Les zeugmes du dimanche matin et de Serge Bouchard

Bernard Arcand et Serge Bouchard, Du pâté chinois, du baseball, et autres lieux communs, 1995, couverture

«Je me souviens d’un porte-avions américain baptisé L’Entreprise. Imaginez : entrer dans tous les salons de la Terre en déclarant tout simplement : “Je suis le commandant de L’Entreprise.” Cela vous refait une image, à vous qui n’êtes qu’une image. Virer de bord dans l’Atlantique demande de la circonspection, des analyses et des millions, sans parler des contextes et des autorisations» (p. 134).

«Mais c’est un rêve, un pauvre rêve. La vie sur les rafiots sera toujours la vie sur les rafiots. Elle est vraie, peut-être, mais elle est difficile, très précaire et parfois même insupportable. Drake, Cook et La Pérouse, sont tous morts assez jeunes, dans la misère et dans l’eau froide» (p. 135).

Serge Bouchard, dans Bernard Arcand et Serge Bouchard, «Le commandant», dans Du pâté chinois, du baseball, et autres lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1995, 226 p., p. 131-146.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Aller au fond du canal avec Serge Bouchard

Balle bleu-blanc-rouge

Serge Bouchard a grandi à Pointe-aux-Trembles; l’Oreille tendue, à Repentigny. Ne les séparaient donc que le pont Le Gardeur et une dizaine d’années. Ils partageaient cependant un vocabulaire commun.

Exemple :

Je plonge une autre fois dans l’univers de mon passé et j’y retrouve des crapauds à la pochetée. Nous jouions au hockey dans la rue et une balle bleu-blanc-rouge nous servait de rondelle. À cette époque pas si lointaine mais désormais fort éloignée en raison des progrès enregistrés dans le génie civil et public, les couvercles des puisards se distinguaient par la grande ouverture des fentes qui permettaient à l’eau de s’y engouffrer. Les ingénieurs d’alors songeaient à la course de l’eau, mais ils n’avaient guère de sensibilité pour les cyclistes ou même pour les handicapés. Mais ils oubliaient surtout les jeunes joueurs de hockey dont l’enthousiasme était trop souvent brisé par la chute de leur unique balle dans ce que nous appelions tout simplement le canal (p. 186).

Le canal; oui, évidemment.

 

Référence

Arcand, Bernard et Serge Bouchard, «Le crapaud», dans Du pâté chinois, du baseball, et autres lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1995, 226 p., p. 179-193.

Langue de balle. Deuxième manche

Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion, éd. de 2017, couverture

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Deuxième texte d’une série.)

 

«J’aime le baseball depuis toujours, comme on aime l’idée de courir sur les sentiers, de se tenir debout dans le champ ou de rentrer sain et sauf à la maison. Les expressions françaises qui décrivent le jeu sont franchement belles. Il arrive que les sentiers sont déserts, que le voltigeur fasse une longue course qui l’oblige à reculer, dos à la clôture, qu’il regarde aller la balle du simple fait qu’elle est partie; il arrive que le frappeur frappe une chandelle dans le champ intérieur ou une flèche dans le champ droit, que la défensive soit mystifiée par une balle qui a des yeux, par une balle qui tombe, par une autre qui voyage, que le frappeur fende l’air, s’élance dans le vide, qu’il soit supris par un bâton fracassé, qu’il soit menotté par un lanceur dominant, retiré par un gant doré, avant de sombrer dans une longue léthargie qu’il devra un jour ou l’autre secouer.»

Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p., p. 46. Édition originale : 2016.

De mort violente

Orignal mort, dans un camion

Soit les phrases suivantes, tirées d’œuvres québécoises récentes :

«Ce soir-là, j’ai dormi sans Thomas. Où était-il ? Avait-il tué » (Kukum, p. 54)

«T’as-tu tué ?» (Québec Redneck Bluegrass Projet)

«C’est exactement ce qui est arrivé lorsque j’ai tué pour la première fois» (le Temps des récoltes, p. 31).

«Le père de Max avait tué à l’automne, ça l’avait mis de bonne humeur, la première fois qu’il allait à la chasse depuis deux ans» (le Chemin d’en haut, p. 59).

Qu’on se rassure : comme l’indique la dernière phrase, les Québécois ne sont pas particulièrement portés sur l’assassinat, sauf quand ils vont à la chasse. S’il ont tué, c’est un animal. Ouf.

 

Références

Cardin, Élisabeth, le Temps des récoltes. Cultiver le territoire, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 19, 2021, 73 p. Ill.

Chabot, J. P., le Chemin d’en haut. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 171, 2022, 224 p.

Jean, Michel, Kukum, Montréal, Libre expression 2019, 222 p.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Le zeugme du dimanche matin et de Caroline Mineau

Caroline Mineau, Habiter une cage ouverte, 2023, couverture

«De même, apprenant que les gens qui ont de bonnes relations avec les autres tendent à vivre plus longtemps et à être plus satisfaits de leur vie, une personne introvertie jugera peut-être qu’elle aurait avantage à fournir un effort de sociabilité, en s’aidant au besoin d’un·e psychologue possédant, par sa fine compréhension du fonctionnement des rouages de l’esprit humain, certaines clés pour la sortir de son armure ou, carrément, de son appartement.»

Caroline L. Mineau, Habiter une cage ouverte. Regards sur la liberté et ses paradoxes, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 24, 2023, 99 p., p. 33.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)