Accouplements 111

Daniel Carr et Denis Diderot, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Bouchard, Olivier, «Le match d’hier revu et colligé #82», Athlétique, 8 avril 2018.

«On ne saura probablement jamais pourquoi Daniel Carr a passé tout ce temps dans la Ligue américaine. Le gars a 30 points à forces égales en 94 matchs d’expérience dans la LNH, ce qui ne ressemble à rien en surface, mais sachant qu’il joue 10, 11 minutes par matchs sur une quatrième ligne, ça revient à, oh, 25 ou 26 points par saison ? J’ai toujours un peu de misère à croire que ce genre de contribution est purement fongible.»

Melançon, Benoît, Diderot épistolier. Contribution à une poétique de la lettre familière au XVIIIe siècle, Montréal, Fides, 1996, viii/501 p. Préface de Roland Mortier. https://doi.org/1866/11382

«Si la lettre peut troubler le destinataire au moment même qu’il la reçoit, cela ne revient pas à dire que son pouvoir disparaît pour autant par la suite : ni consomptible ni fongible, elle reste chargée de sens, on peut y revenir, la relire, la toucher de nouveau, lui donner un nouveau sens — ou le même —, comme texte et comme objet» (p. 209).

Dans la vie, on n’utilise pas assez le mot fongible.

Autopromotion 357

Canadiens de Montréal, campagne publicitaire du 100e anniversaire, 2009

Plus tôt ce matin, sur les ondes du 106,9 Mauricie, l’Oreille tendue a parlé du conservatisme des Canadiens de Montréal — c’est du hockey. Cet entretien, avec Marc-André Pelletier, prolongeait le texte que l’Oreille cosignait avec Laurent Turcot dans la Presse+ du 1er avril.

Ça s’écoute ici.

Poésies printanières

François Pelletier et Paul Marion, Poetry Face Off. Poésie des séries, 2008, couverture

«art can survive on ice»

En 2002, puis de nouveau en 2004, le poète québécois François Pelletier et le poète états-unien Paul Marion se sont lancé un défi. Les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — étaient alors opposés, en séries éliminatoires, aux Bruins de Boston. Si les Canadiens gagnaient un match, Marion, un partisan lowellien des Bruins, avait perdu : il devait écrire un poème. Inversement, si les Bruins gagnaient, c’est Pelletier qui devait s’y coller. Comme il était prévisible (à l’époque), Marion écrivit plus que son collègue (huit poèmes contre cinq).

Ces poèmes furent d’abord publié dans «le carnet de santé mensuel littéraire et graphique» (p. 5) Steak haché (numéros 48 et 49, avril et mai 2002; numéro 72, avril 2004). Ils ont été repris en recueil en 2007, puis dans une «seconde édition» en 2008, avec des dessins inédits de Pascal Picher.

Les poèmes sont majoritairement en anglais. On y trouve les lieux communs liés aux représentations du hockey. Le hockey est une religion montréalaise (p. 13, p. 39). La coupe Stanley, remise annuellement au champion de Ligue nationale de hockey, est l’équivalent du Graal (p. 5, p. 27). Les Canadiens se passent un «flambeau» avec leurs «bras meurtris» (p. 13, p. 27). Il y a des fantômes au Forum de Montréal :

O Gods of the snowy country and
the land of the lost referendums
sent us the phantoms of the Forum,
our Antic Flying Heroes (p. 25)

On le voit par l’allusion aux deux référendums sur l’indépendance nationale («lost referendums»), l’actualité politique est présente dans les poèmes (p. 35), de même que l’internationale (p. 19, p. 33).

Les grandes figures du passé de chacune de ces «two hockey city-states» (p. 7) y sont. Pour les bons : Maurice Richard, Jean Béliveau, Guy Lafleur. Pour les autres : Bobby Orr, Phil Esposito, Gerry Cheevers. En revanche, les vedettes de 2002 et de 2004, sans être complètement oubliées aujourd’hui, n’ont pas du tout le même statut : José Théodore et Richard Zednik, pour Montréal; Joe Thornton et Patrice Bergeron, pour Boston. Malgré l’animosité entre les deux équipes, la violence est relativement peu évoquée par les deux «literary ambassadors» (p. 7) qu’étaient Pelletier et Marion : «Big Fast Bruins Are Better Than the Big Bad Bruins» (p. 13).

Les Canadiens de 2017-2018 sont éliminés depuis longtemps. (Pas les Bruins.) Le printemps sportif montréalais ne sera pas poétique. On peut le déplorer.

P.-S.—«Tabernacle» (p. 15) ? Non.

 

Référence

Pelletier, François et Paul Marion, Poetry Face Off. Poésie des séries, Montréal, Steak haché, 2008, 41 p. Ill. Préfaces de Jack Drill (pseudonyme de Richard Gingras) et de Paul Marion. Dessins de Pascal Picher. Seconde édition.

Lumières sur le losange

Nouveau projet, 13, 2018, couverture

L’Oreille tendue aime le baseball et le Siècle des lumières. Dès lors, l’article «Comment rester romantique à propos du baseball», que publie Pierre-Yves Néron dans le plus récent numéro de la revue Nouveau projet, était fait pour lui plaire.

Extrait (il est question de la sabermétrie, soit l’utilisation des statistiques dites «avancées» dans le monde du sport) :

Et elle avait de quoi séduire les amateurs de plusieurs sports, cette idée, étant donné la qualité des débats et des conversations dont ils étaient et sont encore l’objet. C’est d’ailleurs l’un des grands paradoxes du sport contemporain. D’un côté, il passionne les foules. De l’autre, on lui réserve peut-être la pire forme de journalisme qui existe. Si le sport tient une place aussi importante dans la vie de millions de gens, il est traité avec une étonnante négligence discursive.

Dans un tel contexte, le partisan des «stats avancées» ressemble à un penseur des Lumières. Il a les allures de ceux qui nous donnent nos premiers frissons intellectuels, ceux qui luttent désespérément contre l’obscurantisme. On dirait Voltaire nous invitant à combattre le règne du préjugé qui caractérise l’ère du joueurnaliste. Défendre l’importance des chiffres dans le sport, c’est comme imaginer Kant crier son «Ose penser !» sur le plateau d’une émission comme L’antichambre (p. 146).

Voltaire et Rodger Brulotte ? Merci.

 

Référence

Néron, Pierre-Yves, «Comment rester romantique à propos du baseball», Nouveau projet, 13, printemps-été 2018, p. 144-147.