«He was a rink rat […], only with nine Stanley Cup rings.»
En 1983, un jeune retraité du hockey, Ken Dryden, l’ancien gardien de but des Canadiens de Montréal, publie ses souvenirs de joueur sous le titre The Game. Il y décrit ses relations avec son entraîneur, Scotty Bowman. Le portrait (p. 35-46, p. 166-169) est sans concession :
If you ask the players who have played for Bowman if they like him, most will stand shocked, as if the thought never occurred to them, as if the question is somewhat inappropriate, as if the answer is entirely self-evident. No, they will say, Scotty Bowman may be a lot of things, but he is not someone you like. A few, usually those who played for him the longest but who now no longer do so, might brigthen and answer quickly, as if they had thought about it, maybe a lot about it, in the years since.
«Yeah sure, I, I really respect the guy. I really admire him. He sure did a lot for me» (p. 37).
Il ne viendrait jamais à l’esprit d’un ancien joueur de Bowman de dire l’avoir aimé («like»). Respecter, voire admirer, pour certains, oui — mais pas aimer. Dryden est de ceux qui admirent ce «brillant» entraîneur, «le meilleur de son époque» : «He is complex, confusing, misunderstood, unclear in every way but one. He is a brilliant coach, the best of his time» (p. 38). Plus simplement, et malgré tout : «I like him» (p. 46).
Trente-six ans plus, Dryden vient de faire paraître une biographie de Bowman, Scotty. A Hockey Life Like no Other (en traduction : Scotty. Une vie de hockey d’exception).
Si vous espérez lire des potins sur la vie dans les vestiaires des équipes dirigées par Bowman, passez votre chemin : ce livre n’est pas pour vous. Vous trouverez plus de renseignements dans The Game ou dans les souvenirs de Serge Savard, un coéquipier de Dryden, que vient de faire paraître Philippe Cantin.
Si vous souhaitez avoir accès à la vie privée de Bowman, passez itou votre chemin. À part l’enfance verdunoise fort longuement décrite («Scotty was a Verdun kid, not a Montreal kid», p. 25) et quelques allusions à la vie familiale de Bowman, ce n’est pas l’objet premier de ce livre. L’introspection, ce n’est pas son fort : «down deeper, where he doesn’t often dwell» (p. 259), d’autant que c’est un homme de peu de mots : «nouns and verbs, and the occasional adjective, are enough» (p. 338).
Vous voulez en savoir plus sur les relations entre Bowman et Dryden ? Encore une fois, pour l’essentiel, il en est assez peu question, sauf quand le gardien, le jour où il s’est pris pour une diva, a été ramené à l’ordre par l’entraîneur (p. 185). Autrement, on est dans l’exercice d’admiration : pour Dryden, Bowman est le plus grand entraîneur de l’histoire du hockey, peut-être le plus grand entraîneur tous sports confondus (1244 victoires, 9 coupes Stanley).
De quoi s’agit-il alors ? Des réflexions de quelqu’un qui s’intéresse au hockey depuis… la fin des années 1930. Bowman, qui est né en 1933, est «a hockey watcher» (p. 260). C’est d’abord et avant tout l’entraîneur qui parle, dans des chapitres alternés : les uns sont biographiques (sa vie professionnelle), les autres sont des réflexions sur les huit plus grandes équipes que Bowman a vu jouer. Dans les derniers chapitres, Dryden et Bowman imaginent une série de matchs entre ces équipes pour désigner la plus grande de tous les temps. (Non, vous ne saurez pas laquelle.) Pour arriver à cela, ils ont conversé pendant des heures.
Observant le hockey sur plusieurs décennies, Bowman présente des équipes (voyez son évocation des Canadiens de Montréal de 1955-1956, p. 77-105), des joueurs (par exemple Jonathan Toews, p. 316 et suiv.) ou des administrateurs (au premier chef desquels Sam Pollock, son mentor, p. 187-193). Il fait aussi bien l’histoire du hockey, qui s’est beaucoup transformé sous ses yeux (sportivement, médiatiquement, économiquement), que celle du travail d’entraîneur : entre les entraîneurs du passé et ceux d’aujourd’hui, tout a changé, tant en matière de stratégie que d’informations disponibles. Sur ce double plan, le chapitre probablement le plus révélateur est le seizième : désormais retraité pour de bon du métier d’entraîneur, Bowman continue, à 86 ans, à suivre des masses de matchs pour essayer de comprendre l’évolution de son sport, cela dans ses aspects les plus fins.
On apprend donc des masses de choses à la lecture de Scotty. Cela étant, on notera que Ken Dryden n’est pas un auteur pressé, qu’il aime les détails, qu’il s’essaie parfois à des comparaisons laborieuses — entre Verdun, Québec et Verdun, France (p. 22-23) ou entre le défenseur Tim Horton et le café Tim Hortons (p. 351). Comme l’objet de son livre souffre d’une mémoire phénoménale, on se perd à l’occasion dans les anecdotes. Un lecteur qui a grandi dans les années 1970 à Montréal, quand Bowman y entraînait une équipe fabuleuse avec Dryden dans les buts, s’étonnera de l’absence d’un portrait de Guy Lafleur : Bowman reconnaît sa valeur, mais n’explique pas comment il a réussi à faire éclore ce joueur dont le début de carrière avait été si laborieux.
En 1983, Dryden disait aimer Bowman. Cela n’a pas changé, mais on voit désormais beaucoup mieux pourquoi.
P.-S.—Oui, ce Scotty-là.
P.-P.-S.—À Radio-Canada, à l’émission le 15-18, au micro d’Annie Desrochers, vendredi dernier, l’Oreille est allée discuter du livre. Ça s’écoute ici.
Références
Cantin, Philippe, Serge Savard. Canadien jusqu’au bout, Montréal, KO Éditions, 2019, 487 p. Ill. Avant-propos de Serge Savard.
Dryden, Ken, The Game. A Thoughtful and Provocative Look at a Life in Hockey, Toronto, Macmillan of Canada, 1984, viii/248 p. Édition originale : 1983.
Dryden, Ken, Scotty. A Hockey Life Like no Other, Toronto, McClelland & Stewart, 2019, viii/383 p. Ill. Traduction : Scotty. Une vie de hockey d’exception, Montréal, Éditions de l’Homme, 2019, 439 p. Préface de Robert Charlebois.