Mange ta ville urbaine

L’Oreille tendue a, en garde partagée, un blogue où sont recensées les plus absurdes utilisations — il y a de la compétition — de l’urbain. Cela s’appelle Vivez la ville urbaine et rejoint cette rubrique.

L’Oreille n’y arriverait pas seule; elle a des informateurs sur plusieurs continents (au moins deux). Deux de ces informateurs lui ont annoncé la parution de l’ouvrage suivant.

Bernard Lavallée, «Le nutritionniste urbain», 2018, couverture

On pourrait se gausser, mais cela ne rendrait pas justice à la complexité de l’alimentation urbaine. Allons-y voir.

En ville, on peut manger du sirop d’érable urbain, de la pizza urbaine, du miel urbain, du bbq urbain, de la viande fumée urbaine, un grilled-cheese urbain, de la fondue urbaine, un hot-dog urbain, un steak urbain, des grillades urbaines portugaises.

On peut y boire du vin rouge urbain (y compris à Bordeaux et à La Prairie), du cidre urbain, du café urbain, du thé urbain, de la bière urbaine.

Si on ne souhaite pas cuisiner soi-même, on n’a qu’à aller au restaurant urbain savourer de la cuisine urbaine (à Saint-Jérôme, à Joliette, à Laval, à Montréal — ici ou ou encore là —, en Finlande, en Ontario). Il y a des établissements réservés aux demoiselles.

Vous n’aimez pas les restaurants urbains ? Essayez la cafétéria urbaine, la brûlerie urbaine, le banquet urbain, la brasserie urbaine, la taverne urbaine ou l’épicerie urbaine. Au besoin, le fermier urbain vous guidera, peut-être jusqu’au marché urbain ou jusqu’à son potager urbain. Normal : l’agriculture urbaine est partout. Si vous préférez la nature (en quelque paradoxale sorte), le pique-nique urbain est pour vous.

Il nous fallait un nutritionniste pour nous y retrouver, non ? Sinon, comment l’épicurien urbain ferait-il ?

Accouplements 110

Lettre de faire-part du futur décès, gravure de Henri Charles Guérard

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Boutet, Josiane, le Pouvoir des mots. Nouvelle édition, Paris, La Dispute, 2016, 256 p.

«Les pratiques d’euphémisation qui consistent, par exemple, à ne pas dire explicitement de quelqu’un qu’il est “mort”, mais qu’“il est parti”, “il est décédé”, “il n’est plus”, “il nous a quittés” s’apparentent aussi aux processus des mots tabous : ne pas dire le mot, c’est éloigner la chose» (p. 244).

Carrère, Emmanuel, D’autres vies que la mienne, Paris, P.O.L, 2009, 309 p.

Étienne : «Ça l’a mis en colère, se rappelle-t-il, qu’elle le réveille et surtout qu’elle dise “Juliette est partie” au lieu de “Juliette est morte”» (p. 293).

Barbe, Jean, Discours de réception du prix Nobel, Montréal, Leméac, 2018, 61 p.

«—Jean… Élaine est décédée.
Sur le coup, je n’ai rien dit. Je regardais le visage de mon frère, inquiet, triste, inquiet surtout, pour moi. J’ai crié :
— Elle n’est pas “décédée”… Elle est morte… Morte !
Puis je suis allé m’enfermer dans ma chambre avec la mort» (p. 19).

Office québécois de la langue française, Banque de dépannage linguistique

«Lorsqu’on parle de personnes, mourir convient dans tous les contextes.»

P.-S.—L’Oreille tendue le sait : son combat pour mourir (voir ici et ) est perdu d’avance. Pas besoin de le lui répéter.

 

Illustration : Lettre de faire-part du futur décès, gravure de Henri Charles Guérard, 1856-1897, Rijksmuseum, Amsterdam

Néologisme du mois

Portrait de Bernardin de Saint-Pierre

Bernardin de Saint-Pierre, 22 avril 1775 : «Petite pluie fine par grumeaux très féconde. Quand on voir tomber ces pluies, on dit qu’il avrile» (éd. de 2015, p. 140).

 

[Complément du jour]

Grâce à @machinaecrire et au Centre national de ressources textuelles et lexicales, l’Oreille tendue découvre l’existence du blé avrillé / avriller / avriller, «semé en avril».

 

Référence

Bernardin de Saint-Pierre, Voyage en Normandie. 1775, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, coll. «Lumières normandes», 2015, 231 p. Ill. Texte établi, présenté et annoté par Gérard Pouchain.

Sacrons poliment avec Twitter

Soit le tweet suivant :

Torvisse, donc. C’est un autre de ces jurons édulcorés comme on en a déjà vu ici à quelques reprises.

On le trouve aussi chez la Françoise Major de Dans le noir jamais noir (2013) :

Après… ça s’est pas amélioré. Ils l’ont fait souffler dans la balloune. Pour une fois, Germain s’obstinait pas. Il aurait peut-être dû. Trop saoul pour souffler dans la balloune, torvisse ! Il a fini par réussir au septième ou huitième coup (p. 17-18).

Il y a plus violent que ce sacre-là. Cela ne lui enlève rien de son utilité.

 

[Complément du 18 juin 2025]

Rarissime emploi adjectival dans le quotidien le Devoir d’hier : «Manque de pot, la réponse à cette question torvisse ne se trouvait pourtant pas très loin, dans une étude scientifique à paraître sous peu dans la Revue canadienne des sciences régionales.»

 

Référence

Major, Françoise, Dans le noir jamais noir. Nouvelles, Montréal, La mèche, 2013, 127 p.