a pas de doute, malaisant est un mot utile; plus rapide, plus expressif qu’une périphrase du genre de “qui crée un malaise” ou “qui met mal à l’aise”. D’autre part, on ne peut le suspecter d’être un anglicisme. C’est vrai qu’il ne figure pas dans les dictionnaires français, mais le verbe malaiser a bel et bien été en usage dans l’ancien français; malaisant l’a été aussi dans certaines régions de France. Ce qui est intéressant, c’est qu’il resurgit avec un sens différent de celui qu’il avait autrefois. Ce nouveau sens est tout à fait conforme à ceux du verbe : “incommoder”, “gêner”, “tourmenter”, qui découlent de malaise, un état contraire à l’aise. […] Malaisant est peut-être malsonnant. On s’y habituera ou on l’oubliera» (p. 11).
[Complément du 29 décembre 2018]
Titre d’un article d’un grand quotidien belge : «“Malaisant” sacré nouveau mot de l’année par les lecteurs du “Soir”» (26 décembre 2018).
Explication de ce choix :
Pour Michel Francard, linguiste de l’UCL [Université catholique de Louvain], chroniqueur dans ces colonnes et président du jury du nouveau mot de l’année, la fortune de malaisant tient à son caractère «aisément compréhensible et facile à retenir». «En matière d’innovation lexicale, les jeunes jouent un rôle important, souligne Michel Francard. Le succès de malaisant l’illustre une nouvelle fois. De façon plus générale, je dirais que le terme a aussi l’avantage d’être bien en phase avec les temps que nous vivons, marqués par l’incertitude, la précarité, la violence. D’où le profond malaise que cela engendre dans notre société», ajoute-t-il.
Étymologie :
Il est à noter à cet égard que le terme est d’abord apparu au Québec où il s’est implanté avec la signification qu’on lui connaît désormais de ce côté de l’Atlantique. À l’époque, plusieurs linguistes s’étaient interrogés sur cet usage neuf avant de conclure notamment qu’il était lié à une économie, à une ellipse dans le jargon : il est en effet plus rapide et plus direct d’employer malaisant que de parler de situations «qui créent un malaise» ou qui «mettent mal à l’aise». «La diffusion de malaisant de ce côté de l’Atlantique est presque un retour aux sources, explique pour sa part Michel Francard. À l’origine de cet adjectif, il y a le verbe malaiser qui signifie “incommoder, gêner, tourmenter”. Il était connu dans l’ancienne langue française et il a survécu jusqu’à l’époque moderne dans certaines régions de France.»
Commentaire de Michel Francard sur Twitter :
Le "nouveau mot 2018" des Belges francophones rend hommage au Québec: "malaisant" a été priméhttps://t.co/T4pTPowkUH
— Michel Francard (@MichelFrancard) December 29, 2018
[Complément du 10 septembre 2019]
Il existe une hésitation chez certains devant l’emploi du mot. La typographie en est le signe.
Guillemets : «Or, ce rappel du principe “dura lex, sed lex” était à côté de la plaque. Le projet de loi 21 ne relevait ni du droit criminel ni du droit pénal. La police n’avait rien à faire là-dedans. De la part de la ministre de la Sécurité publique, c’était “malaisant”» (le Journal de Québec, 10 septembre 2019).
Italiques : «Malaisant, comme disent les jeunes» (Miniatures indiennes, p. 12).
Malaise, encore.
[Complément du 10 janvier 2021]
Variation sur le même thème : «Les résultats peuvent souvent être inquiétants et très divertissants et/ou mal à l’aisant et/ou complètement dangereux et/ou simplement stupides» (J’ai bu, p. 162).
[Complément du 29 août 2022]
Puisqu’il y a malaisant, il doit y avoir malaisance. Exemple tiré de la Presse+ du jour : «“Le mème “Dark Brandon” est mort d’un cas de malaisance extrême” (Le magazine Rolling Stone).»
Références
Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.
Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.
Bovet, Ludmila, «“Malaisant” : intrus ou revenant ?», Québec français, 172, 2014, p. 10-11. https://id.erudit.org/iderudit/71999ac
Hébert, François, Miniatures indiennes. Roman, Montréal, Leméac, 2019, 174 p.
Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.
Le zeugme du dimanche matin et de Simenon ?
«Les steaks étaient servis, les frites assez croustillantes.»
Georges Simenon, le Voleur de Maigret, Paris, Presses de la cité, coll. «Maigret», 44, 1967, 182 p., p. 33.
(Une définition du zeugme ? Par là.)
Mise en garde de saison
«À l’époque où il travaillait encore à la Voie publique, Maigret connaissait tous les voleurs à la tire, non seulement de Paris, mais ceux qui venaient d’Espagne ou de Londres à l’occasion des foires ou des grandes manifestations populaires.
C’est une spécialité assez fermée, qui comporte sa hiérarchie. Les as se dérangent seulement quand cela en vaut la peine, n’hésitent pas à traverser l’Atlantique pour une exposition universelle ou, par exemple, pour les Jeux Olympiques.»
Georges Simenon, le Voleur de Maigret, Paris, Presses de la cité, coll. «Maigret», 44, 1967, 182 p., p. 11. Édition originale : 1967.