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Un avion en papier
Roger Angell est né en 1920. Il a publié son premier texte dans The New Yorker en 1944. Il y collabore toujours, à 95 ans, notamment au blogue du magazine. Pourquoi le blogue ? Il s’en explique à David Remnick dans la septième livraison de la baladodiffusion The New Yorker Radio Hour (à partir de la 31e minute).
It’s sort of like making a paper airplane. […] I used to love to make paper airplanes. I made great paper airplanes. You throw it out the window, and it takes, it goes a little ways, or it turns and curves beautifully, and it goes out of sight, and it’s forgotten forever. And that’s like a blog.
Certains disent que toute publication est une bouteille à la mer, pas Angell, qui préfère le vol imprévisible de l’avion en papier et sa disparition (son oubli).
P.-S. — On s’en souviendra : Angell est aussi l’inventeur d’un célèbre palindrome sportif.
Accouplements 31 (dits «Accouplements de la rentrée»)
(Accouplements : une rubrique où l’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)
En 2010, dans son «e-carnet», l’Éternité en accéléré, Catherine Mavrikakis écrit ceci :
C’est pourquoi, dans mes cours, j’ai des sentiments ambigus, qui vont du courroux à la bienveillance amusée, lorsque les étudiants se lèvent, sortent, arrivent en retard, partent plus tôt. Je ne me permettrais jamais de faire cela, parce que l’on m’a appris la politesse, mais je ne soupçonne pas ceux et celles qui ne tiennent pas en place ou qui regardent leurs courriels en faisant semblant de prendre des notes de ne pas m’écouter. Je préfère penser que, pour certains, la compréhension demande une «écoute flottante», une écoute qui n’est pas fidèle, qui se disperse pour mieux revenir à son objet toujours fuyant, impossible (p. 42-43).
Dans un «Entretien autobiographique avec Wilfrid Lemoine», diffusé en 1978 et publié en 1987, André Belleau allait dans le même sens :
Et vous savez, l’apprentissage, les cours de lettres, ce n’est pas comme les cours de mathématiques. On ne peut pas parler d’un apprentissage progressif, d’une substance, comme en linguistique. Vous avez devant vous des jeunes gens qui peuvent paraître, à un moment donné, ne pas vous écouter et demeurer blasés. Et pourtant, ils entendent votre discours, et après deux mois, trois mois, vous avez un travail absolument extraordinaire, parce que ça ne procède pas de façon continue, ce n’est pas un progrès continu en lettres, c’est plutôt une expérience qu’on fait de la littérature. Je ne parlerais pas de déblocage, mais de mutation soudaine. On n’est jamais sûr, il ne faut jamais dire que tel étudiant qui semble dormir ne vous écoute pas ou que votre discours est inutile. On ne peut jamais dire ça (p. 27).
P.-S.—L’Oreille tendue a déjà cité ce texte de Catherine Mavrikakis, dans un contexte légèrement différent; c’était le 25 octobre 2010.
P.-P.-S.—C’est jour de rentrée, aujourd’hui, à l’université de l’Oreille. Bonne rentrée optimiste à tous les professeurs.
Références
Belleau, André, «Entretien autobiographique avec Wilfrid Lemoine», Liberté, 169 (29, 1), février 1987, p. 4-27. Transcription par François Ricard d’un entretien radiophonique du 4 mai 1978 dans la série «À la croisée des chemins» (réalisation d’Yves Lapierre). https://id.erudit.org/iderudit/31100ac
Mavrikakis, Catherine, l’Éternité en accéléré. E-carnet, Montréal, Héliotrope, «Série K», 2010, 278 p.
Interruption de service
L’Oreille tendue prend congé de clavier. De retour après la pause.
Autoanalyse assistée
Deux collègues de l’Oreille tendue, Geoffrey Rockwell (University of Alberta) et Stéfan Sinclair (McGill University), ont créé un logiciel de visualisation et d’analyse de textes.
Vous allez sur le site de Voyant Tools («a web-based reading and analysis environment for digital texts»), vous téléversez du texte, puis vous consultez les résultats.
L’Oreille tendue, qui ne comprend pas grand-chose à ce genre de représentation des textes, y a téléchargé tout le contenu de ce blogue, du 14 juin 2009 au 23 avril 2015. Résultats ?
Le blogue compte au total 540 521 mots; 48 227 seraient des «unique words». On peut les regrouper en nuage, selon leur fréquence (voir ci-dessus). C’est en 2013 que l’Oreille a été la plus prolixe (114 581 mots). Quand on en exclut un certain nombre d’éléments (prépositions, conjonctions, dates, etc.), le vocabulaire est dominé par un mot, «Montréal» (2093 occurrences). Cela s’explique en partie parce que beaucoup de textes publiés dans cette ville sont cités sur le blogue.
En 2012, parmi les «distinctive words», ceux qui ressortent du lot de façon étonnante sur le plan statistique, il y a eu «Charest», du nom du premier ministre de l’époque. En 2015 — mais l’année est jeune —, il s’agit plutôt de mots liés au hockey : «Maurice», «Richard», «Campbell», «émeute».
La rubrique la plus intrigante est «Highest vocabulary density». Explication de Stéfan Sinclair, consulté pour l’occasion : «C’est un ratio qui exprime le nombre de mots uniques par rapport au nombre total de mots. Plus la valeur est haute, plus on peut prétendre que le vocabulaire est divers.» L’Oreille pourrait s’inquiéter : elle a atteint sa plus haute densité lexicale… en 2009. Heureusement, 2015 arrive en deuxième position.
Il y a encore de l’espoir.
P.-S. — Pourquoi l’Oreille a-t-elle utilisé le mot «culture» plus souvent en 2014 que durant toutes les autres périodes («Words with notable peaks in frequency across the corpus») ? Elle ne sait vraiment pas.