Les chandails de Roch Carrier

Roch Carrier, le Chandail de hockey, éd. de 1984, couverture

«But watch this here replay that shows the ref had absolutely
no reason to call a penalty on Carrier for wearing the wrong sweater
Keith Harrison, World Hockey Supremacy (A Transcript), 1998

L’écrivain Roch Carrier a beaucoup écrit sur Maurice Richard, le plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey au monde, les Canadiens de Montréal.

En 1970, dans le roman Il est par là, le soleil, Philibert saute sur la glace du Forum de Montréal pour venger son idole, injustement attaquée par un joueur des Maple Leafs de Toronto (p. 52-55). En 2000, Carrier publie le Rocket, à la fois biographie et ode à un héros. Entre ces deux dates paraît un conte, «Une abominable feuille d’érable sur la glace», qui sera voué à un étonnant retentissement pancanadien sous le titre le Chandail de hockey / The Hockey Sweater. Roy MacGregor a rappelé le contexte de sa rédaction, d’abord pour la radio, dans les pages du Globe and Mail en décembre 2018.

L’intrigue du conte est simple. Le narrateur, dans son petit village rural du Québec des années 1940 — le Sainte-Justine décrit par John Willis en 2018 —, est un fan fini de Maurice Richard, dont il porte le chandail, le numéro 9. Quand vient le moment fatidique de remplacer ce chandail devenu trop vieux, sa mère écrit de sa plus belle plume à Mr. Eaton, celui du catalogue de vente par correspondance, pour en obtenir un nouveau. Son anglais n’est pas ce qu’il devrait être : elle commande en français et, au lieu du chandail tricolore, son fils reçoit le chandail honni entre tous, celui des Maple Leafs de Toronto. Voilà qui explique le titre original : par respect pour les valeurs maternelles, il portera «Une abominable feuille d’érable sur la glace», celle de la patinoire. Devant neuf «Maurice Richard en bleu, blanc, rouge» (éd. de 1979, p. 80), il sera ostracisé par les autres enfants, le chef d’équipe et le vicaire-arbitre. Il en sera fort marri.

La postérité de ce conte est phénoménale.

Il a été traduit en anglais par Sheila Fischman. Sheldon Cohen en a tiré un court métrage d’animation pour l’Office national du film du Canada, le Chandail / The Sweater, dont Carrier assure la narration, en anglais et en français (1980). Quand Maurice Richard meurt, en 2000, la revue les Canadiens lui rend hommage. Quelle image les services financiers Desjardins reproduisent-ils dans leur publicité commémorative ? Un tableau illustrant le conte : «On est tous des “Rocket” Richard», dit la légende (p. 2). L’astronaute canadien Robert Thirsk en avait apporté un exemplaire lors de sa mission à bord de la Station spatiale internationale en 2009. Il a ses entrées dans Wikipédia, en français, en anglais et en allemand. L’Orchestre symphonique de Toronto en a proposé une adaptation musicale pour son 90e anniversaire, en 2012. Cinq ans plus tard, dans le cadre des célébrations du 375e anniversaire de Montréal, le Centre Segal de Montréal présentait la comédie musicale The Hockey Sweater : A Musical et celle-ci est appelée à être reprise. Son livret a été conçu par Emil Sher, avec des musiques et paroles de Jonathan Monro, dans une mise en scène de Donna Feore.

«Le chandail de hockey», sous sa forme écrite, sert de matériel pédagogique aussi bien en Colombie britannique et en Ontario qu’en Alberta et au Québec (Côté 1999; Bédard et Roy Robert 2006; Fradette 2010). Le didacticiel le Chandail de hockey / The Hockey Sweater (cédérom, 2006), destiné à l’enseignement du français ou de l’anglais langue seconde au Canada, s’appuie sur le court ménage d’animation de Cohen (Caws 2007; Serres 2008). Comme l’écrit Pasha Malla dans les pages du magazine The New Yorker en 2015, «Roch Carrier’s “The Hockey Sweater” is a foundational text in almost every Canadian classroom».

Des écrivains s’approprient le texte. En 2002, David Bouchard, sous le titre That’s Hockey, en propose une lecture féministe. Le narrateur de Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey (2013) reçoit, d’un cousin ontarien, «le vrai équipement des Maple Leafs de Toronto».

Quand j’ai vu ça, j’ai dit à maman que jamais de la vie je porterais ça et j’ai pleuré pour être sûre qu’elle comprenne vite. Mais elle a dit que c’était excessivement bébé de pleurer pour une histoire d’équipement bleu et que c’était sûrement arrivé à d’autres avant moi et qu’il n’y avait pas de quoi faire une histoire avec ça (p. 110).

Inutile de préciser que, parmi ces «autres», il y a eu Roch Carrier et qu’il en a fait, lui, «une histoire».

Les premières lignes du «Chandail de hockey» ont été lisibles pendant des années sur le billet de banque de cinq dollars de la monnaie canadienne. D’un côté, un portrait de sir Wilfrid Laurier, premier ministre du Canada de 1896 à 1911. De l’autre, une scène (évidemment) hivernale : à gauche, une petite fille glisse en toboggan et un adulte initie un enfant au patinage; à droite, sur fond de sapins enneigés, quatre enfants jouent au hockey; au centre, une petite fille qui manie le bâton et la rondelle, chandail numéro 9 sur le dos, le numéro immortalisé par celui qu’on a surnommé le Rocket; sous l’image de la jeune fille, ces phrases (nécessairement) bilingues :

Les hivers de mon enfance étaient des saisons longues, longues. Nous vivions en trois lieux: l’école, l’église et la patinoire; mais la vraie vie était sur la patinoire.
Roch Carrier
The winters of my childhood were long, long seasons. We lived in three places — the school, the church and the skating-rink — but our real life was on the skating-rink.

Ce sont les premières lignes du «Chandail de hockey». (Elles apparaissent en exergue au premier chapitre de la Surface de jeu, d’Hugo Beauchemin-Lachapelle, en 2020 [p. 18].)

Dans une photo officielle des Canadiens de Montréal, on voit Maurice Richard faire la lecture à ses petites filles : il leur lit un autre ouvrage pour la jeunesse, Un bon exemple de ténacité. Maurice Richard raconté aux enfants, mais, sur la table de chevet, le chandail de hockey est bien en vue (les Canadiens, p. 47). Voilà qui ne devrait pas étonner : selon Michael A. Peterman, il s’agit du «récit le plus populaire sur le hockey au pays» (2007, p. 154). Dans le quotidien The Globe and Mail, en 2014, Roy MacGregor va plus loin : c’est «the best-known, most-honoured short story this country has known», pas seulement dans le domaine du hockey, mais en général. On le dit plus volontiers au Canada anglais qu’au Québec : voilà une œuvre classique. Selon Anne Hiebert Alton, c’est «a symbol of Canadian identity» (2002, p. 5). Pour Amy J. Ransom, il s’agit d’«a beloved classic» (2014, p. 18 et p. 181) et d’une «beloved story» (p. 21). En 2001, l’ancien gardien de but Ken Dryden parlait de «perfect little book»; en 2019, il évoquait «the children’s classic» (2019, p. 42). Signalons toutefois, a contrario, un éloge publié par Louis Cornellier en 2019 : «Le chandail de hockey est […] un chef-d’œuvre, dont la portée dépasse la trame du sympathique récit narré par l’auteur.»

Pourquoi ce succès ? Quand Carrier publie son conte, il n’y a pas, comme aujourd’hui, des dizaines de textes sur le sport destinés à la jeunesse; il fait figure de pionnier, voire de modèle. Le texte est bref. Sa trame narrative repose sur une série d’oppositions tranchées et dès lors faciles à interpréter : les parents et les enfants, Montréal et Toronto, le français et l’anglais, les francophones et les anglophones, les Canadiens et les Maple Leafs, le jeune homme et le religieux plus vieux que lui. «Une abominable feuille d’érable sur la glace» reprend les grands traits du récit collectif sur le hockey : on découvre ce sport durant l’enfance, on le pratique à l’extérieur, il nourrit l’identité nationale, c’est un rituel (à côté de l’école et de l’Église). Le narrateur et ses coéquipiers s’identifient à une figure positive, tant chez les francophones (surtout) que chez les anglophones, Maurice Richard, qu’ils essaient d’imiter dans son apparence et dans son jeu. La morale du texte se résumerait ainsi : il faut aller au-delà des apparences pour découvrir ce qui nous unit les uns aux autres. N’est-ce pas son absence de complexité qui garantit la permanence du texte le plus connu de Roch Carrier ?

Le conte date de 1979. La dernière fois que les Canadiens ont affronté les Maple Leafs en séries éliminatoires ? La même année. La prochaine ? Ce soir. Dave Stubbs n’a pas manqué de faire le rapprochement.

P.-S.—Non, ni ce relevé ni la bibliographie qui suit ne sont exhaustifs.

P.-P.-S.—Foi d’Oreille tendue, Roch Carrier aurait prêté sa voix à une publicité hockeyistique télévisée en 2014.

 

Message d’enfant tiré de Maurice Richard. Paroles d’un peuple, 2008, p. 61

Illustration tirée de Michel Foisy et Maurice Richard fils, Maurice Richard. Paroles d’un peuple, 2008, p. 61

 

[Complément du 21 novembre 2021]

En 2019, les Éditions Petit homme republient l’album de Carrier et Cohen. En quatrième de couverture, on trouve deux citations : «Un classique. — The New York Times»; «La meilleure nouvelle canadienne jamais écrite. — The Globe and Mail». La première se défend; la seconde, moins.

 

[Complément du 6 décembre 2021]

Pour Sandra Chang-Kredl (2008), le conte de Carrier est un «trésor national du Canada» («one of Canada’s national treasures», p. 31).

 

[Complément du 26 janvier 2023]

La Banque Scotia souhaite lutter contre plusieurs aspects de la culture du hockey au Canada, notamment son manque de diversité. Pour ce faire, elle a conçu une publicité télévisée pour chanter les mérites de l’ouverture envers diverses communautés (les homosexuels, les jeunes filles, les «communautés culturelles», les Premières nations, etc.).

Elle a aussi publié un livre pour enfants, texte de Jael Richardson, avec Eva Perron, illustrations de Chelsea Charles : après The Hockey Sweater, il y a désormais The Hockey Jersey.

 

Références

Alton, Anne Hiebert, «The Hockey Sweater : A Canadian Cross-Cultural Icon», Papers : Explorations into Children’s Literature, 12, 2, 2002, août 2002, p. 5-13. https://search.informit.org/doi/10.3316/ielapa.200210512

Beauchemin-Lachapelle, Hugo, la Surface de jeu. Roman, Montréal, La Mèche, 2020, 276 p.

Bédard, Frédéric et Cynthia Roy Robert, «Hockey et lecture», Québec français, 143, automne 2006, p. 71-73. https://id.erudit.org/iderudit/49498ac

Bouchard, David, That’s Hockey, Victoria, Orca Book Publishers, 2002, [s.p.]. Illustrations de Dean Griffiths. Version française : Ça, c’est du hockey !, Montréal, Les 400 coups, 2004, 31 p. Traduction de Michèle Marineau.

Les Canadiens, 15, 7, saison 1999-2000, 106 p. Ill. Édition spéciale. Dossier «Maurice Richard 1921-2000».

Carrier, Roch, Il est par là, le soleil. Roman, Montréal, Éditions du jour, coll. «Romanciers du jour», R-65, 1970, 142 p. Rééditions : Montréal, Stanké, coll. «10/10», 35, 1981, 160 p.; dans Presque tout Roch Carrier, Montréal, Stanké, 1996, 431 p.; Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 206, 2009, 89 p.

Carrier, Roch, «Une abominable feuille d’érable sur la glace», dans les Enfants du bonhomme dans la lune, Montréal, Stanké, 1979, p. 75-81. Repris sous le titre le Chandail de hockey, Montréal, Livres Toundra, 1984, [s.p.]; Montréal, Éditions Petit homme, 2019, [s.p.]. Avec des illustrations de Sheldon Cohen. Repris partiellement dans Chrystian Goyens et Frank Orr, avec Jean-Luc Duguay, Maurice Richard. Héros malgré lui, Toronto et Montréal, Team Power Publishing Inc., 2000, p. 145.

Carrier, Roch, «The Hockey Sweater», dans The Hockey Sweater and Other Stories, traduction de Sheila Fischman, Toronto, Anansi, 1979, p. 75-81. Repris dans The Hockey Sweater, Montréal, Tundra Books, 1984, [s.p.]. Avec des illustrations de Sheldon Cohen. Repris dans Doug Beardsley (édit.), Our Game. An All-Star Collection of Hockey Fiction, Victoria, Polestar Book Publishers, 1997, p. 15-17, partiellement, dans Chrys Goyens et Frank Orr, avec Jean-Luc Duguay, Maurice Richard. Reluctant Hero, Toronto et Montréal, Team Power Publishing Inc., 2000, p. 146 et dans Michael P.J. Kennedy (édit.), Words on Ice. A Collection of Hockey Prose, Toronto, Key Porter Books, 2003, p. 47-50.

Carrier, Roch, le Rocket, Montréal, Stanké, 2000, 271 p. Réédition : le Rocket. Biographie, Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 2009, 425 p. Version anglaise : Our Life with the Rocket. The Maurice Richard Story, Toronto, Penguin / Viking, 2001, viii/304 p. Traduction de Sheila Fischman.

Caws, Catherine, «Review of Le Chandail de hockey CD-ROM», Language Learning & Technology, 11, 3, octobre 2007, p. 29-37. Ill. http://dx.doi.org/10125/44116

Le Chandail de hockey / The Hockey Sweater, cédérom, 3D Courseware/ Les Éditions 3D, 2006. Conception de Donna Mydlarski, Dana Paramskas, André Bougaïeff et Larry Katz. Contient le film d’animation le Chandail / The Sweater de Sheldon Cohen (1980).

Chang-Kredl, Sandra, «What Does Quebec Want ? The Hockey Sweater as Canadian Identity : A Contemporary Reading», Taboo : The Journal of Culture and Education, 12, 1, décembre 2008, p. 17-32. https://doi.org/10.31390/taboo.12.1.05

Cohen, Sheldon, le Chandail / The Sweater, film d’animation de 10 minutes, 1980. Production : Office national du film du Canada.

Cornellier, Louis, «La Sainte Trinité québécoise», article électronique, Présence. Information religieuse, 15 octobre 2019. http://presence-info.ca/article/opinion/la-sainte-trinite-quebecoise

Côté, Jean-Denis, «Place au hockey !», Québec français, 114, été 1999, p. 82-85. https://id.erudit.org/iderudit/56195ac

Donegan Johnson, Ann, Un bon exemple de ténacité. Maurice Richard raconté aux enfants, [s.l.], Grolier, coll. «L’une des belles histoires vraies», 1983, 62 p. Illustrations de Steve Pileggi. Version anglaise : The Value of Tenacity. The Story of Maurice Richard, La Jolla, Value Communications, coll. «ValueTale», 1984, 62 p.

Dryden, Ken, «Sports. What could Mr. Eaton have been thinking ?», The Globe and Mail, 13 octobre 2001, p. D8. https://www.theglobeandmail.com/arts/what-could-mr-eaton-have-been-thinking/article763583/

Dryden, Ken, Scotty. A Hockey Life Like no Other, Toronto, McClelland & Stewart, 2019, viii/383 p. Ill. Traduction : Scotty. Une vie de hockey d’exception, Montréal, Éditions de l’Homme, 2019, 439 p. Préface de Robert Charlebois.

Foisy, Michel et Maurice Richard fils, Maurice Richard. Paroles d’un peuple, Montréal, Octave éditions, 2008, 159 p. Ill.

Fradette, Marie, «Le sport dans la littérature de jeunesse : représentations, valeurs et discours», Québec français, 157, printemps 2010, p. 43-46. https://id.erudit.org/iderudit/61508ac

Harrison, Keith, «World Hockey Supremacy (A Transcript)», Textual Studies in Canada. Canada’s Journal of Cultural Literacy / Études textuelles au Canada. Revue de l’éducation culturelle au Canada, 12, 1998, p. 19-23.

MacGregor, Roy, «The Hockey Sweater : An Enduring Simplicity», The Globe and Mail, 17 janvier 2014. https://www.theglobeandmail.com/sports/hockey/the-hockey-sweater-an-enduring-simplicity/article16397859/

MacGregor, Roy, «Roch Carrier’s The Hockey Sweater is a Constant Thread of Canadian Culture», The Globe and Mail, 7 décembre 2018. https://www.theglobeandmail.com/sports/article-an-allegory-about-canada-keeps-finding-new-life/

Malla, Pasha, «Too Different and Too Familiar : The Challenge of French-Canadian Literature», The New Yorker, 26 mai 2015. https://www.newyorker.com/books/page-turner/too-different-and-too-familiar-the-challenge-of-french-canadian-literature

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Peterman, Michael A., «Les livres et autres écrits sur le sport», dans Carole Gerson et Jacques Michon (édit.), Histoire du livre et de l’imprimé au Canada. Volume III. De 1918 à 1980, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2007, p. 151-154.

Ransom, Amy J., Hockey, P.Q. Canada’s Game in Quebec’s Popular Culture, Toronto, University of Toronto Press, 2014, ix/265 p.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Serres, Linda de, «Analyse du didacticiel Le chandail de hockey», article électronique, Alsic, 11, 2, 2008. Ill. https://doi.org/10.4000/alsic.507

The Hockey Jersey, IndigoPress, 2023, 36 p. Texte de Jael Richardson, avec Eva Perron. Illustrations de Chelsea Charles.

Willis, John, «In the Beginning Was the Sweater : L’abominable feuille d’érable of Ste-Justine», dans Jenny Ellison et Jennifer Anderson (édit.), Hockey. Challenging Canada’s Game. Au-delà du sport national, Gatineau et Ottawa, Musée canadien de l’histoire et Presses de l’Université d’Ottawa, coll. «Mercury», série «History Paper», 58, 2018, p. 85-96.

Claude Provost (1933-1984)

Portrait de Claude Provost

Claude «Jos» Provost a été ailier droit pour les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — de 1955 à 1970. Ceux qui se souviennent encore de lui ont à l’esprit l’image d’un joueur appelé à couvrir les meilleurs joueurs de l’équipe adverse, notamment Bobby Hull, dont il était «l’ombre». Aujourd’hui, on dirait peut-être de lui que c’est un «plombier».

Malgré l’oubli relatif dans lequel il est tombé, il a eu une belle carrière : neuf coupes Stanley, dont cinq de suite; première équipe d’étoiles de la Ligue nationale de hockey en 1964-1965; trophée Bill-Masterton en 1967-1968; participation à onze matchs des étoiles de la LNH. Il a côtoyé de très grands joueurs : Maurice Richard, Jean Béliveau, Jacques Plante, Doug Harvey, Henri Richard (dont Provost a été très proche, comme le rappellent Denis Richard et Léandre Normand).

La culture s’est peu souvenue de lui : pas de chanson, aucune bande dessinée, peu de films (Peut-être Maurice Richard, 1971). Les prosateurs ont à peine été moins chiches. Provost fait une apparition dans Arvida, de Samuel Archichald (p. 221). Claude Dionne, en 2012, se souvient, sans le nommer, du joueur qui «se dégantait, comme la bigote avant de plonger le bout de ses doigts dans le bénitier de marbre, et se signait maladroitement avant de poser le patin sur la glace» (p. 36). Chez Marc Robitaille, on apprend qu’il fumait le cigare (p. 26). Il donne son nom au personnage principal de la Surface de jeu (2020).

En fait, Claude Provost n’avait plus qu’un seul vrai fan : l’écrivain, anthropologue, conférencier et homme de radio Serge Bouchard. Dans son plus récent recueil de textes, Un café avec Marie (2021), Bouchard consacre un texte à Provost, «Le chandail numéro 14 des Canadiens de Montréal» (p. 30-32), texte qu’il a d’abord lu à l’émission C’est fou… L’éloge est absolu : «Son visage inoubliable devrait se retrouver en trois dimensions au plafond du centre Bell. C’est lui, le vrai fantôme du Forum, la gueule du sacrifice, la gueule du gagnant» (p. 32). Provost était petit, massif, travaillant, fier — comme Serge Bouchard.

Serge Bouchard vient de mourir. Il va manquer à l’Oreille tendue.

P.-S.—Voir aussi «Claude Provost», dans Les corneilles ne sont pas les épouses des corbeaux (2005) :

Le joueur de hockey de ma jeunesse, c’était Claude Provost, le numéro 14 des Canadiens. Il n’était pas grand, il n’était pas gros. Éloge du tocson, du plus large que long, jambes arquées, larges épaules, tête frisée, nez brisé et un cœur gros comme un tour du chapeau. Il n’était même pas beau, mon Claude Provost. Il jouait dans l’ombre des plus grandes légendes. Il boitait plus qu’il ne patinait. C’était pourtant le dieu des cols bleus sur la patinoire du Forum (p. 131).

 

[Complément du 3 janvier 2023]

Ajoutons Martin Sasseville aux fans de Provost. Dans une de ses contributions pour le Meilleur de La vie est une puck, il rend hommage à la fois au joueur de hockey et à Serge Bouchard : «Est-ce que Claude Provost, ancien coéquipier de Jean-Claude Tremblay, ne serait pas plutôt ce plus grand joueur oublié de l’histoire ?» (p. 215)

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Beauchemin-Lachapelle, Hugo, la Surface de jeu. Roman, Montréal, La Mèche, 2020, 276 p.

Bouchard, Serge, Les corneilles ne sont pas les épouses des corbeaux, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2005, 272 p.

Bouchard, Serge, Un café avec Marie, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2021, 270 p.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

Gravel, Mathieu, Étienne Hallé, Benoit Harbec et Martin Sasseville, le Meilleur de La vie est une puck. Une collection de quelques-uns des meilleurs textes, billets, articles ou niaiseries parus sur le blogue La Vie Est Une Puck depuis sa création en 2009, (s.l.), La vie est une puck, 2022, 284 p. Ill.

Richard, Denis, en collaboration avec Léandre Normand, Henri Richard. La légende aux 11 coupes Stanley, Montréal, Éditions de l’Homme, 2020, 234 p. Ill. Préface de Ronald Corey. Avant-propos de Léandre Normand.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Le Rocket et le prince

La reine Élisabeth II, le prince Philip, le gouverneur général Vincent Massey, Lucille et Maurice Richard, 1959, Rideau Hall, Ottawa

Philip Mountbatten, duc d’Édimbourg, est mort aujourd’hui. Quel lien peut-il bien avoir avec Maurice «Le Rocket» Richard, le célèbre numéro 9 des Canadiens de Montréal — c’est du hockey ? Leurs chemins se sont croisés à quelques reprises.

La future reine du Canada, Élisabeth, et son mari, ledit prince Philip, assistent à un match des Canadiens le 29 octobre 1951, au Forum de Montréal. Ils verront Richard marquer deux buts, ses 298e et 299e. Selon Jean-Marie Pellerin (1976, p. 172), le prince aurait alors adressé ces mots à l’ailier droit : «Nice going, Rocket» (Bien joué, Rocket). L’année suivante, le Rocket enverra au couple royal la rondelle de son 325e but (p. 201).

Richard rencontrera le couple devenu royal en 1959. D’après Robert Rumilly (1978, vol. 2, p. 697), le 24 juin, le yacht royal Britannia accoste à Montréal et un dîner est organisé à bord, auquel participent le maire de Montréal Sarto Fournier, le quart-arrière des Alouettes Sam Etcheverry et Maurice Richard — les deux sportifs avaient auparavant participé au défilé de la Saint-Jean. (Une recherche très rapide dans les journaux de l’époque ne permet pas de confirmer les dires de Rumilly.) Le 1er juillet, à Rideau Hall, rebelote : le prince et le scoreur «parlèrent évidemment de hockey, pendant que Mme Richard et la reine parlaient de leurs enfants et leur éducation», dixit Jean-Marie Pellerin (p. 456).

Le prince Philip, en 1999, se souviendra du match de 1951 quand, sur papier à en-tête de Buckingham Palace, il félicitera publiquement le Rocket au moment du dévoilement de la télésérie Maurice Richard.

Tous les chemins mènent au Rocket.

 

Références

Maurice Richard. Histoire d’un Canadien / The Maurice Rocket Richard Story, docudrame de quatre heures en deux parties, 1999 : 1921; 1951. Réalisation : Jean-Claude Lord et Pauline Payette. Production : L’information essentielle.

Pellerin, Jean-Marie, l’Idole d’un peuple. Maurice Richard, Montréal, Éditions de l’Homme, 1976, 517 p. Ill. Rééd. : Maurice Richard. L’idole d’un peuple, Montréal, Éditions Trustar, 1998, 570 p. Ill.

Rumilly, Robert, Maurice Duplessis et son temps, Montréal, Fides, coll. «Bibliothèque canadienne-française. Histoire et documents», 1978, 2 vol. : tome I (1890-1944), 720 p.; tome 2 (1944-1959), 747 p. Ill.

Il faut toujours dire la vérité aux enfants

Lucie Papineau, la Légende de Maurice Richard, 2020, couverture

Ses lecteurs le savent : l’Oreille tendue a consacré beaucoup de temps à Maurice Richard — c’est du hockey. (Voir ici.)

Apprenant la parution de la Légende de Maurice Richard, le petit garçon qui devint le Rocket, un album destiné aux «3 ans et +», signé par Lucie Papineau (aux textes) et Caroline Hamel (aux dessins), elle est donc allée jeter un œil. Elle ne s’attendait évidemment pas à des révélations — elle en a passé l’âge —, mais elle a quand même été étonnée par autant d’erreurs et d’imprécisions en si peu de pages.

La publicité représentée p. 8, celle de Dr Pepper, comporte le slogan «Tree good times»; ce devrait être «Three good times». À la page suivante, il y a «Bigger. Bitter», alors que ce devrait être «Bigger. Better».

En mars 1955, Richard n’est pas suspendu que pour «toute la durée des éliminatoires» (p. 30); il l’est aussi pour les trois derniers matchs de la saison régulière, ce qui le privera du championnat des marqueurs. Le 18 du même mois, quand il s’adresse à ses partisans, à la suite de l’Émeute de la veille, c’est à la radio (p. 31), mais aussi à la télévision.

Il n’est pas nommé au Temple de la renommée du hockey en 1960 (p. 33), mais en 1961. Son chandail, le numéro 9, a été retiré par les Canadiens de Montréal (p. 33), mais pas par toutes les équipes de la Ligue nationale de hockey.

Ça fait un brin désordre, tout ça

 

Référence

Papineau, Lucie, la Légende de Maurice Richard, le petit garçon qui devint le Rocket, Montréal, Auzou, 2020, 35 p. Illustrations de Caroline Hamel.

L’oreille tendue de… Yvon Lambert et Guy Lapointe

Denis Richard, en collaboration avec Léandre Normand, Henri Richard. La légende aux 11 coupes Stanley, 2020, couverture

«La scène se passe dans une petite taverne située près du camp d’entraînement des Canadiens, qui se tient à Kentville, en Nouvelle-Écosse, à l’automne 1971. Tendant l’oreille vers la table voisine, nos deux moineaux [Yvon Lambert et Guy Lapointe] entendent Henri Richard lancer à un autre joueur, assis avec lui, “qu’une jeune recrue qui n’est pas capable de se taper cinq-six bières par jour n’a pas sa place dans le club”.»

Denis Richard, en collaboration avec Léandre Normand, Henri Richard. La légende aux 11 coupes Stanley, préface de Ronald Corey, avant-propos de Léandre Normand, Montréal, Éditions de l’Homme, 2020, 234 p., p. 209.