Le zeugme du dimanche matin et de Serge Bouchard

Bernard Arcand et Serge Bouchard, Quinze lieux communs, 1993, couverture

«D’abord, cela [le baseball] se joue en pyjama. Bien sûr, avec les années, la mode est passée au collant, pour le plus grand plaisir des voyeurs et des voyeuses qui ne tarissent pas d’éloges sur les fesses des frappeurs ou sur les cuisses des voltigeurs. Mais qu’à cela ne tienne, l’uniforme de ces athlètes n’a rien à voir avec les accoutrements guerriers des joueurs de football ou de hockey. C’est le chandail léger de la détente où rien, hormis la tradition, ne saurait vous intimider. Les Yankees, en effet, revêtent un pyjama sacré qui transcende les saisons ainsi que les mentalités.»

Serge Bouchard, dans Bernard Arcand et Serge Bouchard, «Le sport», dans Quinze lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1993, p. 11-22, p. 20.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

La clinique des phrases (mmm)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante :

J’ai choisi de parler de ce restaurant dans notre section sur la cuisine du temps des Fêtes, car on sert ici de la cuisine qui pourrait devenir la source de nouvelles traditions de Noël, ancrées à la fois dans notre terroir et notre mémoire gustative et la réalité moderne qui font une belle place aux plantes.

La fin en est bien confuse, n’est-ce pas ?

Essayons d’y voir plus clair, en commençant par l’ajout d’une virgule et d’une préposition :

J’ai choisi de parler de ce restaurant dans notre section sur la cuisine du temps des Fêtes, car on sert ici de la cuisine qui pourrait devenir la source de nouvelles traditions de Noël, ancrées à la fois dans notre terroir et notre mémoire gustative, et dans la réalité moderne qui font une belle place aux plantes.

Ça va déjà un peu moins mal, mais on devrait pouvoir faire mieux, la fin de la phrase tournant toujours en eau de boudin.

J’ai choisi de parler de ce restaurant dans notre section sur la cuisine du temps des Fêtes, car on sert ici de la cuisine qui pourrait devenir la source de nouvelles traditions de Noël, ancrées à la fois dans notre terroir et notre mémoire gustative, et dans la réalité moderne, traditions qui feraient une belle place aux plantes.

À défaut d’être élégant, c’est, espérons-le, un peu plus compréhensible.

À votre service.

P.-S.—Oui, c’est de la langue de margarine.

La clinique des phrases (eee)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante :

Tout est cuisiné au feu de bois, comme le font Francis Mallman en Argentine, Victor Arguinzoniz au Asador Etxebarri, dans le Pays basque, ou Niklas Ekstedt en Suède. Sauf que chez Foxy, on donne en plus à tout ça un ton presque moyen-oriental qui fait penser à une autre référence : Yotam Ottolenghi. Cela dit, j’adore y aller en automne, pour l’odeur de chalet, de grillades, la chaleur, ce sentiment de réconfort qu’on a à l’intérieur quand commencent les jours froids, moment de transition bien typique de notre climat.

Tout lecteur attentif aura repéré la présence évidemment inutile de «Sauf que» — cette locution si prisée au Québec — et de «Cela dit».

L’Oreille est professeure et éditrice; elle est habituée à se répéter. Ce n’est pas la première fois qu’elle déplore pareil abus des mots de transition. Ce ne sera pas la dernière.

Donc :

Tout est cuisiné au feu de bois, comme le font Francis Mallman en Argentine, Victor Arguinzoniz au Asador Etxebarri, dans le Pays basque, ou Niklas Ekstedt en Suède. Chez Foxy, on donne en plus à tout ça un ton presque moyen-oriental qui fait penser à une autre référence : Yotam Ottolenghi. J’adore y aller en automne, pour l’odeur de chalet, de grillades, la chaleur, ce sentiment de réconfort qu’on a à l’intérieur quand commencent les jours froids, moment de transition bien typique de notre climat.

À votre service.

P.-S.—Oui, c’est de la langue de margarine.

Le niveau baisse ! (1887)

Arthur Buies selon Albert Chartier dans Séraphin illustré

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«Ô mon siècle ! se peut-il que tu marches si vite malgré tous nos efforts pour te retenir ? Qu’avons-nous donc fait si ce n’est d’essayer de jouir des quelques années de jeunesse que tu jettes en courant aux cœurs avides et sitôt stupéfaits de les voir si vite envolées ? Si encore nous étions remplacés ! mais nous ne le sommes pas; notre génération est à jamais éteinte comme le Canada d’autrefois qui a disparu sous la lourde, triviale et uniforme casaque des mœurs modernes; les hommes deviennent de plus en plus raides affairés, poseurs, faiseurs, gobeurs et jobbeurs. Le niveau est devenu le même et pour tous, mais c’est un niveau singulièrement abaissé… Ah ! Ah ! n’allons pas plus loin, s’il vous plaît ! Nous allons tomber dans l’exécration de notre espèce, ce qui ne convient pas à un chroniqueur qui veut rester populaire.»

Source : Arthur Buies, «En route», l’Électeur, 25 juin 1887, p. 1.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

 

P.-S.—Oui, le même Arthur Buies qu’ici.

 

Illustration : Albert Chartier, dans Claude-Henri Grignon et Albert Chartier, Séraphin illustré, préface de Pierre Grignon, dossier de Michel Viau, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p., p. 139.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

L’adverbe culinaire

L’Oreille tendue a un jour proposé de parler de langue de margarine pour désigner la langue de certains chroniqueurs gastronomiques, langue pétrie de lieux communs, de clichés, de tournures alambiquées.

Elle n’avait pas noté avant le 14 octobre combien cette langue raffole des adverbes. Exemples, tous tirés du même article : «totalement par hasard», «comptoir où commander, façon cantine, justement», «Apparemment, je suis la dernière à découvrir ce lieu», «le midi notamment», «résolument moderne» — le moderne n’existe que «résolument» —, «une cuisine vietnamienne qui ne nous fait pas perdre nos repères, mais qui est en même temps franchement actuelle», «la viande carrément fondante», «bouillon maison […] impeccablement doux», «profiter, justement, de tous ces éléments», «ce qui ne fait pas partie des manières de manger en Asie, généralement», «absolument essayer le café glacé à la vietnamienne», «c’est franchement délicieux». On aura remarqué que quelques-uns de ces adverbes sont utilisés plus d’une fois.

Ce sera tout pour l’instant.

Bon appétit.