Citation (assez) (bassement) intéressée du lundi matin

Nouveau projet, 08, automne-hiver 2015, couverture

«Dans un essai paru il y a quelques mois [Information Doesn’t Want to Be Free, 2014], le Torontois Cory Doctorow, auteur de science-fiction et militant notoire du domaine des nouvelles technologies, propose une lecture préoccupée mais non alarmiste des bouleversements actuels de l’industrie du divertissement et de leur impact sur les notions de droits d’auteur et de rémunération des créateurs. La position d’un libre penseur, clairvoyante pour les uns, suicidaire pour les autres, qui a le mérite de prendre les problèmes depuis leur base et de ne pas se cantonner dans les idées reçues. Information Doesn’t Want to Be Free, toujours pas traduit en français et dont le titre, si c’était le cas, serait L’information ne veut pas être gratuite, refuse le catastrophisme et se présente d’abord comme pédagogique

Tristan Malavoy, «Les mammifères et les pissenlits», Nouveau projet, 08, automne-hiver 2015, p. 135-139, p. 135-136. (Les caractères gras sont de l’Oreille tendue.)

Accouplements 36

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Cette interrogation, hier, sur Twitter, de @shimonharvey :

Tweet de Simon Harvey, 8 novembre 2015

L’Oreille tendue serait tentée de répondre uniquement par deux citations d’André Belleau, tirées d’une entrevue de 1978 :

À un certain niveau de l’administration que je dirais médiocre, ça paraît divers aussi. Mais à un niveau de l’administration que je juge supérieur, et je ne suis pas très modeste en le disant, ça demeure le même problème fondamental. C’est que l’administrateur est un créateur de discours, comme un écrivain, au fond. L’administrateur est celui qui, devant des situations humaines complexes, réussit à tenir un discours qui instaure la logique et l’ordre. […] L’administrateur est le spécialiste d’un type de discours et de langage, et c’est ça qu’il faut comprendre (éd. de 1987, p. 17);

l’administrateur, à mon avis, est un poète, et ça, on l’oublie souvent. C’est un imaginatif et un poète. Et ça je le sais, j’en ai fait l’expérience (éd. de 1987, p. 18).

Autrement dit, les spécialistes de la langue et de l’imagination peuvent être partout, en droit comme dans les administrations. Les créateurs (les «poètes») n’ont évidemment, et heureusement, aucun monopole sur elles.

 

Référence

Belleau, André, «Entretien autobiographique avec Wilfrid Lemoine», Liberté, 169 (29, 1), février 1987, p. 4-27. Transcription par François Ricard d’un entretien radiophonique du 4 mai 1978 dans la série «À la croisée des chemins» (réalisation d’Yves Lapierre). https://id.erudit.org/iderudit/31100ac

Souvenirs de Gilles Marcotte (1925-2015)

Portrait de Gilles Marcotte

Le professeur, écrivain, critique et chroniqueur Gilles Marcotte (1925-2015) est mort hier. À l’Université de Montréal, l’Oreille tendue a suivi ses cours, travaillé avec lui, occupé un bureau à côté du sien. Ils ont été collègues. Souvenirs.

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«Mauvais sang» est le titre d’un poème de Rimbaud. Gilles Marcotte en faisait, pour ses étudiants de première ou de deuxième année, une lecture détaillée, imaginative, étonnante. Ils ne s’imaginaient pas alors qu’il était possible de faire dire tant de choses à ces deux petits mots. Certains s’en souviennent encore, presque quarante ans plus tard.

La tournure favorite de Gilles Marcotte ? «Oui, mais.» Les discussions avec lui n’étaient jamais simples. Elles pouvaient être dures, orageuses. Elles se faisaient toujours dans le plus grand respect, y compris sur des sujets qui pouvaient le fâcher, et se terminaient fréquemment par des éclats de rire. Mais il fallait être prêt et tenir son bout.

«Je sais que je suis un imbécile. Je n’aime pas qu’on me le dise.»

On pouvait parler sport avec lui, baseball et hockey. Il a écrit sur les Expos. Quand, en 1983, la revue Liberté a publié un recueil de pastiches d’écrivains québécois, «Nos écrivains par nous-mêmes», celui de Marcotte s’intitulait «L’attaque à cinq».

Il lui est même arrivé de parler de Maurice Richard, le plus célèbre joueur des Canadiens de Montréal, notamment dans ses entretiens avec Pierre Popovic en 1996 :

Il est vrai que si le hockey, disons le hockey canadien-français, c’est Maurice Richard, il faut dire qu’il ne célèbre pas le calcul, la stratégie ou la lente conquête, comme le football, mais le coup de sang ou d’énergie, le miracle soudain, l’exception, l’explosion. Avez-vous déjà vu Maurice Richard écrasé par deux défenseurs extrêmement costauds, non seulement à genoux mais couché sur la glace, et réussissant malgré tout, contre tout espoir, dans un effort qui conscrit l’extrême des forces humaines, à soulever la rondelle et à l’envoyer derrière un gardien de but stupéfait ? C’est ça, le hockey. C’est-à-dire, au choix, ou tous ensemble : Dollard des Ormeaux, d’Iberville à la baie d’Hudson, la bataille de Chateauguay, le débarquement de Dieppe… (p. 49-50)

C’était cela, Gilles Marcotte, et tant d’autres choses encore.

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En 1995, au moment de son départ à retraite, les éditions Fides publiaient des Miscellanées en l’honneur de Gilles Marcotte. Avec l’autorisation de l’éditeur, on en lira la présentation ici.

 

[Complément du 24 octobre 2015]

«Un machin inépuisable, c’est ça la littérature.»

Calligraphie difficile à déchiffrer et expérience du journalisme : Gilles Marcotte préférait écrire à la machine, souvent sur des feuilles de petits formats (voir un exemple ). Il aimait particulièrement les feuilles de couleurs des tablettes Alouette.

 

[Complément du 19 janvier 2016]

Le ton de ceci est un peu plus solennel :

Melançon, Benoît, «Hommage au professeur Gilles Marcotte», Nouvelles de l’APRUM (Association des professeurs retraités de l’Université de Montréal), novembre-décembre 2015. https://www.aprum.umontreal.ca/Lettres/2015_11_02/Courriel151102.html

 

[Complément du 24 février 2016]

Et enfin :

Melançon, Benoît, «Oui, mais», Liberté, 311, printemps 2016, p. 48. https://doi.org/1866/32183

 

[Complément du 22 avril 2017]

Et encore un coup :

Melançon, Benoît, «Instantanés», Études françaises, 53, 1, 2017, p. 147-152. https://doi.org/10.7202/1039572ar

 

[Complément du 11 août 2022]

Ce n’était finalement pas tout : Melançon, Benoît, «Gilles Marcotte», dans Pierre Hébert, Bernard Andrès et Alex Gagnon (édit.), Atlas littéraire du Québec, Montréal, Fides, 2020, p. 241-242.

 

[Complément du 16 juin 2023]

Là, ça devrait être tout : Melançon, Benoît, «Gilles Marcotte», dans Claude Corbo et Sophie Montreuil, avec la collaboration de Sarah Bardaxoglou et Zoé Barry (édit.), Faire connaissance. 100 ans de sciences en français, Montréal, Cardinal, 2023, p. 116-119.

 

Références

Marcotte, Gilles [pseudonyme], «L’attaque à cinq», Liberté, 145 (25, 1), février 1983, p. 62-63. https://id.erudit.org/iderudit/30403ac

Melançon, Benoît et Pierre Popovic (édit.), Miscellanées en l’honneur de Gilles Marcotte, Montréal, Fides, 1995, 422 p.

Popovic, Pierre, Entretiens avec Gilles Marcotte. De la littérature avant toute chose, Montréal, Liber, coll. «De vive voix», 1996, 192 p. Ill.

Miscellanées en l’honneur de Gilles Marcotte, 1995, couverture

Du mononc’

Étymologie simple : mon oncle => mononcle => mononc’. C’est affaire de prononciation.

Parmi les mononc’, il y a celui qui est réputé lent. Il doit lasser sa place aux plus pressés : «Tasse-toi mononcle, viens-t-en le jeune !» (la Presse, 12 mars 2001)

Ce fut à une époque une publicité télévisée de Volkswagen. Sur Twitter, Marie-France Bazzo s’en est souvenue quand le président de la firme automobile a récemment (été) démissionné.

Tweet de Marie-France Bazzo, 23 septembre 2015, «Le PDG de #Volkswagen démissionne : “Tasse-toi mononcle !”»

Il y a aussi, chez les mononc’, le libidineux. On lui doit des jokes de mononc’. Le terme a beaucoup été utilisé pour parler de Marcel Aubut, ci-devant président du Comité olympique canadien, qui vient d’abandonner son poste à la suite de plaintes pour harcèlement sexuel. Dans le Journal de Montréal d’hier, son vieil ami le journaliste Réjean Tremblay a écrit un texte sur l’affaire Aubut. Il n’a pas été très bien reçu. Marie-France Bazzo, encore, sur Twitter, encore :

On connaît encore celui qui n’est plus à la mode, le ringard : «Mononcles et matantes s’abstenir» (la Presse, 10 février 2002).

Ces catégories ne s’excluent pas l’une l’autre : on peut être lent, libidineux et vieux.

P.-S. — Toujours sur Twitter, le chroniqueur politique Vincent Marissal a proposé le néologisme mononclatisation à la suite de sa lecture du texte de Réjean Tremblay. (L’Oreille tendue ne parierait pas sur le succès de celui-ci.) Pour sa part, @revi_redac le traite de «TurboMononcle».

P.-P.-S. — Il faut être pas mal mononc’ pour publier un communiqué de presse dans lequel, au lieu du mot femmes, on parle «de certaines personnes de la gent féminine».

P.-P.-P.-S. — Plus banalement, mononc’ est un hypocoristique : «Heye, mononc’, raconte-moi l’histoire du Rocket.»

P.-P.-P.-P.-S. — Il a déjà été question du mononc’ ici.

 

[Complément du 22 septembre 2017]

Accueillons un nouveau membre de la famille : celui qui corrige les fautes de langue des autres.

Ce «mononc»-là est un défenseur de la Charte de la langue française du Québec, la ci-devant loi 101.

 

[Complément du 9 juillet 2018]

Il y a (eu) mononclatisation. Il y a aussi mononclisation, par exemple dans ce tweet.

 

[Complément du 7 février 2020]

Dans le Devoir du jour, on peut lire une occurrence de mononcle comme adjectif : «un personnage exagérément mononcle». À l’oreille de l’Oreille, cet usage paraît peu fréquent. (Elle peut se tromper.)

 

[Complément du 17 mars 2021]

Autre adjectif, encore chez Marie-France Bazzo : «droite identitaire “mononquesque”» (Nous méritons mieux, p. 119).

 

[Complément du 20 juin 2024]

Dans la Presse+ du jour : «Place aux vacances pour les élus. Entre ingérence, incurie et “mononcleries”.»

 

[Complément du 23 juin 2024]

Sur Twitter : «mononclisme».

 

Référence

Bazzo, Marie-France, Nous méritons mieux. Repenser les médias au Québec, Montréal, Boréal, 2020, 213 p.