De l’article Cheapo
De l’article Ella Fitzgerald et le baseball
De l’article Guidoune
De l’article Guy Lafleur
De l’article Mots de la neige
De l’article Van
« Nous n’avons pas besoin de parler français, nous avons besoin du français pour parler » (André Belleau).
De l’article Cheapo
De l’article Ella Fitzgerald et le baseball
De l’article Guidoune
De l’article Guy Lafleur
De l’article Mots de la neige
De l’article Van
Jackie Robinson est le premier joueur noir du baseball «moderne». L’Oreille tendue l’admire et elle a beaucoup parlé de lui (voir ici). Elle a lu plusieurs livres à son sujet, le plus récent étant la biographie publiée il y a quelques mois par Kostya Kennedy, True. The Four Seasons of Jackie Robinson. Comment dire quelque chose de neuf d’une figure si souvent commentée ?
Kennedy se concentre sur quatre «saisons» dans la vie de Robinson : 1946 (au moment où il jouait pour les Royaux de Montréal), 1949 (quand il a été nommé joueur le plus utile de la Ligue nationale de baseball), 1956 (lorsque sa carrière se termine), 1972 (alors qu’il meurt à 53 ans). Cela est suivi d’un texte intitulé «Afterlife», où il est est question de la Fondation Jackie-Robinson et de la postérité du joueur (culturelle, politique, sociale). Quel que soit l’événement retenu, l’auteur ne se gêne jamais pour reculer dans le temps ou pour évoquer ce qui viendra : il peut ainsi aborder tous les aspects de la vie ou de la carrière de Robinson à partir des quatre dates qui structurent l’ouvrage.
Les Montréalais, pour d’évidentes raisons, sont attachés à la saison 1946. Si Branch Rickey, le patron des Dodgers de Brooklyn, a choisi Montréal pour faire entrer Robinson dans le baseball professionnel «blanc», c’est, d’une part, parce qu’il mesurait les difficultés que le joueur aurait rencontrées en commençant sa carrière à Brooklyn et, d’autre part, parce qu’il croyait que le milieu montréalais lui serait moins hostile qu’une ville états-unienne. Cela s’est confirmé : Robinson et sa femme Rachel ont passé des décennies à partager les souvenirs heureux de leur séjour.
L’année passée à Montréal par Robinson est bien connue, notamment grâce au livre de Marcel Dugas, Jackie Robinson, un été à Montréal (2019). Kennedy n’apporte guère d’informations nouvelles à ce propos, mais il est plus sensible à ce qui s’est passé en 1946 que le réalisateur Brian Helgeland dans 42, son film de 2013. Il ne dore pas non plus la pilule : il y avait du racisme contre les Noirs à Montréal dans les années 1940, mais il ne prenait pas les mêmes formes instituées qu’aux États-Unis à la même époque (p. 18-19). S’il est prudent sur ce plan, Kennedy l’est moins en matière culinaire — il n’est pas du tout sûr qu’on ait mangé de la poutine à Montréal en 1946 (p. 40) — ou linguistique — c’est quoi, ça, le «Franglais» (p. 60) ?
Là où True apporte de l’information intéressante (à défaut d’être complètement inédite), c’est autour de quelques figures. Kennedy insiste, par exemple, sur les motivations de Branch Rickey et sur son importance, non seulement pour le recrutement de Robinson, mais pour les modes d’organisation du baseball professionnel : «Branch Rickey […] bowed with equal piety at the altars of Methodism and capitalism» (p. 112); «Alfred North Whitehead suggested that the last 2,500 years of Western philosophy can be viewed as a series of footnotes to Plato. It’s as easy to see the last century of baseball player development as a series of footnotes to Branch Rickey» (p. 143 n. 19). La comparaison entre Roy Campanella et Robinson est éclairante : «I’m no crusader» (p. 150), aurait un jour déclaré le premier au second, qui, lui, en était un. En 1955, pendant un match des séries mondiales, Robinson essaie un jeu osé; un de ses adversaires, Yogi Berra, est convaincu qu’il a raté son coup, mais l’arbitre en décide autrement, ce qui rend Berra furieux. Pendant des années, cela sera un rituel conversationnel entre Berra («Out !») et Rachel Robinson («Safe !») (p. 165). Même avec un ami comme Martin Luther King, Robinson pouvait monter le ton, comme le montrent ses lettres (p. 212-217).
Des questions hypothétiques sont abordées : que serait-il arrivé si Robinson était passé aux Dodgers dès 1946, sans attendre 1947 (p. 49-54) ? Le jeu le plus excitant au baseball ne serait pas, comme on le dit souvent, le triple, mais une souricière impliquant Robinson (p. 70-73). En effet, là où Robinson aurait été le plus dangereux, c’est comme coureur («Basepaths», p. 65-73). Le principal intéressé le savait : «“Daring,” he said. “That’s half my game”» (p. 66). S’agissant de lutte contre la ségrégation, le stade des Dodgers, dans les années 1940 et 1950, aurait été un lieu inédit : «What was happening on the Dodgers in those years was not happening in many other places» (p. 90); «Was there in 1949 another public accommodation in America so naturally desegregated as Ebbets Field ?» (p. 122)
Kennedy ne passe pas sous silence les aspects les plus sombres du tempérament de Robinson. Quand il commence sa carrière, beaucoup est attendu de lui — «the most anticipated, talked-about, and heavily freighted debut in the history of professional sports» (p. 50) — et Rickey lui demande de ne pas répliquer aux attaques dont tout le monde sait qu’il sera la victime. Par la suite — après les «steely early years of self-restraint» (p. 215) —, Robinson n’hésitera pas à se défendre. Comme il n’avait pas peur de la controverse («his readiness to antagonize» [p. 216 n. 28]), il n’avait pas peur non plus de s’en prendre, verbalement ou pas, à ses adversaires (p. 172) comme à ses coéquipiers (p. 107, p. 164).
True est une lecture agréable à plusieurs égards, mais tout n’y est également réussi. Kostya Kennedy, à l’occasion, attribue des pensées à ses personnages, comme s’il avait accès à ce qu’ils ont de plus intime : «I can’t fail again, he thought. I won’t let that happen» (p. 179). L’excellent passage sur la position au bâton de Robinson, qui ouvre le livre («Stance», p. 3-6), est suivi d’une bien artificielle tentative de mise en parallèle entre cette position et le rôle des États-Unis dans le monde après la Deuxième Guerre mondiale (p. 4). Les amateurs de bons sentiments apprécieront quelques passages (p. 42-43, p. 90-91, p. 187-189, p. 193); ce n’est pas le cas de l’Oreille.
Terminons, comme il se doit, en rappelant les propos de Robert B. Parker dans Hush Money, en 1999 : «Nobody’s Jackie Robinson» (p. 229). C’est triste, mais c’est comme ça.
Références
Dugas, Marcel, Jackie Robinson, un été à Montréal. La fin de la ségrégation raciale dans le baseball, Montréal, Hurtubise, 2019, 204 p. Ill.
Helgeland, Brian, 42, film, 2013.
Kennedy, Kostya, True. The Four Seasons of Jackie Robinson, New York, St. Martin’s Press, 2022, viii/278 p. Ill.
Parker, Robert B., Hush Money. A Spenser Novel, New York, G. P. Putnam’s Sons, 1999, 309 p.
En 1989, Tom Radford réalise pour la télévision le film Life after Hockey / la Vie après le hockey, sur un scénario de Michael Puttonen et Kenneth Brown d’après une pièce de théâtre de Kenneth Brown. D’une durée de 50 minutes, le film est produit par Andy Thomson pour Great North Productions Inc.
Sur la cassette vidéo, voici comment le film est présenté :
«Vivez toute la magie du hockey et des héros sur patins dans cette fantaisie unique ! Ken “Ring Rat” Brown rêve des idoles de son sport favori dans la Vie après le hockey. Obsédé du hockey, Ken voit son imagination se jouer de lui.
Le légendaire Maurice “Rocket” Richard, Kurt Browning, champion du monde de patinage artistique, et Glen Sather, l’entraîneur qui a mené l’Équipe Canada à une victoire dramatique en prolongation en 1984 contre les Soviétiques, viennent à tour de rôle rencontrer “Rat”. Mais est-ce bien un rêve ? Quand Glen Sather demande à Ken d’aider son pays, il ne peut le croire. Et finalement “Ring Rat” lui-même détient le record de tous les temps pour le plus grand nombre de buts comptés uniquement en rêve…»
Le Rat est donc un rêveur. Il prétend avoir marqué, en période supplémentaire, le but gagnant du Canada contre la République soviétique lors de la coupe Canada de 1984. Ce soir-là, il regardait le match des estrades de l’aréna de Calgary quand Michael Bossy a été blessé. Or Le Rat aurait ressemblé à Bossy (c’est Guy Lafleur qui le lui aurait dit). On lui fait enfiler son chandail et on l’assoit au banc de l’équipe canadienne, histoire de ne pas laisser les Soviétiques savoir que Bossy est blessé. Dans le feu de l’action, Glen Sather, l’entraîneur de l’équipe canadienne, est distrait et il envoie Bossy / Le Rat dans la mêlée, et c’est lui qui marque le but gagnant.
Mike Bossy a fait rêver beaucoup de monde. Il est mort aujourd’hui, à 65 ans.
P.-S.—Il est aussi question de Maurice Richard dans ce film. Cela est abordé dans le livre qu’a fait paraître l’Oreille tendue en 2006.
Référence
Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.
«It was, in the Richardian tradition, a rhubarb classic.»
Andy O’Brien, Rocket Richard, 1961
Maurice Richard a joué pour les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — de 1942 à 1960. Pendant et après sa carrière, il a tenu chronique, avec l’aide de plumes mercenaires, dans quelques publications. L’essentiel de son œuvre en prose tient dans ses articles de Samedi-Dimanche (sous le titre «Le tour du chapeau», 1952-1954), de Parlons sport (au début des années 1960), de Dimanche-matin (durant les années 1960, 1970 et 1980), de La Presse (1985-2000) et d’une éphémère revue new-yorkaise, Maurice Richard’s Hockey Illustrated.
Dans Samedi-Dimanche, au début de 1954, à la suite de la suspension de son coéquipier Bernard «Boom-Boom» Geoffrion, le commentateur vise haut. Il décide de s’en prendre à l’autorité du président de la Ligue nationale de hockey, soupçonné de (dé)favoritisme ethnique : Geoffrion aurait été la victime des sentiments anti-Canadiens français de Clarence Campbell. Le propos est ferme :
D’après bon nombre d’amis qui surveillent le président Campbell durant les joutes, au Forum, de sa loge du côté sud de l’amphithéâtre, M. le président afficherait une partialité évidente dans ses réactions au jeu, il sourit et affiche ouvertement sa joie quand le club adverse compte un but contre nous et on sait d’ailleurs qu’à plusieurs occasions il a toujours rendu ses décisions contre les joueurs du Canadien. […] J’ai l’impression que M. Campbell serait partial (texte cité par Jean-Marie Pellerin, p. 227-228).
Minimisant, pour cause d’autodéfense, le fait que Geoffrion avait blessé avec son bâton un joueur adverse, Ron Murphy des Rangers de New York, Richard s’en prend directement à Campbell, ce «dictateur», qu’il met au défi, deux fois plutôt qu’une : «Si M. Campbell veut me sortir de la Ligue pour avoir osé le critiquer, qu’il le fasse !»; «Voilà mon opinion franche et si elle doit m’apporter des sanctions, eh bien, tant pis ! Je sortirai du hockey et j’ai l’idée que plusieurs autres joueurs du Canadien, qui partagent mon opinion, en feront autant !» (texte cité par Jean-Marie Pellerin, p. 227-228)
Promesses non tenues. La Ligue nationale lui enjoint de se rétracter, d’où sa lettre, en anglais, du 14 janvier 1954 (reproduite ci-dessus; texte complet ci-dessous).
Extrait (de la traduction) :
comme le hockey m’a été très favorable, je fais humblement et sincèrement mes excuses au président Campbell et aux gouverneurs de la ligue, non pas que j’y sois forcé par mon propre club mais parce que c’est le geste honorable et sportif à faire.
Je réalise pleinement que les accusations portées n’étaient pas fondées et je tiens à établir hors de tout doute que je ne mettais en cause ni l’intégrité de M. Campbell ni l’honnêteté du sport.
Si vous jugez bon d’accepter cette rétractation, je me sentirai dégagé d’une bien lourde responsabilité.
La chronique qui a déclenché la controverse sera la dernière avant plusieurs années. Richard le clame, mais il protège ses arrières :
Pour manifester ma bonne foi je dépose mon chèque au montant de mille dollars afin de démontrer que chaque mot de cette lettre veut bien dire ce qu’il veut dire.
Si je ne tenais pas ma promesse, je perdrai ces mille dollars. Si vous me trouvez digne de votre indulgence j’ai confiance que cet argent me sera remboursé, lorsque j’aurai fini de jouer.
L’appel à la prudence, pour ne pas dire plus, a été entendu.
La polémique sera relancée deux jours plus tard, dans la dernière chronique de Maurice Richard pour Samedi-Dimanche. Abandonnant le ton contrit de sa lettre, il met fin à sa collaboration au journal par ces mots :
Ceci est ma dernière chronique comme journaliste. Je le regrette, car je trouvais un certain plaisir à exprimer mes opinions personnelles sur les choses du hockey.
On m’en refuse le droit. Je n’ai plus la liberté de parole. Comme joueur de hockey, je suis obligé d’obéir aux ordres de mes employeurs. Je ne juge pas leur décision, je laisse plutôt mes amis en juger.
Peut-être plus tard, quand je n’aurai pas les mains attachées derrière le dos, reviendrai-je. Peut-être plus tôt qu’on ne le pense (texte cité par Jean-Marie Pellerin, p. 245).
«Journaliste» ? Le terme est un peu fort. Bon employé ? Il le dit, en laissant entendre qu’il n’est pas de l’avis de ses employeurs. Martyr de la liberté d’expression ? Voilà qui n’est pas rien, même si d’autres que lui partagent sa lecture des événements, à l’époque et depuis.
Cette lettre a fait couler beaucoup d’encre. Qui l’a écrite ? Peu croient que ce soit Maurice Richard tout seul. Quelques-uns avancent que son véritable auteur serait Frank Selke, un des dirigeants des Canadiens (O’Brien 1973, p. 36; Frayne 1973, p. 69-70; Goyens et Orr 2000, p. 87; Lamarche 2000, p. 32; Brown 2002, p. 128-129). C’est la position du cinéaste Charles Binamé dans Maurice Richard (2005, 95e minute). Certains vont plus loin : elle aurait été rédigée par Selke et par son destinataire, Clarence Campbell (Wind 1954, p. 74; Frayne 1968, p. 62-63). En 1961 (p. 41), puis en 1967 (p. 59), Andy O’Bien ne mâche pas ses mots, qui dénonce «The Abject Apology». Trente ans plus tard, Michel-Wilbrod Bujold parlera de «la plus humiliante défaite de toute l’histoire du hockey. C’est comme si Richard avait été pris en otage et qu’il avait accepté de verser une rançon directement dans les mains de ses ravisseurs !» (1997, p. 28)
Une chose est sûre : on en parle depuis des décennies.
N.B. On trouve beaucoup de choses sur eBay, mais pas toutes les références bibliographiques nécessaires. L’Oreille tendue possède la page de journal qu’on voit ci-dessus, mais elle ne sait pas de quel journal il s’agit (Parlons sports ?), malgré la consultation du site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Tout est bien qui finit bien !
January 14, 1954.
To the President & Governors of the National Hockey League :
Dear Sirs :
I have just concluded my second conference with Mr. Selke, in which we discussed my column which appeared in Samedi Dimanche, under date of January 9th.
A number of influential friends and jurists have offered me legal assistance, but as I accept full responsibility for whatever was written, I am anxious to undo any harm which has been done.
When I wrote the article, I did not realize how serious the accusations were–neither did it occur to me that the column would receive national coverage.
Mr. Selke has brought this to my attention, and as the game of hockey has been very good to me, I humbly and most sincerely apologize to President Campbell and the Governors of the League. Not because I am forced to do so by my club, but because it is the honourable and sporting thing to do.
I realize fully that the accusations made were unfounded and I am anxious that Mr. Campbell’s integrity and the honesty of the game be established beyond question.
If you see fit to accept this retractation, then I will feel a great responsability has been taken off my mind.
Mr. Selke has also advised me to discontinue writing in any newspaper or other publication during my career as an active player. To this I readily agree. Even though I enjoyed writing these articles at first, they have recently become increasingly difficult because of the emotional strain many of the games exert on me, making it very difficult to write articles containing punch without some parts being objectionable to someone, somewhere.
May I repeat that in all of this I have been advised by the Club de Hockey Canadien, but no pressure has been placed on me by either the club or league. I play hockey with every ounce of strength in me. I shall always do so and wish to be just as fortright in making amends when in the wrong.
As evidence of good faith I hereby deposit my cheque in the amount of One Thousand Dollars as proof that I mean every word contained in this letter.
Should I fail to keep my promise, this thousand dollars is to be lost to me. If you find me worthy of your indulgence I trust it will be returned when I finish as a player.
I would like to add that my path in hockey has not been too easy at times because of my temperament. I have always been an intense competitor, and I would not know how to play otherwise. It is the only way that I can give my best. I am sure that the fans around the circuit are aware of this fact and I trust that this incident will not have any bad effect throughout the remainder of my career.
Trusting that you will give my request favourable consideration, I remain,
Respectfully yours,
[signature]
MAURICE RICHARD.
Voici une traduction textuelle et au complet de la lettre que Richard a fait tenir à M. Campbell, pour clore heureusement un incident qui avait soulevé moult commentaires :
Le 14 janvier 1954
Au président et aux gouverneurs de la Ligue Nationale de Hockey : Chers messieurs,
Je viens d’avoir mon second entretien avec M. Selke sur ma chronique que Samedi-Dimanche a publiée dans son édition du 9 janvier.
Plusieurs amis influents ainsi que des juristes m’ont offert leur aide légale mais comme j’accepte l’entière responsabilité de tout ce qui a été écrit, je désire réparer le mal qui a pu être fait.
Lorsque j’ai écrit cet article, je me suis pas rendu compte de la gravité des accusations qu’il contenait. Je n’ai pas pensé non plus au fait que cette chronique allait faire le tour de la presse du pays.
Selke a attiré mon attention là-dessus et comme le hockey m’a été très favorable, je fais humblement et sincèrement mes excuses au président Campbell et aux gouverneurs de la ligue, non pas que j’y sois forcé par mon propre club mais parce que c’est le geste honorable et sportif à faire.
Je réalise pleinement que les accusations portées n’étaient pas fondées et je tiens à établir hors de tout doute que je ne mettais en cause ni l’intégrité de M. Campbell ni l’honnêteté du sport.
Si vous jugez bon d’accepter cette rétractation, je me sentirai dégagé d’une bien lourde responsabilité.
Selke m’a aussi conseillé de cesser d’écrire pour un journal ou d’autres publications tant que se prolongera ma carrière de joueur actif. J’accepte cela de bon gré. Même si, au début, j’ai eu du plaisir à écrire ces articles, cette tâche m’est devenue depuis quelque temps de plus en plus difficile à cause de la tension nerveuse que beaucoup de parties exercent sur moi. Cela me rend très malaisé d’écrire des articles à sensation où il n’y aurait rien de choquant pour quelqu’un quelque part.
Puis-je répéter que, dans cette affaire, j’ai été conseillé par le Club de Hockey Canadien mais qu’aucune pression n’a été exercée sur moi ni par le club ni par la ligue. Je joue le hockey avec chaque once d’énergie que j’ai. Je continuerai d’agir ainsi et d’être aussi franc en faisant des excuses lorsque j’aurai tort.
Pour manifester ma bonne foi je dépose mon chèque au montant de mille dollars afin de démontrer que chaque mot de cette lettre veut bien dire ce qu’il veut dire.
Si je ne tenais pas ma promesse, je perdrai ces mille dollars. Si vous me trouvez digne de votre indulgence j’ai confiance que cet argent me sera remboursé, lorsque j’aurai fini de jouer.
J’aimerais ajouter que ma carrière au hockey n’a pas toujours été facile à cause de mon tempérament. J’ai toujours été un athlète ardent et je ne saurais comment jouer autrement. C’est de cette seule façon que je peux faire de mon mieux. Je suis sûr que les amateurs de la ligue sont au courant de ce fait et je souhaite que cet incident n’ait aucune répercussion malheureuse sur le reste de ma carrière.
Espérant que vous allez prendre ma requête en favorable considération, je reste,
Respectueusement vôtre,
Maurice Richard.
[Ce texte reprend des analyses publiées dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]
Références
Brown, William, Doug. The Doug Harvey Story, Montréal, Véhicule Press, 2002, 288 p. Ill.
Bujold, Michel-Wilbrod, les Hockeyeurs assassinés. Essai sur l’histoire du hockey 1870-2002, Montréal, Guérin, 1997, vi/150 p. Ill.
Frayne, Trent, It’s Easy. All You Have to Do Is Win, Don Mills, Longmans, 1968, iii/157 p. Ill.
Frayne, Trent, Famous Hockey Players, New York, Dodd, Mead & Company, 1973, 160 p. Ill.
Goyens, Chrystian et Frank Orr, avec Jean-Luc Duguay, Maurice Richard. Héros malgré lui, Toronto et Montréal, Team Power Publishing Inc., 2000, 160 p. Ill. Préfaces d’Henri Richard et de Pierre Boivin.
Lamarche, Jacques, Maurice Richard. Album souvenir, Montréal, Guérin, 2000, 133 p. Ill.
Maurice Richard / The Rocket, film de fiction de 124 minutes, 2005. Réalisation : Charles Binamé. Production : Cinémaginaire.
Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.
O’Brien, Andy, Rocket Richard, Toronto, The Ryerson Press, 1961, x/134 p. Ill.
O’Brien, Andy, Fire-Wagon Hockey. The Story of Montreal Canadiens, Toronto, The Ryerson Press, 1967, viii/138 p. Ill.
O’Brien, Andy, Superstars. Hockey’s Greatest Players, Toronto, McGraw-Hill Ryerson Limited, 1973, vi/187 p. Ill.
Pellerin, Jean-Marie, l’Idole d’un peuple. Maurice Richard, Montréal, Éditions de l’Homme, 1976, 517 p. Ill.
Wind, Herbert Warren, «Fire on the Ice», Sports Illustrated, 1, 17, 6 décembre 1954, p, 32-36 et p. 70-75.
(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)
Soit la phrase suivante :
Mais si le nouveau DG du Canadien [c’est du hockey] ne reçoit pas l’offre espérée, Petry ne devient plus non plus le boulet qu’il était.
Laissons de côté la chronologie biscornue — comment «devenir» ce que l’on «était» ? — pour nous attacher au choix de ce verbe. N’y a-t-il pas là un de ces cas bien trop fréquents, du moins au Québec, où l’on se méfie sans raison du verbe être ?
Voyons voir :
Mais si le nouveau DG du Canadien ne reçoit pas l’offre espérée, Petry n’est plus non plus le boulet qu’il était.
À votre service.