Chantons la langue avec Gaële

Gaële, Diamant de papier, 2010, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Gaële, «L’accent d’icitte», Diamant de papier, 2010

 

(Voix de Richard Desjardins)

Faque l’aut fois j’parlais avec le bonhomme
I m’dit «Astheure t’es t’un grand bum
Commence à être temps que tu sacres le camp»

(Voix de Gaële)

Pardon ? Vous dites ?

(Voix de Richard Desjardins)

Parce que vois-tu les règelments c’est fait pour être sui
Pis ceux qui suisent pas
Ben qu’y s’en vont
Décâlisse
Attends pas que la police a moisisse

(Voix de Gaële)

Excusez-moi j’ai pas bien compris
Pourriez-vous répéter s’il vous plaît

(Voix de Richard Desjardins)

Faque quand j’ai vu quj’voyais pu
J’ai ben vu quj’voyais rien
Rien qu’à voir on voit ben
Qu’à noirceur on voit rien

(Voix de Gaële)

J’aurai jamais l’accent d’icitte
Pourtant c’est pas faute d’avoir essayé
Faut croire que malgré les années
Encore un peu de France m’habite
J’ai un accent moitié moitié
Voguant entre deux continents
De l’un je garde mes vingt ans
Dans l’autre un tout p’tit boutte de destinée

À part la neige et l’été indien
Les grands espaces les traîneaux à chien
Ô Canada j’le connaissais pas bien
Pis le Québec ben encore moins

En descendant d’l’avion plus aucun doute
Même si vos mots j’les pigeais pas pantoute
Gens du pays j’ai su qu’on s’aimerait
Jusqu’au bout de la route

Même si j’aurai jamais l’accent d’icitte
Pourtant c’est pas faute d’avoir essayé
Faut croire que malgré les années
Encore un peu de France m’habite
J’ai un accent moitié moitié
Voguant entre deux continents
De l’un je garde mes vingt ans
Dans l’autre un tout p’tit boutte de destinée

Trois francs six sous un dollar vingt-cinq cennes
Une pile de Pascal ou la face de la reine
Ma vie est aux deux tiers européenne
Pis un tiers américaine

De la bouche serrée à la mâchoire slaque
Du putain d’merde à l’ostie d’tabarnak
Au fil des années j’ai tissé les trésors
De ma langue bric-à-brac

Pas besoin de carte ou d’encyclopédie
Ça m’a pris dix ans j’ai enfin compris
Mon accent c’est pas une maladie
Mais mon plus beau pays

Même si j’aurai jamais l’accent d’icitte
Pourtant c’est pas faute d’avoir essayé
Faut croire que malgré les années
Encore un peu de France m’habite
J’ai un accent moitié moitié
Voguant entre deux continents
De l’un je garde mes vingt ans
Dans l’autre un tout p’tit boutte de liberté

(Voix de Richard Desjardins)

Lette comme qu’a l’est
Avec le chapeau lette comme qu’a l’a
Qu’a rise don d’elle avant qu’a rise des autres

 

P.-S.—Vous avez l’oreille : il a déjà été question de Gaële ici.

P.-P.-S.—Certaines paroles dites par Richard Desjardins sont tirées de la chanson «Le chant du bum». D’autres d’ailleurs…

 

Chantons la langue avec French B

Dessin de French B sur Apple Music

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

French B, «Je me souviens» / «Je m’en souviens», 1989

 

Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one

Je me souviens
Je me souviens

[Voix de Charles de Gaulle] Vive le Québec, Vive le [Voix de femme] Canada
[Voix de Charles de Gaulle] Vive le Québec, Vive le [Voix de femme] Ca-Canada
[Voix de Charles de Gaulle] Vive le Qué-Québec, Vive le Québec libre !
[Voix de Robert Charlebois] Sacrament !

Je me souviens
Je me souviens

J’m’en souviens d’la langue
D’la langue de Lepage
Pis celle de Tremblay
Et je parle la langue
De Ferron, de Gauvreau et de PDG
J’me souviens à mort
Du Vent du Mont Schärr !
M’as être encore pris pour tapiner Paris
Parce que la chicane est poignée dans cabane

Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one
Bill, Bill, Bill one o one, Bill one o one

Je me souviens
Je me souviens

J’m’en souviens d’la langue
De la langue des french kiss
J’m’en souviens encore
Mais pour combien de temps ?
J’m’en souviens tellement
Je la mettrais dans le vinaigre
Pour qu’elle dure plus longtemps
T’en souviens-tu d’la langue ?
Do you remember when we were French ?

Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens
Je me souviens

 

P.-S.—Outre les paroles chantées par French B, on entend aussi des phrases en anglais et en français (Jacques Parizeau, Robert Bourassa, etc.).

P.-P.-S.—La formule «la langue de x» est commune, notamment au Québec.

P.-P.-P.-S.—En 2018, Johanne Melançon — pas de lien avec l’Oreille tendue — a étudié cette chanson et son vidéoclip : «Des lieux de mémoire sont […] convoqués par les paroles et par les images; ces événements historiques et ces symboles sont rappelés à la mémoire pour nourrir un discours engagé, cherchant à sensibiliser à une certaine urgence d’agir» (§ 9).

 

Référence

Melançon, Johanne, «La chanson québécoise, vecteur de l’histoire, de la mémoire et de l’identité», dans Marc Bergère, Hélène Harter, Catherine Hinault, Éric Pierre et Jean-François Tanguy (édit.), Mémoires canadiennes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. «Des Amériques», 2018, p. 197-206. https://doi.org/10.4000/books.pur.138885

 

Chantons la langue avec Michel Rivard

Album Michel Rivard, 1989, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Michel Rivard, «Le cœur de ma vie», album Michel Rivard, 1989

 

C’est la langue qui court dans les rues de ma ville
Comme une chanson d’amour, au refrain malhabile
Elle est fière et rebelle et se blesse souvent
Sur les murs des gratte-ciel, contre les tours d’argent

Elle n’est pas toujours belle on la malmène un peu
C’est pas toujours facile d’être seule au milieu
D’un continent immense où ils règlent le jeu
Où ils mènent la danse, où ils sont si nombreux

Elle n’est pas toujours belle mais vivante elle se bat
En mémoire fidèle, de nos maux de nos voix
De nos éclats de rire et de colère aussi
C’est la langue de mon cœur, et le cœur de ma vie

On la parle tout bas aux moments de tendresse
Elle a des mots si doux qu’il se fondent aux caresses
Mais quand il faut crier qu’on est là qu’on existe
Elle a le son qui mord, et les mots qui résistent

C’est une langue de France aux accents d’Amérique
Elle déjoue le silence à grands coups de musique
C’est la langue de mon cœur et le cœur de ma vie
Que jamais elle ne meure, que jamais on ne l’oublie
Que jamais elle ne meure que jamais on ne l’oublie

Il faut pour la défendre la parler de son mieux
Il faut la faire entendre, faut la secouer un peu
Il faut la faire aimer à ces gens près de nous
Qui se croient menacés, de nous savoir debout

Il faut la faire aimer à ces gens de partout
Venus trouver chez nous un goût de liberté
Elle a les mots qu’il faut pour nommer le pays
Pour qu’on parle de lui, qu’on le chante tout haut

C’est une langue de France aux accents d’Amérique
Elle déjoue le silence à grands coups de musique
C’est la langue de mon cœur et le cœur de ma vie
Que jamais elle ne meure, que jamais on ne l’oublie
Que jamais elle ne meure que jamais on ne l’oublie

C’est la langue de mon cœur et le cœur de ma vie
Que jamais elle ne meure que jamais on ne l’oublie

C’est la langue de mon cœur et le cœur de ma vie
Que jamais elle ne meure que jamais on ne l’oublie

C’est la langue de mon cœur
Que jamais elle ne meure
Que jamais elle ne meure
Que jamais elle ne meure

 

P.-S.—«Faire aimer» la langue ? Ça se discute.

P.-P.-S.—Commentaire du compositeur sur sa composition : «Je l’ai écrite parce que, à ce moment-là, j’avais besoin de dire que ma langue meurt, explique-t-il. Et j’étais un petit peu en réaction à la chanson sur la langue d’Yves Duteil qui présentait une vision absolument carte postale du Québec. Je n’ai jamais vraiment embarqué dans cette chanson-là, alors j’avais besoin d’en faire une» (la Presse+, 23 juin 2024).

 

Érotisme de la langue de puck

«Sexy Sport Hockey», Lady Death, 25, 2013, couverture

Sur la glace, parfois, c’est chaud.

Le commentateur Yvon Pedneault aimait dire qu’un joueur allait se blottir derrière un adversaire, ce qui faisait du hockey une activité bien intime.

Les défenseurs n’hésitent pas à envoyer les joueurs de l’autre équipe embrasser la baie vitrée.

On plaint le gardien de but qui a une faiblesse entre les jambes.

Ce n’est pas moins émoustillant dans les représentations culturelles du hockey.

Bertha, le personnage de Fridolinons 45 de Gratien Gélinas, se prépare pour le «Bal des Facteurs» : «C’est moi qui “score” tantôt […]» (éd. de 1980, p. 82).

En 1951, Jeanne d’Arc Charlebois met en chanson le conflit des désirs entre Maurice Le Rocket Richard et ses admiratrices :

Toutes les femmes de la province
De Gaspé jusqu’à Longue-Pointe
Envahissent le Forum
Pour venir voir jouer leur homme
Y en a qui donneraient leur vie
Rien qu’pour un p’tit bec de lui
Maurice les embrasserait bien
Mais y aime mieux rentrer des points

(«Maurice Richard», 1951, 2 minutes 32 secondes, disque 78 tours, étiquette Maple Leaf 5018A, paroles d’Yvon Dupuis, musique de Jean «Johnny» Laurendeau)

Neuf ans plus tard, Les Jérolas chanteront le même conflit, mais pour un autre joueur, Jean Béliveau :

Quand i passe su’l’bord d’la bande
Les filles se mettrent à crier
«Viens icitte mon petit ange on va-ti ben t’embrasser»
À la vitesse d’un train Jean Béliveau s’en revient
Il les embrasserait ben
Mais i aime ben mieux compter des points

(«La chanson du hockey», 1960, 2 minutes 41 secondes, disque 45 tours, étiquette RCA Victor 57-5491, composition de Jean Lapointe)

Revenons à Maurice Richard, avec Denise Filiatrault, en 1957. Son héroïne veut entrer au Forum de Montréal voir son joueur favori :

J’suis énervée
J’suis excitée
Je veux m’enrouer
À force de crier

Rock’n’roll Rocket Rocket
Rock’n’roll Rocket Rocket

(«Rocket Rock and Roll», 1957, 2 minutes 37 secondes, disque 45 tours et disque 78 tours, étiquette Alouette CF 45-758)

Le désir n’est pas que féminin dans les chansons consacrées au hockey :

Les joueurs sont rendus des hommes d’affaires
Faudrait leur faire peur dans l’vestiaire
Envoyer dins douches André Boisclair

(Réal Béland, «Hockey bottine», Réal Béland Live in Pologne, 2007, 4 minutes, disque audionumérique, étiquette Christal Musik CMCD9954)

Vous préférez la poésie ? En 1990, Michel Bujold publiait l’Amour en prolongation. Poésies hérotiques.

Vous aimez parler cru ? Il y a les plottes à puck.

À chacun ses fantasmes.

P.-S.—En 2019, ici même, il était question de l’érotisation, par des hommes, de Richard, le célèbre numéro 9 des Canadiens de Montréal.

 

Références

Bujold, Michel, l’Amour en prolongation. Poésies hérotiques, Montréal, Éditions d’Orphée, 1990, s.p.

Gélinas, Gratien, les Fridolinades 1945 et 1946, Montréal, Quinze, 1980, 265 p. Ill. Présentation par Laurent Mailhot. Réédition : les Fridolinades, Montréal, Typo, 2014. Anthologie préparée par Anne-Marie Sicotte.

Melançon, Benoît, «Chanter les Canadiens de Montréal», dans Jean-François Diana (édit.), Spectacles sportifs, dispositifs d’écriture, Nancy, Questions de communication, série «Actes», 19, 2013, p. 81-92. https://doi.org/1866/28751

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso.

Melançon, Benoît, Langue de puck, édition revue et augmentée de 2024, couverture

Accouplements 246

Pierre Lapointe, Déjouer l’ennui, 2019, pochette

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Ducharme, Réjean, l’Avalée des avalés. Roman, Paris, Gallimard, 1966, 281 p.

Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe (p. 7).

Lapointe, Pierre, «Pour déjouer l’ennui», Pour déjouer l’ennui, 2019.

Comme tu vois, je n’sais pas c’que j’dois faire
Toute mes larmes, tous mes doutes, dois-je les taire ?
Tout m’avale, tout fait mal, tout m’atterre
Comme un con, oui j’avoue que j’espère

Aubin, Charlotte, Toute ou pantoute. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 87 p. Ill.

tout me transperce
m’habite
m’avale (p. 25)