Du mononc’

Étymologie simple : mon oncle => mononcle => mononc’. C’est affaire de prononciation.

Parmi les mononc’, il y a celui qui est réputé lent. Il doit lasser sa place aux plus pressés : «Tasse-toi mononcle, viens-t-en le jeune !» (la Presse, 12 mars 2001)

Ce fut à une époque une publicité télévisée de Volkswagen. Sur Twitter, Marie-France Bazzo s’en est souvenue quand le président de la firme automobile a récemment (été) démissionné.

Tweet de Marie-France Bazzo, 23 septembre 2015, «Le PDG de #Volkswagen démissionne : “Tasse-toi mononcle !”»

Il y a aussi, chez les mononc’, le libidineux. On lui doit des jokes de mononc’. Le terme a beaucoup été utilisé pour parler de Marcel Aubut, ci-devant président du Comité olympique canadien, qui vient d’abandonner son poste à la suite de plaintes pour harcèlement sexuel. Dans le Journal de Montréal d’hier, son vieil ami le journaliste Réjean Tremblay a écrit un texte sur l’affaire Aubut. Il n’a pas été très bien reçu. Marie-France Bazzo, encore, sur Twitter, encore :

On connaît encore celui qui n’est plus à la mode, le ringard : «Mononcles et matantes s’abstenir» (la Presse, 10 février 2002).

Ces catégories ne s’excluent pas l’une l’autre : on peut être lent, libidineux et vieux.

P.-S. — Toujours sur Twitter, le chroniqueur politique Vincent Marissal a proposé le néologisme mononclatisation à la suite de sa lecture du texte de Réjean Tremblay. (L’Oreille tendue ne parierait pas sur le succès de celui-ci.) Pour sa part, @revi_redac le traite de «TurboMononcle».

P.-P.-S. — Il faut être pas mal mononc’ pour publier un communiqué de presse dans lequel, au lieu du mot femmes, on parle «de certaines personnes de la gent féminine».

P.-P.-P.-S. — Plus banalement, mononc’ est un hypocoristique : «Heye, mononc’, raconte-moi l’histoire du Rocket.»

P.-P.-P.-P.-S. — Il a déjà été question du mononc’ ici.

 

[Complément du 22 septembre 2017]

Accueillons un nouveau membre de la famille : celui qui corrige les fautes de langue des autres.

Ce «mononc»-là est un défenseur de la Charte de la langue française du Québec, la ci-devant loi 101.

 

[Complément du 9 juillet 2018]

Il y a (eu) mononclatisation. Il y a aussi mononclisation, par exemple dans ce tweet.

 

[Complément du 7 février 2020]

Dans le Devoir du jour, on peut lire une occurrence de mononcle comme adjectif : «un personnage exagérément mononcle». À l’oreille de l’Oreille, cet usage paraît peu fréquent. (Elle peut se tromper.)

 

[Complément du 17 mars 2021]

Autre adjectif, encore chez Marie-France Bazzo : «droite identitaire “mononquesque”» (Nous méritons mieux, p. 119).

 

[Complément du 20 juin 2024]

Dans la Presse+ du jour : «Place aux vacances pour les élus. Entre ingérence, incurie et “mononcleries”.»

 

[Complément du 23 juin 2024]

Sur Twitter : «mononclisme».

 

Référence

Bazzo, Marie-France, Nous méritons mieux. Repenser les médias au Québec, Montréal, Boréal, 2020, 213 p.

Génuflexions

Illustration tirée de Refrancisons-nous, 1951. Deuxième édition

L’Oreille tendue aime citer cette phrase d’André Belleau (parmi tant d’autres) : «La vérité, c’est que les langues sont des guidounes et non des reines» (éd. de 1986, p. 118). Elle l’a fait dans un article en 1991, et ici même le 2 février 2012 et le 12 novembre 2013. Et la liste n’est pas exhaustive.

Son sens ? Les langues ne sont pas à vénérer (ce ne sont pas des reines), mais à embrasser, voire plus si affinités (ce sont des guidounes).

L’Oreille pensait que cette vénération était propre au Québec. Ce n’est peut-être pas le cas. C’est du moins de ce que donne à penser la citation suivante, gracieuseté de l’émissaire québecquois de ce blogue :

Faire acte d’allégeance à la langue française, amour et soumission, est pour l’écrivain le seul espoir qui lui reste de se reconstituer entièrement, de se rétablir dans son intégrité primitive. À la suite de Charles d’Orléans, de Malherbe, de Jean de Sponde, et de tous ceux qui ont eux-mêmes suivi ces pères fondateurs, Racine et Pascal, Sade et Voltaire, Baudelaire et Hugo, Proust et Céline — deux par siècle, toujours — l’écrivain français doit user et fortifier sa langue, «au seing de la tant désirée France», écrit du Bellay, comme les premiers hommes conservaient le feu et se le transmettaient de père en fils. C’est dans son Enfer que Dante a mis un écrivain coupable d’impiété envers sa langue natale : pas de salut pour lui ! (p. 148)

«Faire acte d’allégeance», pratiquer la «soumission», ainsi que l’écrit Jacques Drillon en 1991, cela se conçoit certes pour une guidoune, mais encore plus facilement pour une reine.

 

Illustration : F. J.-F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951, 143 p., p. 14. Deuxième édition.

 

Références

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

Drillon, Jacques, Traité de la ponctuation française, Paris, Gallimard, coll. «Tel», 177, 1991, 472 p.

J.-F., F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951, 143 p. Ill. Deuxième édition.

Melançon, Benoît, «Le statut de la langue populaire dans l’œuvre d’André Belleau ou La reine et la guidoune», Études françaises, 27, 1, printemps 1991, p. 121-132. https://doi.org/1866/28657

André Belleau : pistes

Portrait d’André Belleau

Le colloque «André Belleau et le multiple» se termine aujourd’hui (programme ici). L’Oreille tendue a beaucoup écrit sur cet essayiste québécois essentiel. Ci-dessous, quelques rappels (la liste n’est pas exhaustive).

Une bibliographie de ses œuvres

Quelques citations

Des souvenirs

Un zeugme

Un conseil pédagogique

Une analyse du français de Pierre Elliott Trudeau

Deux lectures de Bernard Derome (ici et )

Un bel adage sur les guidounes (et les reines) (et les langues)

Une remarque sur Gérard Pelletier

Une réflexion de Pierre Nepveu

Instantanés d’André Belleau

Liberté, 169, février 1987, couverture

 

C’était il y a plus de trente ans : l’Oreille tendue a un peu fréquenté André Belleau (1930-1986), à qui sera consacré un colloque la semaine prochaine. Souvenirs.

C’était au moment de la préparation du dossier de la revue Études françaises consacré à Mikhaïl Bakhtine en 1984. Belleau insistait pour que les titres des articles soient descriptifs, pas «jolis» ou «évocateurs». C’était, disait-il, pour aider les bibliographes. Leçon retenue. Merci.

Dans ses Cahiers de lecture, que conserve l’Université du Québec à Montréal, il est continuellement question de la grande fatigue du Belleau du début des années 1980. Quand on lui demandait s’il allait bien, il répondait souvent «Non». Il lui arrivait de recevoir ses visiteurs en robe de chambre. S’il vous visitait, après avoir ahané dans l’escalier, il fallait qu’il aille tout de suite «pisser», et il vous le laissait savoir. Il n’avait pas tout à fait la bonhomie de sa photo officielle, reproduite ci-dessus.

Dans son salon, sur une table, des livres et des revues, en piles, attendaient d’être lus. Belleau déplorait notamment le fait qu’il n’arrivait pas à suivre le rythme de publication de son ami Marc Angenot. Celui-ci publiait plus vite que celui-là ne lisait, disait-il.

Belleau avait du mal avec les noms propres. Le meilleur exemple est celui de Fredric Jameson, qu’il écrivait toujours «Frederic» avant le numéro «Bakhtine mode d’emploi». Dans ce numéro, l’orthographe était la bonne. Il était étonné de s’être trompé tout ce temps, et reconnaissant qu’on le corrige. Par la suite, il reviendra à «Frederic».

À un colloque à Québec, en avril 1985, Belleau présente un étudiant à la maîtrise au sociologue Fernand Dumont. L’étudiant, qui donnait alors sa première communication, aurait dû être plus impressionné.

André Belleau écrivait des lettres, celle-ci, par exemple.

Lettre d’André Belleau à Benoît Melançon, 6 août 1984