Les sparages

Benoît Melançon donnant une conférence sur l’Encyclopédie en 2022

L’Oreille tendue tient d’abord à offrir ses plus plates excuses à ses bénéficiaires. Le 12 mai 2015, elle a utilisé le mot sparages sans en offrir de définition.

Pourquoi en parler aujourd’hui ? À cause de cette phrase, lue dans la Presse+ du 4 juin dernier : «Ça devient lourd, ces simagrées et ces sparages muets en arrière-plan.»

Sparages, donc.

À «Sparages», Pierre DesRuisseaux propose «Faire des sparages. Gesticuler, faire un esclandre, parader» (p. 289).

Pierre Corbeil donne deux synonymes : «ostentation, énervement» (p. 130).

Parmi les définitions de Léandre Bergeron, en 1980, on trouve «Grands gestes exagérés. — Manifestation nerveuse. — Grand déploiement. Étalage» (p. 466).

Pour résumer : qui fait des sparages ne s’économise pas, s’emporte, exagère. Serait-ce qu’il y a quelque chose à cacher ? Les sparages auraient-il quelque parenté avec l’esbroufe ?

Autre exemple : «Quand elle cause, l’Oreille multiplie les sparages.»

P.-S.—Vous avez raison : le mot ne s’emploie guère qu’au pluriel.

 

[Complément du 11 juin 2024]

Ajout double à ceci.

1.

Deux bénéficiaires de l’Oreille attirent son attention sur la chanson «Gens du pays» de Gilles Vigneault :

Piailleries d’école
Et palabres et sparages
Magasin général
Et restaurant du coin
Les ponts, les quais, les gares
Tous vos cris maritimes
Atteignent ma fenêtre
Et m’arrachent l’oreille

Merci.

2.

Ces jours-ci, l’Oreille (re)lit du François Hébert. Et elle tombe sur ceci quelques heures après la mise en ligne de son texte sur les sparages :

L’origine anglaise de sparage, et animale : «to spar» signifie «se battre», et se dit à propos des coqs, ainsi qu’au sens figuré, ou alors en référence à ces combats amicaux que l’on mène pour s’éprouver ou mesurer la force d’un rival. Moi je pense aux cerfs et à l’emmêlement de leurs andouillers dans la lutte, non moins qu’aux paroles lancées en l’air et se nouant à d’autres, ainsi qu’aux paroles d’autrui (Pour orienter les flèches, p. 56).

Ça ne s’invente pas.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Hébert, François, Pour orienter les flèches. Notes sur la guerre, la langue et la forêt, Montréal, Trait d’union, coll. «Échappées», 2002, 221 p.

Canidé dégarni

16 mai, «Journée mondiale des chiens pas de médaille»

Dans le français populaire du Québec, le chien pas de médaille peut désigner, péjorativement, une personne. La référence à l’animalité (chien) et à ce qui lui manquerait (la médaille) n’augure rien de bon.

C’est à cela que pense Léandre Bergeron en 1980 : «Être un chien-pas-d’médaille», «Être un tout-nu-dans-à-rue» (p. 315, sous «médaille»).

Il fallait Serge Bouchard pour réhabiliter ce canidé dégarni. C’est dans Un café avec Marie :

Pour le chien que l’on promène, la liberté n’est plus la liberté, c’est devenu un jeu, un loisir, un exercice pour garder la forme. Sa liberté est une distraction bien encadrée. Car le chien véritablement libre deviendrait vite un chien-loup, c’est-à-dire un chien perdu pour la société cultivée, un authentique chien “pas de médaille”. Il irait où il veut (p. 155-156).

La pauvreté n’empêche pas la liberté.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bouchard, Serge, Un café avec Marie, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2021, 270 p.

L’Oreille se renforcit

Le verbe «renforcir» dans une publicité québécoise pour la bière Dow

Soit la phrase suivante, tirée de la Presse+ du 1er juin : «Il y a aussi un esprit de corps qui se renforcit indéniablement.»

La puriste qui, à l’occasion, sommeille en l’Oreille tendue a spontanément tiqué devant le verbe renforcir. Elle a souvent entendu dire, au Québec, qu’il fallait éviter ce verbe. (Elle n’était pas seule.)

Louis Cornellier, par exemple, dans le Point sur la langue, commente son emploi par la journaliste Nathalie Petrowski :

Ce renforcir est, au pire, un barbarisme et, au mieux, un québécisme un peu douteux. Renforcer serait préférable. Comme dans renforcer son français, par exemple (p. 83).

Le son de cloche est différent en ligne.

Pour Usito, ce verbe serait «familier» au Québec. «Ce mot est sorti de l’usage en France.»

Dans la Banque de dépannage linguistique, on lit :

Le verbe renforcir a été usuel en français jusqu’au XVIe siècle, avant d’être évincé par la forme renforcer. Il a subsisté dans la langue populaire et s’est maintenu un peu plus longtemps dans certaines régions de France. Son emploi aujourd’hui est rare ou senti comme populaire en France.

Au Québec, renforcir, courant à l’époque de la colonisation en Nouvelle-France, s’est conservé jusqu’à aujourd’hui, mais son emploi est en recul.

Une fois de plus, l’Oreille devra se méfier de son purisme.

 

[Complément du 5 juin 2024]

Dans «renforcir», on entend aussi «forcir» («Devenir plus fort, plus gros», le Petit Robert, édition numérique de 2018). L’Oreille s’en mord les lobes de ne pas y avoir plus pensé plus tôt.

 

Référence

Cornellier, Louis, le Point sur la langue. Cinquante essais sur le français en situation, Montréal, VLB éditeur, 2016, 184 p.

Vaut mieux en avoir

François Hébert, Montréal, 1989, couverture

Soit la phrase suivante, tirée de l’essai que consacrait François Hébert à Montréal en 1989 :

Gaston Miron a fait ce qu’il a pu pour réveiller l’autre solitude. Torrent essayant de tenir dans une main sa source et dans l’autre son embouchure, un peuple sur la tête et une femme à sa hanche, il déboulait parfois dans la succursale de la Banque Royale, encore elle, où travaillait un ami à qui il déclamait son dernier poème, devant des bovins estomaqués qui attendaient à la caisse voisine pour déposer ou retirer quelque foin (p. 69).

«Quelque foin» ? Dans la langue populaire du Québec, le mot foin désigne l’argent, pas seulement la nourriture des «bovins».

À votre service.

P.-S.—On ne peut rien vous cacher : nous avons déjà causé pognon ensemble.

 

Référence

Hébert, François, Montréal, Seyssel, Champ vallon, coll. «Des villes», 24, 1989, 103 p.