Divergences transatlantiques 060

Image de la série télévisée le Bureau des légendes, 1re saison, 4e épisode

Il y a quelques années, l’Oreille tendue citait cette phrase : «La marde va frapper la fan tantôt, Monsieur le Premier Ministre» (le Devoir, 30 janvier 2014, p. A1).

Elle rappelait alors que La marde va frapper la fan est un calque de l’anglais The shit will hit the fan.

Regardant récemment le quatrième épisode de la première saison de la série le Bureau des légendes, elle a découvert un équivalent hexagonal : «Ça chie dans l’ventilo» (article du Wiktionnaire ici).

En ces temps de pandémie, ne pourrait-on pas aussi dire que la merde est aéroportée ?

 

[Complément du 13 mai 2021]

En images :

Réponses du mercredi matin

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Vous vous demandez pourquoi, dans l’édition française de 1997 de la Conjugaison pour tous (le Bescherelle), il y a des verbes dits «québécois» qui vous étonnent (affarmir, xaminer) ? Vous ne comprenez pas comment le français québécois de Sous les vents de Neptune (2004) de Fred Vargas peut être aussi bizarre ? L’accent de Marion Cotillard dans Rock’n’roll, le film de Guillaume Canet (2017), ne vous convainc pas ?

Allez lire, de Nadine Vincent, «Qu’est-ce que la lexicographie parasite ? Typologie d’une pratique qui influence la représentation du français québécois» (Circula. Revue d’idéologies linguistiques, 11, printemps 2020, p. 106-124). Vous y verrez que tout est affaire de sources. Quand on ne choisit pas les bonnes, ça peut causer toutes sortes d’incohérences.

En une formule : «pour reproduire le français du Québec, les Français pointés du doigt se sont parfois basés sur des sources québécoises inadéquates» (p. 108).

En quelque synonymes : «clichés» (p. 115), «inexactitudes» (p. 115), «stéréotypes» (p. 122), «idées préconçues» (p. 122).

À lire.

P.-S.—Cela ne peut probablement pas expliquer tout ce qui se trouve ici dans la rubrique «Ma cabane au Canada».

Épique Richard

Williiam S. Messier, Épique, 2010, couverture

«Bof, on déboulonne pas un mythe en quelques jours.
Ça prend du temps.»

Découvrant que Jacques Prud’homme, le personnage plus grand que nature du roman Épique (2010), de William S. Messier, avait «du vrai feu dans les yeux» (p. 56), l’Oreille tendue s’est dit qu’il y avait du Maurice «Rocket» Richard là-dessous.

Comme de fait, dans ce roman sur une légende de Brome-Missisquois, le mythe par excellence du hockey québécois fait trois apparitions, dont une indirecte.

La première se trouve dans un beau passage olfactif.

Le truck de Jacques sentait la vieille paire de gants de travail : c’est une odeur qui ne pourra jamais me déplaire. Elle parle de job, de muscle et de terre. Elle émane des vêtements de Jacques, comme de ceux de mon père, du père de Valvoline et d’une bonne quantité de bonshommes qui venaient me voir quand je travaillais au Rona et de collègues qui travaillaient chez McStetson Canada Inc. Je suis convaincu que des hommes outrevirils et jobbeurs comme Babe Ruth, Maurice Richard, Woodry Guthrie, Marlon Brando, Bruce Springsteen, Roy Dupuis, Tom Selleck et Jos Montferrand sentent ou sentaient régulièrement comme l’intérieur du truck de Jacques (p. 64).

À côté de ceux de sportifs (Ruth), de chanteurs (Guthrie, Springsteen), de comédiens (Brando, Dupuis, Selleck) et d’un homme fort, lui-même légendaire (Montferrand), le nom de Richard n’étonne pas. (Ledit Roy Dupuis a d’ailleurs joué trois fois le rôle du Rocket.)

Quand il lit «Prud’homme récolte la première, la deuxième et la troisième étoiles» (p. 189), tout lecteur féru d’anecdotes sportives pense à la soirée du 23 mars 1944. Ayant marqué les cinq buts de son équipe dans une victoire de 5 à 1, Maurice Richard a reçu, ce soir-là, les trois étoiles du match.

Dans la dernière occurrence, Jacques Prud’homme parle du moteur de son camion : «Avant que ça pète, il va te pousser une corne dans le front, des ailes dans le dos, une queue dans le cul et tu vas vouloir qu’on t’appelle Maurice Richard» (p. 62).

Cette allusion est pas mal plus inattendue que les deux autres.

 

Référence

Messier, William S., Épique. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2010, 273 p.

Yé-yé ? Yé !

Jukebox, documentaire, 2020, affiche

L’Oreille tendue, même si elle arrive de moins en moins à le croire, a déjà été jeune. Grandissant au cours des années 60 — des années 1960 —, elle a été exposée à la culture yé-yé du Québec. Elle a retrouvé cette culture avec ravissement dans le documentaire Jukebox (2020) de Guylaine Maroist et Éric Ruel, avec la collaboration de Sylvain Cormier au scénario. Ses sources conjugales avaient raison de le lui recommander.

Le film met en lumière le rôle central du producteur Denis Pantis dans cette culture, en recueillant ses souvenirs et en faisant défiler autour de lui quelques-uns de ses collaborateurs et des artistes qu’il a propulsés au sommet des palmarès (en leur laissant bien peu de marge de manœuvre et bien peu de temps pour réfléchir : tout devait aller vite pour lui). Jusqu’à aujourd’hui, Pantis n’était guère connu que des spécialistes de la musique des années 1960 et 1970; ce film va changer les choses.

Outre Pantis, on entend chanter Les Classels («Ton amour a changé ma vie»), Les Baronets («Est-ce que tu m’aimes ?»), Les Miladys («Sugar Town»), Les Bel Cantos («Découragé»), Robert Demontigny («Un baiser de toi»), d’autres encore. L’Oreille avoue avoir découvert l’existence de Goliath et les Philistins et d’Ali Baba et les 4 voleurs, mais elle n’avait pas oublié César et les Romains («Splish Splash»).

Les témoignages sont nombreux : Michel Constantineau, Ginette Laterreur, Pierre Trudel, Renée Martel («Liverpool»), Bruce Huard (celui des Sultans), Michèle Richard (qui fait un assez étonnant numéro, y compris quand elle refuse d’aborder certaines questions), etc. On voit combien la culture yé-yé québécoise était marquée par son rapport aux États-Unis : Pantis y trouvait la plupart des chansons qu’il adaptait aux goûts supposés de son public pour les transformer en succès éphémères; c’est là-dessus que son industrie — et c’en était une — était fondée.

Le montage marie admirablement des images d’actualité et d’autres venues des productions de l’Office national du film du Canada. Jukebox est un bonheur pour les yeux comme pour les oreilles.

Disons-le tout net : l’Oreille a chanté.

P.-S.—S’il fallait adresser un reproche au documentaire, c’est sa fin abrupte : on aurait aimé en savoir plus sur Pantis après l’arrivée du cédérom (1985) et la disparition du 45-tours. On ne boudera pas son plaisir pour autant.

P.-P.-S.—Allez voir le site du film : il y a à boire et à manger.

Accouplements 148

Neighbours / Les Voisins, film de Norman McLaren, Office national du film du Canada, 1952

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Courtois, Grégoire, les Agents. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Parallèle», 01, 2019, 292 p.

«Au début, les humains naissaient sur le sol, et durant des millénaires ils tentèrent de le partager, en y élevant des parois, en y plantant des clôtures, en y taillant des pierres, en y marquant des lignes, en y notant quoi que ce soit qui permette de savoir à qui appartenait quoi, afin qu’idéalement soient séparés tous de chacun.
Ce fut l’œuvre longue et âpre de l’humanité, celle qui l’éleva du magma des corps suants à la pure verticalité d’aujourd’hui, celle qui changea l’éventuel en existant et le possible en certain.
Au début, les humains vivaient au sol, et il fallut encore bien du temps avant que toutes les surfaces soient réparties entre ceux qui avaient fait le choix de la solitude plutôt que celui de la communauté» (p. 54-55).

Rousseau, Jean-Jacques, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité entre les hommes, dans Écrits politiques, Paris, Le livre de poche, coll. «Classiques de la philosophie», 4604, 1992, 545 p. Édition, introduction, commentaires, notes, chronologie et bibliographie par Gérard Mairet. Édition originale : 1754.

«Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. Mais il y a grande apparence qu’alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient; car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d’idées antérieures qui n’ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d’un coup dans l’esprit humain. Il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l’industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d’âge en âge, avant que d’arriver à ce dernier terme de l’état de nature» (p. 109).

 

Illustration : Neighbours / Les Voisins, film de Norman McLaren, Office national du film du Canada, 1952

 

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté le roman de Grégoire Courtois le 18 mars 2020.