Accouplements 259

Couvertures de The Year of Magical Thinking et de Au gré des jours, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Didion, Joan, The Year of Magical Thinking, Londres, 4th Estate, 2012, 227 p. Ill. Édition originale : 2005.

«In the bed to Quintana’s right was a man injured in a construction accident. The men who had been on the site at the time of the accident had come to see him. They stood around his bed and tried to explain what had happened. The rig, the cab, the crane, I heard a noise, I called out to Vinny. Each man gave his version. Each version differed slightly from the others. This was understandable, since each witness proceeded from a different point of view, but I recall wanting to intercede, help them coordinate their stories; it had seemed too much conflicting data to lay on someone with a traumatic brain injury» (p. 125-126).

Héritier, Françoise, Au gré des jours, Paris, Odile Jacob, 2017, 151 p. Ill.

«s’apercevoir des tours que nous joue la mémoire en revoyant de vieux films où ne figure pas la scène marquante dont on croyait se souvenir, avoir le même sentiment en relisant un texte, parfois même écrit de sa propre main (ai-je vraiment écrit cela ?), chercher la raison de ces tours plus surprenants encore que les décalages qui existent entre les regards portés sur le même événement par plusieurs personnes, saluer cette inestimable capacité d’agencer des pans éclatés de sa vie en leur donnant une continuité» (p. 40).

Accouplements 258

Pages finales (lignées) du livre Au gré des jours, de Françoise Héritier

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Didion, Joan, The Year of Magical Thinking, Londres, 4th Estate, 2012, 227 p. Ill. Édition originale : 2005.

«Did he have some apprehension, a shadow ? Why had he forgotten to bring note cards to dinner that night ? Had he not warned me when I forgot my own notebook that the ability to make a note when something came to mind was the difference between being able to write and not being able to write ?» (p. 23)

Héritier, Françoise, Au gré des jours, Paris, Odile Jacob, 2017, 151 p. Ill.

«Mais on ne bride pas si facilement un processus créatif de quelque nature qu’il soit. Les souvenirs et les images et les idées persistent à affluer, tantôt avec fugacité, tantôt avec une telle prégnance qu’on les note rapidement sur n’importe quel support : j’ai ainsi pris l’habitude d’avoir toujours auprès de moi de quoi écrire» (p. 12).

P.-S.—Comme on peut le voir par l’image ci-dessus, Françoise Héritier a prévu qu’on prenne des notes dans son livre lui-même.

Deux visions d’un cabinet

Couvertures de Till Death Do Us Part et The Size of Thoughts, collage

Celle, détaillée, de John Dickson Carr :

«There was a chair at Dick’s elbow. He sat down in the chair. Colonel Pope, the owner of this cottage, had turned the sitting-room into a place of shabby and slippered comfort. Pipe-smoke had tinged grey the white-plaster walls, and seasoned the oak beams. Round the walls ran a single line of military prints from the early and middle nineteenth century, their colours of battle and uniform softened by time yet still vivid» (p. 44).

«Dick leaned back in the chair. He felt bruised and deflated; but he was not feeling the worst yet, for the shock had not passed off. This placid sitting-room, with its military prints and its dark oak beams and its Benares brass ornaments on the mantelpiece, seemed as unreal as the history of Lesley» (p. 61).

Celle, condensée, de Nicholson Baker :

«so pipe-smokingly Indo-European» (p. 70).

On peut préférer la seconde à la première.

P.-S.—Certes, ce n’est pas la première fois que nous croisons cette citation de Nicholson Baker.

 

Références

Baker, Nicholson, The Size of Thoughts. Essays and Other Lumber, New York, Random House, 1996, 355 p. Ill.

Carr, John Dickson, Till Death Do Us Part, Londres, British Library, coll. «British Library Crime Classics», 2021, 254 p. Édition originale : 1944. Introduction de Martin Edwards.

Le zeugme du dimanche matin et de Nouveau projet

Nouveau projet, numéro 28, 2025, couverture

«Pendant près de 30 ans, le centre aquatique de Pointe-Calumet a attiré les vedettes internationales de la musique populaire et les blagues sur les mictions en piscine.»

«Quelques adieux. Nécrologies variées par Maud Brougère, Clara Champagne, Catherine Genest, Nicolas Langelier et Marie-Michèle Robitaille», Nouveau projet, 28, hiver 2025, p. 75-78, p. 75.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le niveau baisse ! (années 1990)

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

Anne Hébert, Paris, début des années 1990 : «Le français glisse, déplore-t-elle. Il glisse irrésistiblement vers l’abîme. Les gens parlent mal au Québec. La grammaire n’est pas respectée. Les anglicismes sont nombreux. Son jugement est sans appel : au Québec, un gouffre s’est ouvert. Et nous risquons d’y tomber. Si ce n’est déjà fait, hélas. Alors que faire, madame Hébert ? La réponse tombe, sans hésitation : une croisade pédagogique s’impose. “Il faut enseigner le français et l’amour de la langue française, et la rendre respectable pour tout le monde.”

À l’en croire, seuls un manque de rigueur et un dépérissement de l’enseignement expliqueraient la qualité jugée défaillante du français. “L’enseignement de la langue dépérit. Il y a du laxisme partout. Il faut apprendre la grammaire. Quand on a une grille de grammaire en tête, on peut mieux comprendre les textes. Il y a beaucoup d’anglicismes, de phrases incomplètes, sans verbes, beaucoup d’abréviations. Même en France, c’est beaucoup plus relâché que lorsque je suis arrivée.” Même en France, imaginez !

Qui évoque la notion de relâchement s’invite d’ordinaire à parler, en contrepartie, de discipline. Aux individus, pense l’écrivaine, revient l’effort de bien parler, de bien écrire. À le croire, les individus vivent en apesanteur sociale. Ils n’appartiennent pas à un système qui les modèle et les gouverne. Ils disposent de tous les moyens leur permettant de déterminer la qualité de leur langue. D’eux seuls dépend donc la conformité avec une langue distinguée érigée en modèle. Celle justement que manie si bien Anne Hébert depuis son enfance.»

Source : Jean-François Nadeau, les Têtes réduites. Essai sur la distinction sociale dans un demi-pays, Montréal, Lux éditeur, 2024, 236 p., p. 176-177.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture