Chapelles ardentes

«On est un groupe de joueurs de toutes les époques
qui veulent garder le flambeau très haut.
Il faut porter notre flambeau maintenant sans le grand Jean.
C’est à nous de prendre la relève,
avec les Guy Lafleur de ce monde.»
(Réjean Houle, 7 décembre 2014)

Le 30 mai 2000, le Centre Molson de Montréal accueillait une chapelle ardente pour le joueur de hockey Maurice «Rocket» Richard (1921-2000). L’Oreille tendue l’a décrite ici.

Les 7 et 8 décembre 2014, ce qui est devenu le Centre Bell en accueille une autre, pour Jean Béliveau (1931-2014).

Comment les comparer ?

Dans les deux cas, un cercueil, l’un ouvert (Richard), l’autre fermé mais couvert de roses blanches (Béliveau), auprès duquel se tient la famille venue recevoir les bons mots des amateurs.

Un même caractère solennel, marqué par le silence des admirateurs.

Quand un joueur est jugé exceptionnel par une équipe, on retire le numéro qu’il a porté et on le fait monter dans les cintres (le ciel ?) de son aréna. Le numéro 9 de Richard et le numéro 4 de Béliveau y sont. Au moment de leur rendre hommage, on fait redescendre la bannière qui les honore près de la glace.

Pour chacun des joueurs, deux photos, l’une en noir et blanc, l’autre en couleurs.

Le noir et blanc, c’est le passé glorieux. Pour Richard, on a repris sa représentation la plus iconique, la photo prise par David Bier, du journal The Gazette, dans les années 1950 : yeux exorbités, Richard pousse la rondelle devant lui. Pour Béliveau, il n’existe pas de telle photo, qui ferait l’unanimité et qui serait reprise partout. On le montre plutôt tenant la coupe Stanley au bout de ses bras. D’une part, cela permet de rappeler que le joueur de centre des Canadiens a mené son équipe à 10 championnats. D’autre part, cela correspond parfaitement aux témoignages entendus depuis bientôt une semaine : Béliveau était d’abord et avant tout un joueur d’équipe.

 

Montage photographique, noir et blanc, Maurice Richard et Jean Béliveau

La couleur, c’est l’héritage à transmettre. Richard et Béliveau, en maillot rouge, portent à la main le flambeau devenu emblématique de l’équipe montréalaise. Ce qu’ils transmettent à ceux qui sont venus leur rendre hommage, c’est la tradition des Canadiens de Montréal, un patrimoine (familial aussi bien que collectif). Ce flambeau est aujourd’hui une composante capitale de l’image que veut donner l’équipe d’elle-même.

 

Montage photographique, couleurs, Maurice Richard et Jean Béliveau

À ces photos s’ajoutent, dans le cas de Béliveau, deux séries d’objets. Sa statue de bronze se trouve habituellement à côté du Centre Bell : entreposée depuis quelques mois à cause de travaux de construction, on l’a ressortie pour l’occasion. Quatre des trophées gagnés par Béliveau sont visibles, certains remportés à titre individuel (le Hart, le Art-Ross, le Conn-Smythe), d’autres à titre collectif (la coupe Stanley).

Sur les écrans qui entourent la patinoire, on projette une image de la signature de l’ancien capitaine.

Une dernière chose distingue la chapelle ardente en l’honneur de Jean Béliveau de celle pour Maurice Richard. On a choisi d’éclairer le siège qu’y occupait le premier (section 102, rangée EE, siège 1). Richard avait peu de liens symboliques forts avec le Centre Bell, alors que Béliveau y était une présence familière.

La mise en scène de 2014 est plus élaborée que celle de 2000, mais, dans les deux cas, il s’agit de modeler la mémoire de deux grands joueurs de hockey. À qui cela s’adresse-t-il ? Autant à ceux qui ont vu jouer ces joueurs qu’aux générations qui ne peuvent pas les avoir vus jouer. Rappelons-le : quand Maurice Richard meurt, il a pris sa retraite depuis 40 ans; Jean Béliveau, depuis 43 ans. Ceux qui leur rendent hommage rendent aussi — surtout ? — hommage au souvenir qu’on leur a transmis.

 

[Complément du jour]

Olivier Bauer, professeur à l’Université de Montréal et grand spécialiste de la Religion du Canadien de Montréal (2009), s’est rendu au Centre Bell. Récit.

Mémoire d’un héros

Carte de Jackie Robinson dans l’uniforme des Dodgers

Depuis 2004, le 15 avril est le «Jackie Robinson Day» aux États-Unis. C’est en effet ce jour-là, en 1947, qu’il est devenu le premier joueur noir de l’histoire du baseball dit «moderne».

L’Oreille tendue est une fan de Robinson.

Pour mémoire, voici deux textes qu’elle lui a consacrés : «Baseball et numérique» (sur le livre Fortitude de Lyle Spencer), «42» (sur le film de Brian Helgeland qui porte ce titre).

Cinq notes pour la Fête nationale

Char allégorique, Fête de la Saint-Jean-Baptiste

I.

Lire les premières lignes d’un texte de Lise Payette dans le Devoir du 21 juin :

Nous sommes un peuple de patience et d’endurance. Nous l’avons prouvé pendant 400 ans ou presque. Nous avons été tondus si souvent que nous avions presque fini par trouver notre sort normal et nous avons pensé que c’était notre destin.

Ne pas s’y reconnaître. Arrêter de lire.

II.

Apercevoir le titre «Des Mosaïcultures grandioses avec des plantes d’ici» (le Devoir, 22-23 juin 2013, p. D6). L’ajouter à sa collection de d’ici.

III.

Chercher un cou bleu autour de soi et ne pas en trouver.

IV.

Se dire que les mots de la Saint-Jean(-Baptiste), donc de la fête nationale du Québec, dont l’Oreille tendue a parlé l’an dernier à la radio de Radio-Canada sont toujours parfaitement d’actualité, bien que le gouvernement ait changé.

V.

Retrouver une citation de circonstance.

Célébrer ?

Le 20 mars est la Journée internationale de la francophonie.

Ladite francophonie, quel que soit son ancrage géographique, est unie à plusieurs égards. Elle partage des inquiétudes, elle cherche ses mots, elle a les mêmes tics universitaires (ici, , encore ici, toujours là, de ce côté, de l’autre), qui sont souvent des «atlantics», malgré nombre de «divergences transatlantiques», et elle succombe aux même effets de mode (le swag, les mots de l’année).

Fêtera qui le souhaite cette unité dans la diversité.