Pierre Foglia et le numérique

Pierre Foglia, le chroniqueur de la Presse, a annoncé ce matin qu’il était à la retraite depuis l’automne. Cela explique son absence quasi totale des pages du quotidien depuis quelques mois.

Comme beaucoup, l’Oreille tendue le lisait systématiquement depuis plusieurs lustres. Il lui est même arrivé de parler de lui en classe, pour décrire les conditions particulières de la lecture numérique. Explication.

L’Oreille est, à ses heures, historienne de la littérature, et plus particulièrement encore de la lecture. À ce titre, elle insiste toujours sur l’importance fondamentale des supports de lecture. On ne lit pas le journal comme un roman, à l’écran comme sur du papier.

Les lecteurs peuvent aujourd’hui aller chercher, dans une base de données, les chroniques de Foglia sans avoir besoin de tenir dans leurs mains le journal où elles ont paru à l’origine. Or la lecture que l’on fait de ces chroniques n’est pas exactement la même dans les deux cas.

Dans une base de données, les lecteurs pourront bien sûr découvrir l’article dans lequel le chroniqueur raconte la mort d’une jeune fille renversée par un chauffard alors qu’elle rentrait chez elle (à bicyclette ?), écouteurs aux oreilles.

S’ils se contentent de la base de données, ils ne sauront pas que cette chronique a paru, dans la version papier du journal, à côté d’un fait divers racontant la mort d’une autre jeune fille qui rentrait chez elle (à bicyclette ?), écouteurs aux oreilles. Bref, dans des circonstances identiques.

La base de données, ce sont des écrits isolés. Le journal, c’est un lieu vivant, dans lequel les chroniques sont (involontairement) en dialogue avec les articles qui les entourent, jusqu’à l’ironie noire de pareille juxtaposition.

L’Oreille pourra continuer à utiliser cet exemple, mais pas, malheureusement, à attendre les nouvelles chroniques de l’auteur.

P.-S.—On a souvent déploré le fait que Pierre Foglia n’ait pas rassemblé ses chroniques en recueil. L’aurait-il fait, qu’il les aurait sorties de leur écosystème. Cela aussi aurait déterminé leur lecture.

P.-P.-S.—L’Oreille cite de mémoire. Si elle se trompe, il n’est pas indispensable de le lui dire.

Vocabulaire non agricole

Marie-Pascale Huglo, Montréal-Mirabel, 2017, couverture

Titre dans le Devoir de la semaine dernière : «Émissions des vaches et des puits de gaz. La ministre serait dans le champ» (19 janvier 2011, p. A4).

Si elle est dans le champ, ce n’est pas que la ministre des Richesses naturelles et de la Faune du Québec, Nathalie Normandeau, se promène à la campagne. Qui est dans le champ se trompe, et complètement.

Quand elle affirme ceci : «Écoutez, une vache émet plus de CO2 dans l’atmosphère qu’un puits. Je veux dire que c’est factuellement prouvé», donc, elle se trompe.

 

[Complément du 25 août 2024]

Les exemples littéraires ne manquent pas.

«Pourrais-tu lire ce que j’ai écrit et me dire si je suis dans le champ ?» (l’Amour des maîtres, p. 106)

«qui suis-je, pauvre romancier généraliste, pour dire aux lecteurs qu’ils sont dans le champ ?» (le Romancier portatif, p. 139)

«L’écriture déplace, elle tire sa force de ce qui nous jette à côté de nous-même. Nous sommes dans le champ tout le temps, nous écrivons pour ça, avec ça. Je le crois depuis le début» (Montréal-Mirabel, p. 100).

 

Références

Dickner, Nicolas, le Romancier portatif. 52 chroniques à emporter, Québec, Alto, 2011, 215 p.

Grégoire, Mélissa, l’Amour des maîtres, Montréal, Leméac, 2011, 245 p.

Huglo, Marie-Pascale, Montréal-Mirabel. Lignes de séparation. Récit, Montréal, Leméac, 2017, 152 p.