Accouplements 33

Voltaire, buste

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Ces jours-ci, l’Oreille tendue progresse (un brin laborieusement, il est vrai) dans la «synthèse admirative» (p. 10) que consacre Marc-François Bernier au chroniqueur journalistique québécois Pierre Foglia.

Elle y lit que «Pierre Foglia est le Français archétypal sorti des écoles de la République, digne héritier des Lumières» (p. 167). Plus loin, Foglia est ramené à l’expression «le voltairien» (p. 185).

Au moment où paraît l’ouvrage de Bernier, l’Oreille publie un court article dans les Cahiers Voltaire : «Pot-pourri. Un chroniqueur voltairien ?» Ce chroniqueur est… Pierre Foglia.

 

[Complément du 11 juin 2020]

L’Oreille a repris ce texte, sous le titre «Pierre Foglia, chroniqueur voltairien ?», dans le livre qu’elle a fait paraître au début de 2020, Nos Lumières.

 

[Complément du 30 décembre 2022]

Il existe aussi une version de ce texte en ligne.

 

Références

Bernier, Marc-François, Foglia l’Insolent, Montréal, Édito, 2015, 383 p.

Melançon, Benoît, «Pot-pourri. Un chroniqueur voltairien ?», Cahiers Voltaire, 14, 2015, p. 284-285; repris, sous le titre «Pierre Foglia, chroniqueur voltairien ?», dans Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, p. 97-99.

Est-ce vraiment arrivé un 30 mai ?

Voltaire, buste

«Nous sommes décidément dans l’ère des centenaires. On parle à Paris ni plus ni moins que de célébrer l’année prochaine celui de la mort de Voltaire; voici à ce propos un fait assez curieux.

Les fenêtres de l’appartement où Voltaire expira le 30 mai 1778, sur le quai qui porte aujourd’hui son nom, n’ont jamais été ouvertes depuis ce jour, en vertu d’une clause du testament de la marquise de Villette, et elles ne doivent être ouvertes qu’au centième anniversaire de sa mort, c’est-à-dire l’an prochain. On se demande ce qui a pu motiver une clause semblable : dans tous les cas, les Parisiens n’auront qu’à bien se tenir le 30 mai 1878, car le diable en personne va s’échapper ce jour-là des fenêtres si longtemps condamnées, ce qui ne sera pas bien rassurant pour les hommes de l’ordre moral qui ont promis à la France une longue vie de bonheur et de paix, grâce aux coups d’État, aux destitutions, aux persécutions, aux incarcérations et à la suppression de toutes les libertés dont la France commençait à faire l’essai intelligent et modéré.»

Arthur Buies, Petites chroniques pour 1877, Québec, C. Darveau, 1878, p. 25-26; cité d’après Arthur Buies, Chroniques II, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Bibliothèque du Nouveau Monde», 1991, 502 p., p. 336. Édition critique par Francis Parmentier.

Pierre Foglia et le numérique

Pierre Foglia, le chroniqueur de la Presse, a annoncé ce matin qu’il était à la retraite depuis l’automne. Cela explique son absence quasi totale des pages du quotidien depuis quelques mois.

Comme beaucoup, l’Oreille tendue le lisait systématiquement depuis plusieurs lustres. Il lui est même arrivé de parler de lui en classe, pour décrire les conditions particulières de la lecture numérique. Explication.

L’Oreille est, à ses heures, historienne de la littérature, et plus particulièrement encore de la lecture. À ce titre, elle insiste toujours sur l’importance fondamentale des supports de lecture. On ne lit pas le journal comme un roman, à l’écran comme sur du papier.

Les lecteurs peuvent aujourd’hui aller chercher, dans une base de données, les chroniques de Foglia sans avoir besoin de tenir dans leurs mains le journal où elles ont paru à l’origine. Or la lecture que l’on fait de ces chroniques n’est pas exactement la même dans les deux cas.

Dans une base de données, les lecteurs pourront bien sûr découvrir l’article dans lequel le chroniqueur raconte la mort d’une jeune fille renversée par un chauffard alors qu’elle rentrait chez elle (à bicyclette ?), écouteurs aux oreilles.

S’ils se contentent de la base de données, ils ne sauront pas que cette chronique a paru, dans la version papier du journal, à côté d’un fait divers racontant la mort d’une autre jeune fille qui rentrait chez elle (à bicyclette ?), écouteurs aux oreilles. Bref, dans des circonstances identiques.

La base de données, ce sont des écrits isolés. Le journal, c’est un lieu vivant, dans lequel les chroniques sont (involontairement) en dialogue avec les articles qui les entourent, jusqu’à l’ironie noire de pareille juxtaposition.

L’Oreille pourra continuer à utiliser cet exemple, mais pas, malheureusement, à attendre les nouvelles chroniques de l’auteur.

P.-S.—On a souvent déploré le fait que Pierre Foglia n’ait pas rassemblé ses chroniques en recueil. L’aurait-il fait, qu’il les aurait sorties de leur écosystème. Cela aussi aurait déterminé leur lecture.

P.-P.-S.—L’Oreille cite de mémoire. Si elle se trompe, il n’est pas indispensable de le lui dire.

Vocabulaire non agricole

Marie-Pascale Huglo, Montréal-Mirabel, 2017, couverture

Titre dans le Devoir de la semaine dernière : «Émissions des vaches et des puits de gaz. La ministre serait dans le champ» (19 janvier 2011, p. A4).

Si elle est dans le champ, ce n’est pas que la ministre des Richesses naturelles et de la Faune du Québec, Nathalie Normandeau, se promène à la campagne. Qui est dans le champ se trompe, et complètement.

Quand elle affirme ceci : «Écoutez, une vache émet plus de CO2 dans l’atmosphère qu’un puits. Je veux dire que c’est factuellement prouvé», donc, elle se trompe.

 

[Complément du 25 août 2024]

Les exemples littéraires ne manquent pas.

«Pourrais-tu lire ce que j’ai écrit et me dire si je suis dans le champ ?» (l’Amour des maîtres, p. 106)

«qui suis-je, pauvre romancier généraliste, pour dire aux lecteurs qu’ils sont dans le champ ?» (le Romancier portatif, p. 139)

«L’écriture déplace, elle tire sa force de ce qui nous jette à côté de nous-même. Nous sommes dans le champ tout le temps, nous écrivons pour ça, avec ça. Je le crois depuis le début» (Montréal-Mirabel, p. 100).

 

Références

Dickner, Nicolas, le Romancier portatif. 52 chroniques à emporter, Québec, Alto, 2011, 215 p.

Grégoire, Mélissa, l’Amour des maîtres, Montréal, Leméac, 2011, 245 p.

Huglo, Marie-Pascale, Montréal-Mirabel. Lignes de séparation. Récit, Montréal, Leméac, 2017, 152 p.