Le beurre est de l’air

Jonathan Livernois, la Route du Pays-Brûlé, 2016, couverture

Soit la parenthèse suivante, tirée de la Route du Pays-Brûlé, de Jonathan Livernois (2016) : «(pour rien, dans le beurre)» (p. 26).

Explication du Petit Robert (édition numérique de 2014) : «(Canada) LOC. FAM. Passer, frapper dans le beurre, à côté de la cible, manquer son coup.»

L’expression est souvent utilisée au baseball / au hockey, quand un joueur est incapable de frapper la balle / la rondelle. Les commentateurs sportifs lui préfèrent cependant fendre l’air, d’un registre réputé moins familier.

Cela laisse évidemment une question ouverte : qu’arrive-t-il à l’air fendu ?

 

[Complément du 13 décembre 2020]

S’élancer au baseball, c’est swigner. S’élancer dans le beurre ? «Pendant que les autres murmuraient, je regardais intensément la fille lancer, et mes coéquipières swigner dans le beurre, intensément concentrée» (Ouvrir son cœur, p. 90).

 

Références

Livernois, Jonathan, la Route du Pays-Brûlé. Archéologie et reconstruction du patriotisme québécois, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 09, 2016, 76 p. Photographies de Justine Latour.

Morin, Alexie, Ouvrir son cœur. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Écho», 29, 2020, 343 p. Édition originale : 2018.

Résister, ou pas

Michel Tremblay, Conversations avec un enfant curieux, 2016, couverture

Soit les deux phrases suivantes, tirées des Conversations avec un enfant curieux, de Michel Tremblay (2016) :

Pis va aussi demander à ta grand-mère pourquoi a’l’ a une tête de cochon comme ça ! J’y demande un petit service, a’ se trompe, pis a’ veut pas réparer son erreur ! C’est-tu de la paresse ou ben donc du buckage ? (p. 14)

Pis au lieu de résister, au lieu de bucker comme dirait ta tante Bartine, commence à accepter que tu vas vieillir comme tout le monde (p. 148).

Dans le français populaire québécois, qui bucke, est bucké ou se prête au buckage fait preuve de résistance, d’entêtement. Le mot semble venir directement du verbe anglais to buck (oppose, resist).

Ce type de comportement n’est guère recommandable. Tenez-vous-le pour dit.

P.-S.—Dans le règne animal, si l’on en croit Léandre Bergeron, bucké, «pron. boqué», aurait rétif pour synonyme (1981, p. 74).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Tremblay, Michel, Conversations avec un enfant curieux. Instantanés, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, 2016, 148 p.

Extrémité inattendue

Maxime Raymond Bock, les Noyades secondaires, 2017, couverture

Nous avons déjà eu l’occasion — souvenez-vous — de nous interroger sur le nombre de bout(s) du cierge et de la v(V)ierge.

Une interrogation de même nature, mais en matière fécale, serait possible.

Soit la phrase suivante, tirée des Noyades secondaires, de Maxime Raymond Bock (2017) :

L’Union des artistes était là au grand complet, des chroniqueurs Arts et Spectacles, trois-quatre écrivains qui se prenaient pour le bout de la marde, il neigeait de la coke, t’aurais dû voir le party (p. 254).

La marde — voyez ici et — aurait donc, elle aussi, (au moins) un bout.

Laissons de côté les images suscitées par une expression comme celle-là et attachons-nous à son sens.

Dans la phrase ci-dessus, le bout de la marde a une dimension fruitière implicite : qui se prend pour le bout de la marde, en effet, ne se prend pas pour la queue d’une cerise / de la poire. Voilà une personne qui a une haute opinion d’elle-même.

L’expression marquerait aussi l’étonnement, d’où la traduction offerte dans l’ouvrage Canadian French for Better Travel (2011) : «Cé l’boutte d’la marde ! / Now I’ve seen it all !» (p. 45)

Léandre Bergeron propose encore autre chose en 1980 : «C’est décourageant. C’est désespérant» (p. 310).

Une chose est sûre : une limite a été atteinte. Ne la dépassons par aucun bout.

 

[Complément du jour]

Ce tweet l’atteste : la queue de cerise des uns est la boisson gazeuse sans gaz (le seven up flat) des autres.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

Raymond Bock, Maxime, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 369 p.

On s’appelle et on déjeune

Edvard Munch, «Le cri», 1910

Soit les deux phrases suivantes :

«Les mots semblent arrachés d’une gorge desséchée, râpant l’écorce des pins et traînant dans leurs ondes d’infimes particules de roches et de bois. Ils prennent vie et se transforment au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de leur source. Un cri devenu jappement devenu ouac. Le coyote se tourne aussitôt en direction du bruit et montre les crocs» (Dixie, p. 144-145).

«Je suis arrivé. En secouant son uniforme, il se tourna vers la cabane à Monti pour lâcher un ouac» (la Bête creuse, p. 81).

Le ouac — qu’on lâche volontiers — a une dimension sonore évidente : bruit, appel, cri. Sans dire pourquoi — fidèle à son habitude —, Léandre Bergeron précise : «Cri de surprise, de douleur» (1980, p. 345).

Ephrem Desjardins, en 2002, préfère la graphie wak (ou ouac) : «Cri très fort. Lâcher un wak» (p. 145). En 2015, chez Pierre Desruisseaux, c’est wack : «[angl. cri] Lâcher un wack (wak, waque) : Lancer un cri» (p. 326).

Ça fait désordre.

 

Illustration : Edvard Munch, «Le cri», 1910, tableau déposé sur Wikimedia Commons

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.