Accouplements 99

Marivaux, la Dispute, édition de 1754, première page

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Pas plus tard que jeudi matin, l’Oreille tendue, dans le cadre de son cours sur le théâtre du XVIIIe siècle, proposait à ses étudiants un rapprochement entre la Dispute de Marivaux (1744) et la téléréalité.

Pour cela, elle s’appuyait sur un livre de Catherine Henri, De Marivaux et du Loft (2003). L’auteure y raconte une expérience d’enseignement, au lycée, en 2001-2002, durant laquelle elle a lu la pièce de Marivaux à la lumière de la téléréalité française Loft Story.

Le Devoir de samedi consacre un court texte à une téléréalité québécoise, Occupation double à Bali. Titre de l’article : «Retour des marivaudages sous le soleil.»

Ça ne s’invente pas.

 

[Complément du 23 septembre 2020]

La mise en scène de la Dispute par Laurent Leclerc en 2019 (Comédie Poitou Charentes) évoque elle aussi l’univers de la téléréalité.

 

Illustration : Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, le Theatre de Monsieur de Marivaux, de l’Academie française. Nouvelle édition, À Amsterdam et à Leipzig, Chez Arkstee & Merkus, 1754, image déposée sur Wikimedia Commons

 

Référence

Henri, Catherine, De Marivaux et du Loft. Petites leçons de littérature au lycée, Paris, P.O.L, 2003, 151 p.

Le zeugme du dimanche matin et d’Anne Dufourmantelle

Anne Dufourmantelle, En cas d’amour, 2012, couverture

«J’avais dix-sept ans, il était mon professeur de violon. On le disait surdoué, il arrivait toujours en retard, préparait des concours, qu’il finit par réussir d’ailleurs. Très vite on est tombé amoureux. Il avait dix ans de plus que moi, une petite amie et un chat.»

Anne Dufourmantelle, En cas d’amour. Psychopathologie de la vie amoureuse, Paris, Éditions Payot & Rivages, coll. «Rivages poche / Petite bibliothèque», 2012, 201 p., p. 17.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le zeugme du dimanche matin et de Roy Pinker

Roy Pinker, Faire sensation, 2017, couverture

«Admirablement documenté, [le roman de Philip Roth The Plot Against America] mêle habilement la fiction politique avec les souvenirs personnels de l’écrivain dans son Newark natal, une petite ville où vit une communauté juive soudée et démocrate.»

Roy Pinker, Faire sensation. De l’enlèvement du bébé Lindbergh au barnum médiatique, Marseille, Agone, coll. «Contre-feux», 2017, 232 p. Ill.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accouplements 90

Josiane Boutet, le Pouvoir des mots, éd. de 2016, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Comment dire l’autre, notamment celui venu d’ailleurs, est une des tâches de la langue.

Boutet, Josiane, le Pouvoir des mots. Nouvelle édition, Paris, La Dispute, 2016, 256 p.

«À l’été 2015, la presse française, le monde politique et le monde associatif, confrontés depuis plusieurs mois à un départ massif de Syriens et d’Irakiens venant chercher refuge en Europe, doivent aussi faire face à la question de leur nomination : comment parler de ces personnes fuyant leur pays en guerre sur les routes d’Europe ? Sont-ils des migrants ? Des migrants politiques ? Des réfugiés ? Des demandeurs d’asile ? Chaque façon de nommer ces personnes implique des points de vue différents sur leur parcours et leur vie. Ainsi, si on les nomme “migrants politiques”, on opère, qu’on le souhaite ou pas, une distinction entre eux et les “migrants économiques”. Si on choisit “demandeurs d’asile”, cela ne rend pas compte de leur statut dans un pays comme la Grèce, par exemple, où ils ne souhaitent aucunement demander un asile, visant l’Allemagne ou la Suède pour la plupart. Qui sont-ils donc lorsqu’ils accostent sur une île grecque ou qu’ils traversent la Hongrie ?» (p. 18-19)

Verboczy, Akos, Rhapsodie québécoise. Itinéraire d’un enfant de la loi 101, Montréal, Boréal, 2016, 240 p. Édition numérique.

«Rassurez-vous : quand, des décennies plus tard, je suis retourné dans cette école primaire, en veston-cravate, en tant que commissaire scolaire et président du comité des relations interculturelles, j’avais appris à manier parfaitement le vocabulaire pour désigner les “personnes immigrantes”, ces néo-Québécois, ces Québécois issus de l’immigration, de première ou deuxième génération, ces allophones, italo-, sino-, arabo-, que-veux-tu-o-québécois, ces membres des communautés ethnoculturelles, des minorités ethniques et visibles, nos concitoyennes et concitoyens issus de la diversité, toutes ces appellations comme il faut qu’aucun immigrant n’utilise à moins de parler dans un microphone.»

Voilà une tâche qui ne va pas de soi.

Mettre sa griffe

Signature biscuits, emballage

 

«L’objet de mode, en l’occurrence, importe peu.
Ce qui compte, c’est le nom, la griffe, la signature.»
Georges Perec, Penser / Classer

En balade au parc du Bois-de-Coulonge, de fidèles informateurs de l’Oreille tendue découvrent, au menu d’un café, l’existence de «Salades “signature”». Étant québecquois, ces informateurs connaissent aussi le célèbre magasin d’ameublement Maurice Tanguay Signature.

Signature : signe de classe, de distinction, de sophistication. Mieux qu’un simple nom : une griffe, une marque, un label.

Aussi bien en français qu’en anglais, le mot est courant dans le commerce d’alcool (SAQ Signature, «produits rares et prestigieux»), chez les promoteurs immobiliers (Cité Signature), en ingénierie (à Montréal, le consortium qui construit le nouveau Pont Champlain se nomme Signature sur le Saint-Laurent), pour les banquiers (carte de crédit Visa Signature). Les artistes la recherchent : «Être originale, avoir une signature différente de celle des autres, cela est important pour Ima» (la Presse+, 23 novembre 2016). Le titre de la revue de Bibliothèque et Archives Canada ? Signatures. De quoi la ville de Montréal aurait-elle besoin (semble-t-il) ? D’«une signature supplémentaire» (la Presse+, 3 novembre 2016).

Le phénomène n’est pas nouveau. Georges Perec l’évoquait dès 1980 :

De la mode. La plupart des objets et accessoires de la vie quotidienne sont susceptibles d’être marqués, singularisés et survalorisés par la signature prestigieuse — dite «griffe» — d’un grand couturier.

Les lunettes, pas plus que les stylos, les briquets, les sacs à main, les sacs de voyage, les porte-clés, les chaussures, les gants, les porte-cigarettes, les cravates, les montres-bracelets, les boutons de manchette, etc., n’ont pas échappé à cet habillage de luxe dont la finalité me demeure pourtant obscure (éd. de 1985, p. 147).

Ce qui a changé ? Signature tient lieu de signature.

P.-S. — L’Oreille se réjouit d’avoir des informateurs à l’oreille si bien tendue. Merci à eux.

 

[Complément du 18 mai 2017]

Montréal a la sienne, foi de @Derappoetiques :

Le pont Jacques-Cartier comme signature

 

Référence

Perec, Georges, «Considérations sur les lunettes», dans Pierre Marly (édit.), les Lunettes, Paris, Atelier Hachette / Massin, 1980, p. 5-9; repris dans Penser / Classer, Paris, Hachette, coll. «Textes du XXe siècle», 1985, p. 133-150.