De Larousse au Robert

Dictionnaires Le Robert, 2022, couvertures

La semaine dernière, on annonçait les nouveautés lexicales du Petit Larousse 2022.

Cette semaine, c’est au tour du Petit Robert.

Arrêtons-nous à la page 7 du prospectus présentant ces nouveautés, celle où se trouve le texte «Francophonie, français régional» :

En Belgique, on peut dire qu’il gouttine lorsqu’il pleut légèrement, et on a de l’eau dans les caves lorsque l’on porte un pantalon trop court. […]
Au Canada, un téteux est un flatteur, et une personne vlimeuse est rusée et malicieuse. La chefferie désigne la fonction de chef d’un parti politique. Un vêtement usé au coton est usé jusqu’à la corde et une gibelotte est un plat sans consistance, peu appétissant. Avoir déjà vu neiger témoigne d’une longue expérience, et on est sur la trotte lorsque l’on est en balade. Enfin, avoir le bras dans le tordeur désigne le fait de s’engager dans un processus irréversible.
[…]
En Afrique subsaharienne, monter signifie commencer sa journée de travail et descendre la terminer. La viande de brousse désigne la viande d’animaux sauvages.

S’agissant du feu de plancher, les Québécois préfèrent leur cave au singulier, d’où avoir de l’eau dans la cave.

Pour le téteux, voici la double définition proposée en 2004 par le Dictionnaire québécois instantané :

1. Qui tourne autour du pot. Robert ne sait pas quand il épousera Céline. Quel téteux ! 2. Qui flagorne un max. Céline est une méchante téteuse (p. 218).

Le deuxième sens rejoint la définition du Robert; le premier s’y ajoute.

Quant à tordeur, on trouvera quelques exemples ici.

Selon les besoins, enfin, on peut remplacer la viande de brousse par de la viande de bois.

https://www.youtube.com/watch?v=Kea1hJJAEB0

Ce sera tout pour aujourd’hui.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2019, couverture

Six remarques sur le Petit Larousse illustré 2022

Petit Larousse illustré 2022, publicité

C’est un marronnier : une fois l’an, les médias discutent les mots nouvellement adoubés par les dictionnaires. Ces jours-ci, c’est le Petit Larousse illustré qui annonce ses couleurs; l’Oreille tendue en parle d’ailleurs dans le Devoir du jour.

Que dire de cette cuvée ?

1. Il fallait s’y attendre : les mots de la crise sanitaire sont nombreux à entrer dans les colonnes du PLI 2022 (pour les intimes). Il a fallu trier parmi les centaines de mots nés depuis le début de la pandémie et l’équipe de Larousse y est allée d’une sélection généreuse. (À un moment, l’Oreille a essayé de tenir le rythme; elle n’est y pas parvenue.)

2. Même en faisant vite — et les concepteurs du PLI ont fait vite (merci) —, on n’arrive pas à tout couvrir. Sauf erreur, vaccinodrome n’est pas encore répertorié, mais il est dans le Wiktionnaire. Le dictionnaire n’est qu’un état de la langue saisi à un moment de l’histoire.

3. Les Français et les Québécois parlent la même langue, mais ils n’emploient pas exactement les mêmes mots. Ils ont en commun le confinement, l’écouvillon, la comorbidité, le couvre-feu, la jauge. En revanche, les Québécois n’ont guère recours à continuité pédagogique ou à déplacement dérogatoire. Ils parlent eux aussi de plateau et de pic, mais ils tentent plus souvent d’aplatir la courbe. Ils portent un couvre-visage ou un masque (le mot existait dans le PLI; il est redéfini dans l’édition la plus récente).

4. On parle plus volontiers en France du covid que de la covid. Les deux genres sont indiqués dans le PLI2022, avec le féminin en première place.

5. Les Québécois aiment reprocher aux Français leur passion pour les mots anglais. Dans un prospectus, Bernard Cerquiglini, le conseiller scientifique de Larousse, se réjouit de ne pas avoir cédé sur ce plan :

Cette appropriation collective de la langue se marque aussi par la négative. On pouvait craindre que l’arrivée dans l’usage de termes médicaux, ou relevant du nouveau commerce à distance, s’accompagnât de nombreux anglicismes; force est de constater qu’il n’en est rien : le français, en la circonstance, fait preuve d’une singulière résistance. Dans l’usage, le cluster infectieux cède du terrain devant le foyer de contagion, locution nouvelle; le tracking recule face au traçage, qui rejoint au dictionnaire traçable et traçabilité. Notons que distanciation sociale, calque fâcheux de social distancing (car l’adjectif français social, au rebours de son homologue anglais, évoque un rapport de classes), s’efface devant distanciation physique. Épousant cette tendance, le Petit Larousse 2022 observe que cliqué-retiré vaut bien click and collect, qu’un retrait rapide (que l’on peut d’ailleurs effectuer à pied) se comprend mieux qu’un drive.

Tout cela est bel et bon. Puis, quelques pages plus loin, on tombe sur d’autres nouveautés du PLI 2022 : alumni, batch cooking, krump, mocktail. Ça fait désordre.

6. Comme chaque année, des mots de la francophonie sont retenus. Pour 2022, il y en a quatorze, dont quatre du Québec : bien-cuit, échouerie, nounounerie, vigile. (Parmi les noms propres, il y a aussi Guy Delisle.) Pourquoi ceux-là ? On peut se le demander : les règles d’inclusion des mots de la francophonie dans les dictionnaires hexagonaux ne sont pas de la plus grande transparence. Faut-il déplorer les choix du PLI 2022 ? Si ce dictionnaire était le seul à s’intéresser à la description du français du Québec, on pourrait regretter l’inclusion d’un mot comme nounounerie; il y a probablement des mots à officialiser plus rapidement que celui-là. Or il existe des outils plus utiles pour cette description, le dictionnaire numérique Usito notamment (qui ne connaît ni bien-cuit ni nounounerie). N’exigeons pas trop, sur ce plan, du Petit Larousse. Le plus beau dictionnaire du monde ne peut donner que ce qu’il a.

P.-S.—Oui, ce texte est un marronnier.

Réponses du mercredi matin

Logo de la revue Circula

Vous vous demandez pourquoi, dans l’édition française de 1997 de la Conjugaison pour tous (le Bescherelle), il y a des verbes dits «québécois» qui vous étonnent (affarmir, xaminer) ? Vous ne comprenez pas comment le français québécois de Sous les vents de Neptune (2004) de Fred Vargas peut être aussi bizarre ? L’accent de Marion Cotillard dans Rock’n’roll, le film de Guillaume Canet (2017), ne vous convainc pas ?

Allez lire, de Nadine Vincent, «Qu’est-ce que la lexicographie parasite ? Typologie d’une pratique qui influence la représentation du français québécois» (Circula. Revue d’idéologies linguistiques, 11, printemps 2020, p. 106-124). Vous y verrez que tout est affaire de sources. Quand on ne choisit pas les bonnes, ça peut causer toutes sortes d’incohérences.

En une formule : «pour reproduire le français du Québec, les Français pointés du doigt se sont parfois basés sur des sources québécoises inadéquates» (p. 108).

En quelque synonymes : «clichés» (p. 115), «inexactitudes» (p. 115), «stéréotypes» (p. 122), «idées préconçues» (p. 122).

À lire.

P.-S.—Cela ne peut probablement pas expliquer tout ce qui se trouve ici dans la rubrique «Ma cabane au Canada».

Usito

Usito, logoDepuis aujourd’hui, «Usito, un dictionnaire conçu au Québec pour tous les francophones et francophiles intéressés par une description ouverte du français» est en consultation gratuite : usito.usherbrooke.ca. Pour une description du français québécois, entre autres choses, voilà une ressource essentielle.

Métier du jour

Georges Perec, la Vie mode d’emploi, couverture

«Cinoc, qui avait alors une cinquantaine d’années, exerçait un curieux métier. Comme il le disait lui-même, il était “tueur de mots” : il travaillait à la mise à jour des dictionnaires Larousse. Mais alors que d’autres rédacteurs étaient à la recherche de mots et de sens nouveaux, lui devait, pour leur faire de la place, éliminer tous les mots et tous les sens tombés en désuétude.

Quand il prit sa retraite, en mille neuf cent soixante-cinq, après cinquante-trois ans de scrupuleux services, il avait fait disparaître des centaines et des milliers d’outils, de techniques, de coutumes, de croyances, de dictons, de plats, de jeux, de sobriquets, de poids et de mesures; il avait rayé de la carte des dizaines d’îles, des centaines de villes et de fleuves, des milliers de chefs-lieux de canton; il avait renvoyé à leur anonymat taxinomique des centaines de sortes de vache, des espèces d’oiseaux, d’insectes et de serpents, des poissons un peu spéciaux, des variétés de coquillages, des plantes pas tout à fait pareilles, des types particuliers de légumes et de fruits; il avait fait s’évanouir dans la nuit des temps des cohortes de géographes, de missionnaires, d’entomologistes, de Pères de l’Église, d’hommes de lettres, de généraux, de Dieux & de Démons.»

Georges Perec, la Vie mode d’emploi. Roman, Paris, Hachette, coll. «Le livre de poche», 5341, 1982, 695 p., p. 361-362. Édition originale : 1978.