Dormir sous le regard du Rocket

L’Oreille tendue se répète encore une fois : la mémoire du hockeyeur Maurice Richard (1921-2000) est partout au Québec et au Canada. On ne rate aucune occasion d’honorer «Le Rocket», le célèbre numéro 9 des Canadiens de Montréal.

À Montréal, Maurice Richard a droit à son aréna, dans l’Est de Montréal, qui a pendant quelques années hébergé un musée en son honneur. À son parc, voisin de l’endroit où il habitait, rue Péloquin, dans l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville. À son restaurant, le 9-4-10, au Centre Bell. À son étoile de bronze sur la promenade des Célébrités, rue Sainte-Catherine, à côté de celle de la chanteuse Céline Dion. (Il a aussi sa place sur le Walk of Fame du Madison Square Garden de New York et sur le Canada’s Walk of Fame de Toronto.) À cinq statues : devant l’aréna qui porte son nom, à côté du Centre Bell, au rez-de-chaussée des cinémas AMC-Forum-Pepsi, dans le Complexe commercial Les Ailes, parmi les statues de cire du Musée Grévin. À son gymnase, celui de l’école Saint-Étienne.

Sur l’île de Montréal, depuis peu, la circonscription provinciale de Maurice-Richard a remplacé Octave-Crémazie. Inauguré en 2019, le pont Samuel-de-Champlain aurait pu s’appeler du nom de l’ailier droit. Il y a un lac Maurice-Richard, dans la région de Lanaudière, au nord-ouest de Saint-Michel-des-Saints. Il y a le lac et la baie du Rocket près de La Tuque. Il y a une rue Maurice-Richard et une place Maurice-Richard, à Vaudreuil-Dorion, en banlieue de Montréal.

Le Canada n’est pas en reste. L’État fédéral a érigé une statue de Maurice Richard devant le Musée canadien des civilisations, devenu le Musée canadien de l’histoire, celui où a été montée en 2004 l’exposition, devenue itinérante depuis, «Une légende, un héritage. “Rocket Richard”. The Legend — The Legacy». Il a émis un timbre à l’effigie du hockeyeur et il lui fait allusion, par Roch Carrier interposé, sur les billets de banque de 5 $. L’Oreille s’est laissé dire que, à Calgary, une «Richard’s Way» (ou serait-ce une «Richard’s Road» ?) l’aurait honoré. Du temps où les affaires allaient moins mal, il y avait une salle Maurice-Richard au siège social de Research in Motion (le Blackberry), à Waterloo; peut-être y est-elle toujours. Depuis 2012, pour atterrir à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, les pilotes peuvent emprunter un corridor aérien nommé MORIC, pour qui vous savez.

Ajoutons aujourd’hui à cette liste (au moins) deux chambres d’hôtel, où les clients peuvent dormir sous le regard du Rocket.

À Montréal, depuis quelques années, l’Hôtel 10 a une suite — la 2116 — qui honore la mémoire d’André «Dédé» Fortin. Selon des sources sûres, on y trouve un portrait de Richard.

Également à Montréal, Uville, un nouvel «hôtel-musée», fait plus fort, dixit le quotidien le Devoir : «Au 4e étage, une chambre porte les couleurs de la Sainte-Flanelle et rend hommage à Maurice Richard.» Au mur : des photos du joueur, parfois en action, son maillot.

Richard ne se trouve pas que dans cette chambre :

Au quatrième étage, les chuchotements d’une révolution en préparation semblent retentir entre les murs. Sur la place centrale, une grande fresque présente une famille réunie autour d’un crucifix. Sous ce dernier, sur un écran, le Rocket inscrit le tour du chapeau qui lui garantit sa première Coupe Stanley. «Le culte de la Sainte-Trinité faisait doucement place à celui de la Sainte-Flanelle. Tranquillement, on forgeait notre propre identité en réinventant nos repères communs», souligne [le vice-président de l’hôtel, Daniel] Gallant.

Faites de beaux rêves.

 

[Complément du 7 juin 2025]

La Presse+ du jour annonce l’ouverture, toujours à Montréal, de l’hôtel Moxy. Son directeur des ventes explique la décoration des lieux : «à chaque étage, se trouvent des fresques de wagons du métro de Montréal». Sur l’une de ces fresques, un personnage porte le maillot numéro 9 de Richard. Cela va de soi.

 

[Cette énumération n’est évidemment pas exhaustive. Elle reprend et développe des éléments d’un livre d’abord paru en 2006, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle.]

 

Référence

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Instruisons-nous

Frère Jean-Ferdinand, f.m., Instruisons-nous, 1945, couverture

Le frère mariste Jean-Ferdinand voulait du bien à ses lecteurs. En 1945, il publiait Instruisons-nous; en 1949, Cultivons-nous; en 1952, Connaissons-nous le Québec ? En 1951 paraissait Refrancisons-nous : on ne confondra évidemment pas la première et la seconde édition.

Instruisons-nous, ce «modeste ouvrage», est une «encyclopédie en raccourci» destinée à acquérir la «science universelle» et il s’adresse au «savant», au «professeur», à l’«industriel», à l’«homme d’affaires», à l’«ouvrier», au «jeune homme» comme à la «jeune fille», à l’«enfant» : «Prenez et lisez simplement ce livre;.. il vous instruira;.. il vous récréera;.. il vous reposera» (p. 3, ponctuation certifiée d’origine).

Dix-huitiémiste de son état, l’Oreille a d’abord été un peu tendue en parcourant l’ouvrage. À la rubrique «Qui a été surnommé», il y a «Le barde d’Avon» (Shakespeare), mais pas «Le patriarche de Ferney» (p. 13). Parmi les «Pseudonymes», il y a celui de Jean-Baptiste Poquelin (Molière), mais pas celui de François-Marie Arouet (p. 24). «À quels ouvrages sont associés les caractères» comporte Homais (Madame Bovary), mais pas Candide (p. 31). Sous «Qui a dit», on trouve «J’avais pourtant quelque chose là !» (André Chénier), mais pas «il faut cultiver notre jardin» ni «le meilleur des mondes possibles» (p. 32).

Le frère Ferdinand en aurait-il contre Voltaire, qu’il ne cite pas alors que tant d’occasions se présentent à lui ?

«Le patriarche de Ferney», celui qui se fait appeler Voltaire à partir de 1718, l’auteur de Candide apparaît enfin — ouf — à la rubrique «De qui sont ces mots historiques» : «Quand cessera-t-on de se battre pour quelques arpents de neige ?» Réponse : «Voltaire» (p. 91).

(Voltaire n’a pas dit ça. Au début du vingt-troisième chapitre de Candide [1759], «Candide et Martin vont sur les côtes d’Angleterre; ce qu’ils y voient», au moment où Candide discute avec Martin sur le pont d’un navire hollandais, on lit : «Vous connaissez l’Angleterre; y est-on aussi fou qu’en France ? — C’est une autre espèce de folie, dit Martin. Vous savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu’elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut.» Pour une vidéo explicative sur l’expression «arpents de neige», c’est ici. Pour un florilège, .)

À la question «Nommez deux écrivains philosophes du XVIIIe siècle ?» («Littérature française»), Instruisons-nous retient deux noms : «Jean-Jacques Rousseau et Voltaire» (p. 127).

Quand on pense que l’année où paraît cet ouvrage, Marcel Trudel lance les deux volumes de l’Influence de Voltaire au Canada, on se dit que ces deux apparitions du nom de Voltaire, c’est bien peu.

P.-S.—Le frère Ferdinand n’est pas indifférent aux sports. «Nommez trois bons joueurs du “Canadien” en 1945» («Les sports») : «Richard, Blake, Lach» (p. 82). On aura reconnu les trois joueurs de la Punch Line : Maurice Richard, Toe Blake, Elmer Lach.

 

[Complément du 25 janvier 2023]

 

Références

Frère Jean-Ferdinand, f.m., Instruisons-nous, Lévis, Des ateliers de Le Quotidien, Ltée, 1945, 139 p. Quatrième édition.

Trudel, Marcel, l’Influence de Voltaire au Canada, Montréal, Fides, les Publications de l’Université Laval, 1945, 2 t. Tome I : de 1760 à 1850, 221 p.; tome II : de 1850 à 1900, 315 p.

Frère Jean-Ferdinand, f.m., Instruisons-nous, 1945, table des matières (partielle)

Supplément alimentaire

Soit la phrase suivante, de l’excellent Olivier Bouchard, sur Athlétique Montréal, le 28 juin :

«Caufield a […] des mains de fée dans des gants de soie et un tir du Tonnerre de Zeus. Pardon, des tirs : revers, tir du poignet, tir frappé sur réception… Le Tonnerre de Zeus, la Foudre d’Odin, la Lance d’Athéna, alouette et un chausson avec ça.»

Un non-amateur de hockey — Cole Caufield est un jeune joueur récemment repêché par les Canadiens de Montréal — pourrait avoir du mal avec la variété de ses tirs. C’est de la langue de puck et c’est expliqué ici.

Un non-amateur de mythologie ira voir sur Wikipédia pour Zeus, Odin et Athéna.

Et le «chausson» dans tout ça ?

Dans le Dictionnaire québécois instantané qu’elle cosignait en 2004 et qui vient de paraître en livre de poche, l’Oreille tendue offrait la définition suivante de chausson aux pommes :

Pour des raisons qui se perdent dans la nuit de l’histoire de la boulangerie et de la restauration rapide, le chausson aux pommes est le symbole du superflu et de la demande (jugée) exorbitante. L’expression a quitté le domaine alimentaire pour conquérir le terrain culturel. Emma trompe son bon mari Charles avec Léon Dupuis, puis avec Rodolphe Boulanger. Et elle voudrait être heureuse ! Un chausson aux pommes avec ça ? (p. 38)

Autre exemple (p. 186) : «Aujourd’hui, ils se donnent la main pour promouvoir une culture rave propre, saine et sans drogue. Un chausson aux pommes avec ça ?» (la Presse, 10 juillet 2001)

À votre service.

 

Références

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, éd. de 2019, couverture

Boire Le Rocket

À une époque, c’était du vin rouge.

Bouteille de vin Maurice Richard, Société des alcools du Québec

Maintenant, c’est de la bière.

Bière Rocket, Ferme brassicole des Cantons

On peut toujours boire Maurice Richard.

 

[Complément du 14 juin 2021]

Vous pouvez même choisir parmi les événements de sa carrière auprès de La Chambre. Bistro sportif.

Sa présence lors de la fermeture du Forum de Montréal le 11 mars 1996 ?

Bière La Légende (Maurice Richard

Bière La Légende (Maurice Richard

L’émeute à laquelle il a donné son nom, celle du 17 mars 1955 ?

Bière L’Émeute (Maurice Richard)

Bière L’Émeute (Maurice Richard)

Santé !

 

[Complément du 20 juillet 2024]

Si, au vin français, vous préférez un produit autrichien naturel, Alex et Maria Koppitsch ont ce qu’il vous faut : la cuvée Rocket 2019.

Bouteille de la cuvée Rocket 2019

Poésie de rêve

Maurice Desjardins, «Les Canayens sont là !», poème, le Sport illustré, janvier 1952, p. 19

La revue le Sport illustré de janvier 1952 publie un poème de Maurice Desjardins (p. 19).

«Les Canayens sont là !

Le Forum était plein et tous ses sièges jaunes
Regorgeaient de clients fiévreux et palpitants.
Brandissant un billet j’arrivai dans ma zone
Impatient d’applaudir nos dignes Habitants.

Pour être dans l’ambiance, en digne patriote,
Je venais d’engloutir un plat de fèves au lard,
Une bonne soupe aux pois et un plat d’échalotes
J’attendais en rotant l’arrivée de Richard.

Parti pour l’étranger il y a plusieurs années
Je brûlais de revoir nos glorieux Canayens
Longtemps j’avais souffert, comme une âme damnée,
De ne pas assister aux faits d’armes des miens.

Je faillis me pâmer en voyant Dick Irvin
Ce défenseur des nôtres, apparaître en souriant
Par un étrange effet de la pitié divine
La foule l’aperçut et se leva, criant :

“Hourrah pour Dick Irvin, l’ami du clan français”.
Les hymnes nationaux mirent fin au vacarme
Et tout de suite après, la joute commençait;
Je n’étais pas le seul à être ému aux larmes.

Consultant le programme au dessin tricolore,
Je jetai un coup d’œil sur les alignements.
Je vis que Geoffrion, Pronovost et Bouchard
Faisaient toujours partie de notre groupement.

Quelle noble équipe avec Béliveau,
Son Locas, son Rousseau et son vif Corriveau !
Dolbec et Désaulniers, Locas et Saint-Laurent !
Pas étonnant qu’ils soient toujours au premier rang.

Plante dans les filets et sa tuque à pompon
Dussault et Tod Campeau flanqués de Plamondon
Laprade et Chèvrefils à l’attaque sans cesse
Mon cœur était vraiment débordant d’allégresse.

Et des Français volants avides de gloire
Le long sifflet final annonça la victoire
Détroit fit son possible et se défendit bien
Mais allez donc résister à tant de Canayens !…»

Ces «Canayens» sont les Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, où ils jouent au Forum.

De retour chez lui après «plusieurs années», le poète n’a pas oublié son sport. Il sait que le gardien de but Jacques Plante aime tricoter, lui qui porte une «tuque à pompon». Les Montréalais sont rapides («Français volants»). Les couleurs de l’équipe sont le bleu, le blanc et le rouge («dessin tricolore»). L’on dit souvent du hockey qu’il est une religion au Québec; cela est discrètement évoqué («âme damnée», «pitié divine»).

L’inventivité de la rime mérite d’être signalée. Les six premières strophes sont de structure a-b-a-b; les trois dernières, a-a-b-b. Il est rare de parler de «groupement» pour désigner une équipe, mais cela permet la rime avec «alignements» (la liste des joueurs). L’anglais («Irvin») rejoint le français («divine»). Une paire est osée : «tricolore» / «Bouchard». Surtout, la deuxième strophe est alimentaire et nationaliste : le «patriote» apprécie les «échalotes»; il n’a pas peur de faire répondre Maurice «Richard» au «plat de fèves au lard». Celui qui parlait des «dignes Habitants» et se définissait comme un «digne patriote», qui évoquait «nos glorieux Canayens», change de registre et s’imagine «rotant».

Dick Irvin serait un «défenseur des nôtres», «l’ami du clan français». Ce portrait est inhabituel : l’entraîneur des Canadiens n’a généralement pas aussi bonne presse auprès des partisans francophones. Il est vrai qu’il ne dirige pas une équipe réelle : les joueurs francophones énumérés par le poète n’ont pas tous joués (ensemble) professionnellement pour les Canadiens; cette équipe composite est une équipe rêvée.

La poésie sportive sert aussi à cela.

P.-S.—En effet : ce n’est pas la première fois que notre chemin croise celui de Maurice Desjardins.

P.-P.-S.—En effet : ce n’est pas la première fois que nous tombons sur un poème mettant en scène «le Rocket».

P.-P.-P.-S.—L’érudition des lecteurs de l’Oreille tendue ne cesse de l’épater. Merci à Pierre Cantin de cette belle découverte.