Réglons une chose : la décision du gouvernement fédéral canadien de renommer le pont Champlain en pont Maurice-Richard, si elle devait s’avérer, est un cas patent de populisme. Venant du gouvernement actuel, cela ne surprendra personne. Voilà un appareil politique qui aime se réclamer du «peuple», quoi que soit le «peuple».
Cette possible transformation s’inscrit également dans un autre cadre, historique plus que politicien celui-là. Le gouvernement du Parti conservateur du Canada souhaite, de toute évidence, récrire l’histoire du pays.
Atténuer la présence de Champlain dans le paysage onomastique québécois, c’est oblitérer le Régime français et les voyages d’exploration et de fondation du XVIIe siècle. Choisir un personnage mort il y a quatorze ans, c’est priver l’histoire du Québec d’épaisseur. Lancer un débat sans raison évidente, c’est se donner la possibilité d’imposer sa vision historique, alors que le nom du pont Champlain n’a jamais été l’objet de polémiques.
On peut rapprocher cette volonté (supposée) de plusieurs actions entreprises depuis 2006 par le gouvernement de Stephen Harper. Dans un article éclairant et nuancé paru plus tôt cette année, l’historien Yves Frenette a bien montré combien la «politique mémorielle et patrimoniale» de ce gouvernement (p. 33) a pour objectif de refonder l’histoire du Canada. Qu’il s’agisse de la défense de la monarchie et du passé militaire «national», de la commémoration de la guerre de 1812, de la transformation du Musée canadien des civilisations en Musée canadien de l’histoire ou de l’affaiblissement du mandat de Bibliothèque et Archives Canada, une nette volonté de revoir les bases de l’identité canadienne, notamment en insistant sur sa «britannicité» (p. 35), est visible dans les politiques du gouvernement conservateur.
Que vient faire Maurice Richard là-dedans ? Si l’on pense, au Québec, que l’on veut célébrer en lui, par la dénomination d’un pont, un héros national québécois, on risque de déchanter rapidement. Il y a fort à parier que ce Maurice Richard sera présenté, par le gouvernement actuel d’Ottawa, comme un héros canadian. Ce choix devrait être cohérent, pour le dire encore une fois avec Yves Frenette, avec son «entreprise de refondation nationale» (p. 35).
On a en effet tendance à oublier que Richard est un héros «d’un océan à l’autre», comme on disait à une époque. Don Cherry — oui, Don Cherry — l’avait bien vu : «People in Quebec loved the Rocket, but he was our hero, too» (Calgary Herald, 1er juin 2000). À Ottawa, on le sait.
P.-S. — Merci à @fdlaramee d’avoir fait connaître à l’Oreille tendue le texte de Frenette.
[Complément du 5 novembre 2014]
Comme elle a beaucoup écrit sur Maurice Richard, l’Oreille tendue a été pas mal sollicitée ces jours derniers.
On a pu l’entendre à la radio de la CBC (Daybreak, 3 novembre 2014, à 5 minutes 30 secondes).
On a pu la voir à la télévision, itou de la CBC (CBC News Montreal, 3 novembre 2014).
On a pu la lire sur le journal :
Corriveau, Jeanne, «Pont Maurice-Richard. Coderre aurait préféré garder le nom de Champlain», le Devoir, 4 novembre 2014 p. A4;
Perreaux, Les, «Option to Rename Champlain Bridge after Maurice Richard Opens Debate», The Globe and Mail, 5 novembre 2014.
Références
«Au revoir, Maurice», The Calgary Herald, 1er juin 2000, p. A3.
Frenette, Yves, «L’embrigadement du passé canadien : les politiques mémorielles du gouvernement Harper», Annales canadiennes d’histoire / Canadian Journal of History, 49, 1, printemps-été 2014, p. 31-47. Version anglaise : p. 49-65.
Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.