De l’article Ayoye
De l’article André Belleau (bibliographie)
De l’article Chapleau et le XVIIIe siècle
De l’article Gabriel García Márquez et la titraille
De l’article Jean M. Goulemot
De l’article NDG
« Nous n’avons pas besoin de parler français, nous avons besoin du français pour parler » (André Belleau).
De l’article Ayoye
De l’article André Belleau (bibliographie)
De l’article Chapleau et le XVIIIe siècle
De l’article Gabriel García Márquez et la titraille
De l’article Jean M. Goulemot
De l’article NDG
(Accouplements : une rubrique où l’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)
Debray, Régis, Introduction à la médiologie, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Premier cycle», 2000, 223 p.
«L’Éternel est un sujet très jeune, qui n’a guère plus que trois mille ans d’âge. Le Très-Haut continue de trôner au sommet des croyances symboliques, et ses abords sont réservés au théologie, au métaphysicien, à l’historien des religions. Le médiologue peut ajouter son mot à ces acquis considérables, sans remettre en cause, loin s’en faut, leur validité. Comment ? En se tournant vers la logistique du monothéisme, cette prodigieuse échappée que fut la “naissance de Dieu”» (p. 73-74)s.
Bouchard, Serge, la Prière de l’épinette noire, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2022, 222 p. Préface de Jean-Philippe Pleau.
«Il en a fallu des démarches pour propager la foi et rendre le nom de Jésus familier, c’est-à-dire connu au-delà des horizons de la Palestine. Il en a fallu du temps à Jésus pour devenir célèbre, des siècles et des siècles. Les illustrateurs ont dû peindre son image, les artisans ont reproduit des milliers et des milliers de crucifix, en bois, en paille, en fer, des martyrs sont morts en son nom, des missionnaires se sont épuisés à parcourir le monde à pied, bref, un immense réservoir de volonté prosélyte fut nécessaire pour mettre Jésus dans la tête du monde» (p. 120).
Créer une religion, c’est de l’ouvrage.
«Il pleut des cordes, il fait noir comme chez le loup, le vent tourne à la tempête, venez vous abriter. Venez vous asseoir près du feu, à ma table de cuisine, dans mon humble maison, nous partagerons autant la soupe que la souffrance, autant la tourte que l’espérance» (p. 53).
«Non, la fin du paradis ne fut pas causée par le sexe. Elle fut causée par la cupidité, la rapacité des fous de l’or, par la violence de leurs pulsions toutes chrétiennes envers le métal éblouissant dont ils feraient leur fortune et leurs ostensoirs» (p. 84-85).
«Nous arrivons à la table des amitiés universelles avec notre sac sur le dos, notre langue, notre mémoire, notre identité, notre histoire. Et dans ce monde à créer, dans ce monde devant nous, nous aurons à partager des terres, des villes, un futur» (p. 90).
«En réalité, les cochons sont tout sauf cochons. Ils sont plutôt du genre heureux, mangeurs de fruits et de légumes, de truffes, aimant les bains de boue, les sous-bois, les caresses et la tranquillité» (p. 136).
Serge Bouchard, la Prière de l’épinette noire, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2022, 222 p. Préface de Jean-Philippe Pleau.
(Une définition du zeugme ? Par là.)
À ses heures perdues, l’Oreille tendue est éditrice conseil : elle a accompagné des livres aux Presses de l’Université de Montréal et chez Del Busso éditeur.
Paraît aujourd’hui, dans ce cadre, le plus récent ouvrage d’Alex Gagnon, les Déchirures. Essai sur le Québec contemporain.
Quatrième de couverture
Le Journal de Montréal et la «rectitude politique», Mathieu Bock-Côté et les visages contemporains de la gauche, l’affaire du «mot-en-n» et la liberté académique : cet essai braque les lumières de l’analyse du discours sur quelques-unes des polémiques passionnées qui marquent le Québec actuel.
Les polémiques et les débats publics sont comme des orchestres. Mais ce sont des orchestres sans chef où les instruments sont désaccordés, où les harmonies sont brisées par la dissonance et où les musiciens, qui exécutent en chœur des partitions différentes, cherchent à s’enterrer les uns les autres.
Alex Gagnon se met à l’écoute de cette cacophonie pour en saisir les notes, les gammes, les progressions et les refrains. Il décrypte les attitudes rhétoriques du conservatisme et du progressisme. Il décompose les dialogues de sourds pour en révéler les mécanismes. Il tente de comprendre les ressorts de la polarisation. Et c’est le fondement même de notre condition sociale que son exploration nous pousse finalement à interroger.
Alex Gagnon a reçu de nombreuses distinctions pour ses trois premiers livres : La communauté du dehors (PUM, 2016), Nouvelles obscurités (Del Busso, 2017) et Les métamorphoses de la grandeur (PUM, 2020). Il est chargé de cours, chercheur et essayiste. Ses travaux portent principalement sur l’histoire des imaginaires sociaux et des sensibilités.
Table des matières
Présentation
1. Le Journal de Montréal et la «rectitude politique». L’éclaireur et le curé
Sémantique du «gnangnan»
Rhétorique du coup de gueule
La force du vraisemblable
Un phare dans la nuit
L’art presque perdu de la circonspection
Deux solitudes
Le grand défoulement
2. Le «tempérament» antimoderne de Mathieu Bock-Côté. Le noble et l’infréquentable
«Ainsi donc». Un discours enthymématique
Autoportrait d’un conservateur
Lire ou ne pas lire Mathieu Bock-Côté ?
3. Le dominant, c’est l’autre. Le dissident et le fasciste
Anatomie d’un «manifeste»
Anatomie d’une réplique
Un «dialogue de sourds»
4. Quand dire, c’est taire. Essai en treize actes
Finale. Le conflit des représentations
Le monde social : un espace
L’espace social : classer et être classé
La lutte des classements : une polémique perpétuelle
Remerciements
Référence
Gagnon, Alex, les Déchirures. Essais sur le Québec contemporain, Montréal, Del Busso éditeur, 2023, 347 p.
(Transparence, totale comme on dit à la Presse+ : l’Oreille tendue et Yan Hamel ont collaboré à quelques reprises, ici ou là. Et elle a parlé d’un de ses précédents livres.)
Quelles sont les conséquences, dans douze romans québécois, du «face-à-face de la capitale française et de la psyché québécoise» (p. 128) ? Que ressort-il de la confrontation de Paris et de personnages romanesques du cru ? C’est, affirme Yan Hamel dans Paris en miettes (2023), la cata. Dans cet essai, il recense avec gourmandise les déconvenues en série de ceux qui s’aventurent hors de la Belle Province. On a généralement plaisir à le suivre, mais pas toujours : c’est moins une affaire de contenu que de forme.
Hamel découpe les romans de son corpus (liste ci-dessous) en citations et événements, qu’il regroupe thématiquement : la fenêtre (p. 92-93); la défécation (p. 100-102); la Seine et ses cadavres (p. 112-115); les arbres (p. 191-197); etc. L’hypothèse de lecture est forte : pour les personnages québécois installés, même brièvement, à Paris, les choses vont mal, de plus en plus mal, et — surtout — elles sont dites avec les mêmes mots d’un auteur à l’autre (p. 39-40). Dans un séminaire de maîtrise ou de doctorat en études littéraires, on embêterait l’auteur avec des questions sur les «critères de constitution de son corpus». Le reproche serait mauvais : Paris en miettes n’est pas une thèse, mais une «courtepointe» (p. 45), «un sampling» (p. 43) ou un «lèche-vitrine saccageur» (p. 201), doublés d’un pamphlet et d’un autoportrait.
Le verdict est sans appel : «Nous sommes Québécois, cette créature mal situable dont les humains à part entière auraient préféré n’avoir jamais rien su» (p. 84-85). Masochiste, le personnage des romans parisiens venus du Québec se complaît dans «la douleur issue de cette seule blessure, qui s’aggrave avec bonheur : la conscience morose de ses insuffisances» (p. 68). Parmi les passages les plus cruels et les mieux vus, il y ceux sur la langue, moins sur sa faiblesse supposée que sur son incapacité à (faire) véritablement entendre l’autre (p. 149-151).
À côté de ses analyses (en prose, parfois au «vous»), le «je» offre des textes en vers (au «tu») eux aussi plein de bile; à leur tour, ils mêlent sans se gêner les registres de langue. C’est un intellectuel qui parle de lui (p. 76-78) et de ses congénères, et la critique et l’autocritique ne lui font pas peur, bien au contraire (p. 50, p. 103-104, p. 126-127). Il n’est tendre ni envers lui-même ni envers les autres. Ses parents sont décrits comme «des anti-intellectuels white trash, forcenés et crapuleux» (p. 202). S’il propose une relecture du poème Speak white, de Michèle Lalonde, c’est pour la conclure sur ces mots : «avec votre langue déliée / à la façon / d’André Gide / et de / Gabriel Matzneff» (p. 162). Paris en miettes serait «un livre provincial, comme, du reste, tous ceux de notre littérature» (p. 46).
L’alacrité rageuse de Yan Hamel emporte d’abord l’adhésion — si l’on est, comme lui, de mauvaise foi, ce qui est souhaitable —, mais il arrive qu’elle fasse défaut au fur et à mesure qu’on avance dans la lecture. Les regroupements thématiques sont convaincants, mais leur présentation manque de variété. Les allusions à la critique universitaire visent les happy few (p. 30, p. 40, p. 41, p. 81, p. 91, p. 95, p. 190). Quand il est question de genre (au sens de gender), le ton est bien conservateur (p. 94-96, p. 140, p. 191). Plus l’Oreille vieillit, moins elle comprend pourquoi ses collègues aiment tant parler, ainsi que le fait Hamel, de subversion — comme si la littérature pouvait être subversive !
Cela étant, Paris en miettes est roboratif, car «Paris reste la seule [ville] qui, de l’extérieur, nous amène à vraiment penser le Québec, à réfléchir sur ce que nous pouvons être, spécifiquement, à l’échelle mondiale» (p. 202). On n’a pas fini de se colletailler avec elle.
P.-S.—Page 101, l’Oreille tendue a pleuré toutes les larmes de son corps : pour éviter ce déluge, il aurait été bon de ne pas confondre glaciaire et glacière. Elle s’était auparavant posé une question typographique : pourquoi diantre faudrait-il mettre le mot pet en italique (p. 53) ? Pour faire pendant à flushés ? Siller aurait été un meilleur choix que ciller (p. 137).
P.-P.-S.—Le corpus, donc : Gabrielle Roy, la Montagne secrète, 1961; Marie-Claire Blais, Une liaison parisienne, 1975 et les Nuits de l’Underground, 1978; Michel Tremblay, Des nouvelles d’Édouard, 1984; Anne Hébert, l’Enfant chargé de songes, 1992 et Est-ce que je te dérange ?, 1998; France Daigle, Pas pire, 1998; Gail Scott, My Paris, 1999; Jacques Poulin, les Yeux bleus de Mistassini, 2002; Jacques Godbout, le Concierge du Panthéon, 2006; Victor-Lévy Beaulieu, Bibi, 2009; Hélène Frédérick, Forêt contraire, 2014.
Référence
Hamel, Yan, Paris en miettes, Montréal, Boréal, coll. «Liberté grande», 2023, 205 p. Ill.