Accouplements 179

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, en conférence de presse, le 5 décembre 2022

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Des «influenceurs» québécois perturbent un vol d’avion, au grand dam du premier ministre du Canada : «Quand une gang de sans-dessein décide de partir comme des ostrogoths en vacances, c’est extrêmement frustrant» (conférence de presse du 5 janvier).

En novembre 1764, Diderot découvre qu’il a été censuré par son propre libraire, Le Breton. Le 12, il lui écrit ceci :

À votre ruine et à celle de vos associés qu’on plaindra, se joindra, mais pour vous seul, une infamie dont vous ne vous laverez jamais. Vous serez traîné dans la boue avec votre livre, et l’on vous citera dans l’avenir comme un homme capable d’une infidélité et d’une hardiesse auxquelles on n’en trouvera point à comparer. C’est alors que vous jugerez sainement de vos terreurs paniques et des lâches conseils des barbares Ostrogoths et des stupides Vandales qui vous ont secondé dans le ravage que vous avez fait. Pour moi, quoi qu’il en arrive, je serai à couvert. On n’ignorera pas qu’il n’a été en mon pouvoir ni de pressentir, ni d’empêcher le mal, quand je l’aurais soupçonné. On n’ignorera pas que j’ai menacé, crié, réclamé (Correspondance, p. 487).

Justin Trudeau n’aurait-il pas dû préférer «vandales» à «sans-dessein» ? Le débat est ouvert.

 

[Complément du jour]

Hergé, lui, savait, dès Coke en stock (p. 49). (Merci à @revi_redac.)

 

Hergé, Coke en stock, 1958, p. 49, 3, c

 

Références

Diderot, Denis, Œuvres. Tome V. Correspondance, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1997, xxi/1468 p. Édition établie par Laurent Versini.

Hergé, Coke en stock, Tournai, Casterman, coll. «Les aventures de Tintin», 19, 1967, 61 p. Édition originale : 1958.

Impressions de 2021

Autoportrait au crâne

Lire rend heureux. Quels sont les livres lus ou relus, parmi plusieurs autres, qui ont rendu l’Oreille tendue heureuse en 2021 ?

Par ordre alphabétique…

Bernard, Catherine, Laodamie, reine d’Épire et Brutus, dans Aurore Evain, Perry Gethner et Henriette Goldwyn (édit.), Théâtre de femmes de l’Ancien Régime. 3. XVIIe-XVIIIe siècle, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, coll. «La cité des dames», 8, 2011, p. 33-105 et p. 107-182. Éditions originales : 1689 et 1691.

Bouchard, Serge, Un café avec Marie, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2021, 270 p.

Boudreault, Simon, Je suis un produit, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2021, 157 p.

Brea, Antoine, l’Enfer de Dante mis en vulgaire parlure. Poème, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 160, 2021, 390 p.

Voir ici.

Echenoz, Jean, Un an. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1997, 110 p.

Farah, Alain, Mille secrets mille dangers. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 161, 2021, 497 p.

Grégoire, Julien, Jeux d’eau. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2021, 212 p.

Grisé, François, Tout inclus. Tome 1, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 26, 2021, 122 p. Ill. Précédé d’un «Mot des dramaturges» et suivi de «Contrepoint. La ruée vers l’or gris : risques et rentabilité» par Anne Plourde.

Guèvremont, Germaine, le Survenant. Roman, Paris, Plon, 1954, 246 p. Suivi d’un «Vocabulaire». Édition originale : 1945.

Hoedt, Arnaud et Jérôme Piron, Le français n’existe pas, Paris, Le Robert, 2020, 158 p. Préface d’Alex Vizorek. Illustrations de Xavier Gorce.

Voir .

Johnston, Wayne, The Divine Ryans. A Novel, Londres, Anchor, 1999. Édition numérique. Édition originale : 1990.

Kern, Étienne, le Tu et le vous. L’art français de compliquer les choses, Paris, Flammarion, 2020, 204 p. Ill.

Voir de ce côté-ci.

Le Tellier, Hervé, Toutes les familles heureuses, Paris, JC Lattès, coll. «Le livre de poche», 36181, 2021, 189 p. Ill. Édition originale : 2017.

Marivaux, la Fausse Suivante ou Le fourbe puni, dans Théâtre complet. Tome premier, Paris, Bordas, coll. «Classiques Garnier», 1989, p. 395-471 et p. 1066-1073. Texte établi, avec introduction, chronologie, commentaire, index et glossaire par Frédéric Deloffre. Nouvelle édition, revue et mise à jour avec la collaboration de Françoise Rubellin. Édition originale : 1724.

Ravey, Yves, Adultère. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2021, 140 p.

De ce côté-là.

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.

[Complément du 12 janvier 2022] Un compte rendu.

Saule, Tristan [pseudonyme de Grégoire Courtois], Mathilde ne dit rien. Roman. Chroniques de la place carrée. I, Montréal, Le Quartanier, coll. «Parallèle», 02, 2021, 280 p.

Thomas, Chantal, De sable et de neige, Paris, Mercure de France, coll. «Traits et portraits», 2021, 199 p. Avec des photos d’Allen S. Weiss.

Turgeon, David, l’Inexistence. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 156, 2021, 219 p.

Verne, Jules, le Pays des fourrures. Le Canada de Jules Verne — I, Paris, Classiques Garnier, coll. «Bibliothèque du XIXe siècle», 77, 2020, 549 p. Ill. Édition critique par Guillaume Pinson et Maxime Prévost. Édition originale : 1872-1873.

Viel, Tanguy, La fille qu’on appelle. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2021, 173 p.

Voyer, Marie-Hélène, l’Habitude des ruines. Le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec, Montréal, Lux éditeur, 2021, 211 p. Ill.

[Complément du 6 janvier 2022] Un compte rendu.

Pas pire année, bref.

 

[Complément du jour]

Palsambleu ! Un oubli :

Delisle, Michael, Dée, Montréal, BQ, 2007, 128 p. Édition originale : 2002.

Rugosité hockeyistique

Papier d’émeri

Les Canadiens de Montréal affrontent actuellement les Panthers de la Floride — c’est du hockey. Des sources conjugales proches de l’Oreille tendue ont été fort étonnées d’entendre, au Réseau des sports, le joueurnaliste Benoît Brunet vanter le papier sablé de l’équipe de Sunrise.

Qu’est-ce que ce papier sablé ? En langue de puck, l’expression désigne des joueurs qui ne font pas dans la dentelle : ils sont là pour leur jeu rugueux.

Ken Dryden emploie l’équivalent anglais, «sandpaper», dans sa biographie de Scotty Bowman (p. 355).

Oui, le papier sablé est un des outils favoris de la petite peste.

 

Références

Dryden, Ken, Scotty. A Hockey Life Like no Other, Toronto, McClelland & Stewart, 2019, viii/383 p. Ill. Traduction : Scotty. Une vie de hockey d’exception, Montréal, Éditions de l’Homme, 2019, 439 p. Préface de Robert Charlebois.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Les yeux dans les yeux

«On devrait bannir Bill Ezinicki du hockey;
c’est une brute et [ceux] qui critiquent l’acte de Richard
sans peser le pour et le contre, nous pouvons leur trouver
des places disponibles à Saint-Jean-de-Dieu.»
André Rufiange, 19 avril 1947

Le 10 avril 1947, pendant un match des séries éliminatoires contre les Maple Leafs de Toronto, Maurice «Rocket» Richard, des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, blesse deux joueurs, avec son bâton, d’abord Vic Lynn, puis William «Wild Bill» Ezinicki. Il est chassé du match par l’arbitre, Bill Chadwick. Il est ensuite suspendu, par le président de la Ligue nationale de hockey, Clarence Campbell, pour une partie et on lui impose une amende de 250 $. Si l’on en croit Ed Fitkin, les partisans de Richard se seraient cotisés pour payer l’amende; ils auraient récolté, non pas 250 $, mais 1000 $ (1952, p. 85-86).

L’inimitié entre Richard et Ezinicki a été évoquée par des journalistes, des cinéastes, des historiens du sport, des chansonniers, des biographes. Jean-Marie Pellerin, pour ne prendre qu’un exemple, consacre plusieurs pages indignées de son ouvrage de 1976 au match du 10 avril 1947 et à ses suites médiatiques (p. 86-98).

C’est aussi vrai d’un illustrateur, Franklin Arbuckle (1909-2001). Pour la couverture du magazine Maclean’s du 1er février 1949, il représente Ezinicki et Richard au banc des punitions, où ils sont séparés par ce qu’on imagine être un officiel, crayon sur l’oreille. Derrière eux, on voit un placier du Forum de Montréal et, partiellement, un policier, puis, plus loin, des spectateurs manifestement mécontents; l’un d’eux a même lancé un de ses couvre-chaussures (une de ses claques ou caoutchoucs). Les deux hockeyeurs se dévisagent, les yeux dans les yeux. Ils sont insensibles au jeu sur la glace : une rondelle passe devant eux sans qu’ils la regardent.

Couverture de Franklin Arbuckle, magazine Maclean’s, 1er février 1949

Quelques années plus tard, Ezinicki et Richard se croiseront — et ils rejoueront, consciemment ou pas, la même scène, sourire en plus.

Photographie de Maurice Richard et Bill Ezinicki

Le sport moderne est affaire d’images.

 

Références

Fitkin, Ed, le Rocket du hockey. Maurice Richard, Toronto, Une publication Castle, [s.d. — 1952], 157 p. Ill. Traduction de Camil DesRoches et Paul-Marcel Raymond.

Pellerin, Jean-Marie, l’Idole d’un peuple. Maurice Richard, Montréal, Éditions de l’Homme, 1976, 517 p. Ill. Nouvelle édition : Maurice Richard. L’idole d’un peuple, Montréal, Éditions Trustar, 1998, 570 p. Ill.

Rufiange, André, «L’affaire Richard : question de race !», le Front ouvrier, 3, 21, 19 avril 1947, p. 17.

Faire marche arrière

Titre de la Presse+ du 19 décembre 2021

Prenons une situation imaginaire. Vous faites partie d’un gouvernement appelé à gérer une pandémie. Vous présentez une série de mesures. Vous êtes obligé de changer d’avis. Comment désigner cela ?

En français de référence, on pourra dire que vous avez été forcé de rétropédaler.

Au Québec, il existe une autre possibilité : marcher sur la peinture. Exemple tiré de la Presse+ du 19 décembre 2021 : «On pourrait même dire [que François Legault] a maîtrisé l’art de marcher sur la peinture avec élégance. […] Cette semaine, voyant la dégradation de la situation sanitaire et la montée fulgurante du variant Omicron, M. Legault a été obligé de faire marche arrière.»

Pourquoi marcher sur la peinture ? Parce qu’on s’est peinturé dans le coin, bien sûr. Un ancien premier ministre du Canada ne s’en cachait nullement : «Quand on s’est peinturé dans le coin, on peut toujours marcher sur la peinture, disait Jean Chrétien» (le Devoir, 8-9 mai 2004, p. B3). Bref, il n’y a plus de choix : il faut revenir sur ses pas, au risque de se salir.

 

[Complément du 10 mars 2022]

«S’auto-peinturer dans le coin» (vu sur Twitter) paraît pléonastique.