L’oreille tendue de… Maxime Du Camp

«Diderot a donné cours à cette erreur, que les aveugles étaient absolument dénués de pudeur [Lettre sur les aveugles, Londres, 1749]. S’il avait pu connaître ceux qui vivent dans l’Institution du boulevard des Invalides, il aurait promptement changé d’opinion. Il est difficile, en effet, d’imaginer une pudibonderie pareille; jamais Diane au bain ne fut plus chaste, plus effarouchée, plus soupçonneuse. Il faut les voir se lever le matin et sortir du lit avec mille précautions précieuses, se cacher au moindre bruit et tendre l’oreille pour n’être jamais pris au dépourvu. C’est là probablement le fruit de l’éducation austère et très-morale qu’ils reçoivent, mais c’est aussi le résultat de cette défiance qui ne les abandonne jamais, même dans les actes les plus simples de la vie et qui semble faire partie de leur nature. Ignorant ce que c’est que la vue, ils lui attribuent une sorte de puissance diabolique; pour eux, c’est un toucher à distance, mais singulièrement pénétrant, rayonnant et perspicace; ils la redoutent et ne savent parfois qu’inventer pour s’y soustraire.»

Maxime Du Camp, Paris. Ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXe siècle, Paris, Librairie Hachette et cie, 1879, tome cinquième, p. 189. Sixième édition.

Accouplements 99

Marivaux, la Dispute, édition de 1754, première page

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Pas plus tard que jeudi matin, l’Oreille tendue, dans le cadre de son cours sur le théâtre du XVIIIe siècle, proposait à ses étudiants un rapprochement entre la Dispute de Marivaux (1744) et la téléréalité.

Pour cela, elle s’appuyait sur un livre de Catherine Henri, De Marivaux et du Loft (2003). L’auteure y raconte une expérience d’enseignement, au lycée, en 2001-2002, durant laquelle elle a lu la pièce de Marivaux à la lumière de la téléréalité française Loft Story.

Le Devoir de samedi consacre un court texte à une téléréalité québécoise, Occupation double à Bali. Titre de l’article : «Retour des marivaudages sous le soleil.»

Ça ne s’invente pas.

 

[Complément du 23 septembre 2020]

La mise en scène de la Dispute par Laurent Leclerc en 2019 (Comédie Poitou Charentes) évoque elle aussi l’univers de la téléréalité.

 

Illustration : Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, le Theatre de Monsieur de Marivaux, de l’Academie française. Nouvelle édition, À Amsterdam et à Leipzig, Chez Arkstee & Merkus, 1754, image déposée sur Wikimedia Commons

 

Référence

Henri, Catherine, De Marivaux et du Loft. Petites leçons de littérature au lycée, Paris, P.O.L, 2003, 151 p.

Le zeugme du dimanche matin et d’Anne Dufourmantelle

Anne Dufourmantelle, En cas d’amour, 2012, couverture

«J’avais dix-sept ans, il était mon professeur de violon. On le disait surdoué, il arrivait toujours en retard, préparait des concours, qu’il finit par réussir d’ailleurs. Très vite on est tombé amoureux. Il avait dix ans de plus que moi, une petite amie et un chat.»

Anne Dufourmantelle, En cas d’amour. Psychopathologie de la vie amoureuse, Paris, Éditions Payot & Rivages, coll. «Rivages poche / Petite bibliothèque», 2012, 201 p., p. 17.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le zeugme du dimanche matin et de Roy Pinker

Roy Pinker, Faire sensation, 2017, couverture

«Admirablement documenté, [le roman de Philip Roth The Plot Against America] mêle habilement la fiction politique avec les souvenirs personnels de l’écrivain dans son Newark natal, une petite ville où vit une communauté juive soudée et démocrate.»

Roy Pinker, Faire sensation. De l’enlèvement du bébé Lindbergh au barnum médiatique, Marseille, Agone, coll. «Contre-feux», 2017, 232 p. Ill.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accouplements 90

Josiane Boutet, le Pouvoir des mots, éd. de 2016, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Comment dire l’autre, notamment celui venu d’ailleurs, est une des tâches de la langue.

Boutet, Josiane, le Pouvoir des mots. Nouvelle édition, Paris, La Dispute, 2016, 256 p.

«À l’été 2015, la presse française, le monde politique et le monde associatif, confrontés depuis plusieurs mois à un départ massif de Syriens et d’Irakiens venant chercher refuge en Europe, doivent aussi faire face à la question de leur nomination : comment parler de ces personnes fuyant leur pays en guerre sur les routes d’Europe ? Sont-ils des migrants ? Des migrants politiques ? Des réfugiés ? Des demandeurs d’asile ? Chaque façon de nommer ces personnes implique des points de vue différents sur leur parcours et leur vie. Ainsi, si on les nomme “migrants politiques”, on opère, qu’on le souhaite ou pas, une distinction entre eux et les “migrants économiques”. Si on choisit “demandeurs d’asile”, cela ne rend pas compte de leur statut dans un pays comme la Grèce, par exemple, où ils ne souhaitent aucunement demander un asile, visant l’Allemagne ou la Suède pour la plupart. Qui sont-ils donc lorsqu’ils accostent sur une île grecque ou qu’ils traversent la Hongrie ?» (p. 18-19)

Verboczy, Akos, Rhapsodie québécoise. Itinéraire d’un enfant de la loi 101, Montréal, Boréal, 2016, 240 p. Édition numérique.

«Rassurez-vous : quand, des décennies plus tard, je suis retourné dans cette école primaire, en veston-cravate, en tant que commissaire scolaire et président du comité des relations interculturelles, j’avais appris à manier parfaitement le vocabulaire pour désigner les “personnes immigrantes”, ces néo-Québécois, ces Québécois issus de l’immigration, de première ou deuxième génération, ces allophones, italo-, sino-, arabo-, que-veux-tu-o-québécois, ces membres des communautés ethnoculturelles, des minorités ethniques et visibles, nos concitoyennes et concitoyens issus de la diversité, toutes ces appellations comme il faut qu’aucun immigrant n’utilise à moins de parler dans un microphone.»

Voilà une tâche qui ne va pas de soi.