P.Q.

L’histoire de la littérature raffole des périphrases. Bossuet est «L’aigle de Meaux», Voltaire, «Le patriarche de Ferney», George Sand, «La bonne dame de Nohant».

Existe-t-il des périphrases québécoises (P.Q.) ? Bien sûr, avec la même contrainte qu’ailleurs : il faut minimiser le risque de confusion. «Le poète de Natashquan» (Gilles Vigneault), oui; pas «Le poète de Montréal». «L’athlète de Ripon» (Stéphane Richer), d’accord; «L’athlète de Québec», non.

Il y a des «p’tits gars», souvent d’anciens premiers ministres, au fédéral comme au provincial : les «p’tits gars» de Shawinigan (Jean Chrétien), de Baie-Comeau (Brian Mulroney), de Chandler (René Lévesque). Il y a «Le père de la loi 101» (Camille Laurin), qu’on ne confondra pas avec «Le père de Youppi» (Roger D. Landry). Il fut même un temps où «Le prince des annonceurs» (Roger Baulu) pouvait interviewer «Le prince des lépreux» (le cardinal Paul-Émile Léger).

Certaines P.Q. peuvent désigner deux personnes, ce qui nuit à leur efficacité. «Le beu de Matane» («Le bœuf de Matane») est aussi bien l’ex-ministre Marc-Yvan Côté que l’ex-hockeyeur Alain Côté.

Inversement, il est des cas où une seule a droit à plusieurs P.Q. : Céline Dion est «La p’tite fille de Charlemagne», «La diva de Charlemagne», voire «La diva de la chanson».

On ne prête qu’aux riches.

 

[Complément du 27 mars 2012]

Thomas Mulcair vient d’être élu chef du Nouveau parti démocratique du Canada. Michel David, qui lui consacre un texte dans le Devoir d’aujourd’hui, l’appelle le «pitbull de Chomedey» (p. 3). Ouch.

 

[Complément du 27 avril 2015]

Si l’on en croit @PrintempsM (Les Printemps meurtriers de Knowlton / Festival international de littérature noire de langue française), Chrystine Brouillet serait «la reine du polar québécois». Merci de nous l’apprendre.

 

[Complément du 21 décembre 2015]

Dans le Devoir du jour, sous la plume de Jean-François Nadeau : le «barde de l’île d’Orléans», Félix Leclerc (p. A3).

 

[Complément du 29 décembre 2019]

L’omnicommentateur Mathieu Bock-Côté est né dans la banlieue montréalaise de Lorraine. Mark Fortier vient de lui consacrer un ouvrage, Mélancolies identitaires. On y lit ceci : «Voilà qui explique pourquoi le hibou de Lorraine hulule aussi gaiement en volant au-dessus du champ de ruines» (p. 150).

 

[Complément du 15 mai 2022]

S’agissant de Céline Dion, un exemple romanesque, chez Alex Viens : «Charlie pointe du doigt le petit cadre vintage que Jules a déposé sur sa table de chevet pour s’endormir sous les yeux bienveillants de la diva de Charlemagne» (les Pénitences, p. 110).

 

[Complément du 14 janvier 2024]

La cerbère de la nouvelle équipe de hockey féminin de Montréal vient de La Malbaie. Elle est réputée intraitable. Comment désigne-t-on Ann-Renée Desbiens dans les médias ? «La grande muraille de Charlevoix.» Les Chinois peuvent aller se rhabiller.

 

Références

Fortier, Mark, Mélancolies identitaires. Une année à lire Mathieu Bock-Côté, Montréal, Lux éditeur, coll. «Lettres libres», 2019, 168 p.

Viens, Alex, les Pénitences. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2022, 128 p.

De la germaine

Dans la faune québécoise, une espèce nouvelle est apparue : la germaine.

Qu’est-ce qu’une germaine ?

Le journal la Presse propose la définition suivante : «Dans un couple, la Germaine, c’est elle qui gère et qui mène. D’où son surnom : Germaine» («La Germaine d’Occupation double encaisse son 4 %», 2 décembre 2008, cahier Arts et spectacles, p. 3).

Plus largement, c’est une forte femme, qui aime prendre des initiatives, être aux commandes, conduire plutôt que suivre. Si son efficacité ne laisse aucun doute, on ne peut pas toujours en dire autant de ses qualités en matière de relations interpersonnelles. La germaine ne recule pas, quels que soient les obstacles.

Quels sont les deux verbes préférés de la germaine ?

Opérer. La germaine opère. C’est une fonceuse, une proactive plus que proactive, une de celles qui font ce qu’il faut pour obtenir ce qu’elles veulent, et qui le font vite. Qui opère n’aime pas perdre son temps.

Regarder. Ce verbe, toujours à la deuxième personne du présent de l’impératif, introduit un éclaircissement (je vais t’expliquer), qui devrait être inutile (puisqu’il le faut), doublée d’une menace (mais t’as intérêt à comprendre). Par aphérèse, on entend aussi ’garde.

Exemple :

Heye, t’es une vraie germaine, toé ! T’opères !
’Garde, là : j’chus là pour ça.

Remarque : le mot n’existe qu’au féminin; il n’est pas de germain.

 

[Complément du 26 août 2019]

Le mot est passé dans la langue populaire depuis un certain temps déjà, mais certains, tel Patrick Émiroglou dans Salut l’écrivain ! (2019), hésitent encore à l’utiliser librement : «Il faisait ressortir la “Germaine” en moi, ce que je détestais plus que tout !» (p. 80)

 

[Complément du 23 février 2021]

Se trouve aussi en position adjectivale : «Le gars un peu gnochon avec la fille germaine, Laurent Paquin n’en avait pas envie pour sa série de capsules humoristiques intitulée Je t’aime, sur ICI Tou.tv» (la Presse+, 22 février 2021).

 

[Complément du 1er juin 2021]

On voit aussi la graphie gère-mène, par exemple dans la pièce de théâtre documentaire Tout inclus de François Grisé (2021, p. 44).

 

Références

Émiroglou, Patrick, Salut l’écrivain !, Montréal, Del Busso éditeur, 2019, 167 p. Ill.

Grisé, François, Tout inclus. Tome 1, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 26, 2021, 122 p. Ill. Précédé d’un «Mot des dramaturges» et suivi de «Contrepoint. La ruée vers l’or gris : risques et rentabilité» par Anne Plourde.

Bilinguisme et bilinguisme

Dans le Devoir du 3 juillet, sous le titre «Full bilingue» (p. A3), Christian Rioux rapporte que Jean Charest, le premier ministre du Québec, a prononcé un discours bilingue, à Bruxelles, dans le cadre d’une conférence internationale sur l’environnement : «L’allocution était pour moitié écrite en anglais et chaque paragraphe en français était inévitablement suivi d’un paragraphe en anglais.» Avec le premier ministre du Manitoba, il aurait été le seul conférencier à s’adresser aux participants autant en anglais qu’en français.

Ce faisant, Jean Charest reprenait à son compte une des vieilles erreurs d’interprétation sur la nature du bilinguisme au Canada. Il confondait l’intérêt individuel du bilinguisme — on ne saurait reprocher à quiconque de parler plus d’une langue — et ses dangers collectifs — il n’existe aucune situation où deux langues sont véritablement égales, du moins sur le plan socio-économico-politique.

Avant de prendre la parole, il aurait pu méditer les réflexions de Pierre Bourgault parues il y a tout juste 20 ans dans Moi, je m’en souviens (1989). À la question «Qui, des Japonais ou des Québécois, fait le plus d’affaires avec les Américains ?», il répondait : «La réponse va de soi. / Or, il n’y a que 1,4 % de la population japonaise qui parle anglais […].» Il poursuivait :

Dans tous les pays du monde, on a besoin d’une minorité de gens qui parlent d’autres langues pour entretenir des relations politiques, économiques ou culturelles avec l’étranger ou pour les mieux accueillir chez soi.

Cela se fait tout naturellement pendant que la majorité peut continuer de vaquer à ses occupations, gagner sa vie et dépenser son argent dans sa propre langue.

Ce qui n’empêche nullement les gens d’apprendre autant de langues qu’ils le veulent pour leur propre plaisir (p. 221).

La vie de l’État repose, elle, sur l’usage commun d’une langue.

Il est vrai que Jean Charest ne doit pas être un des lecteurs les plus assidus de Pierre Bourgault.

 

Référence

Bourgault, Pierre, Moi, je m’en souviens, Montréal, Stanké, 1989, 278 p.

Pierre Bourgault, Moi, je m’en souviens, 1989, couverture

Oui 001

Il y a toutes sortes de façons de dire oui au Québec. La compagnie Coke l’a bien compris. Sur les autobus de Montréal, on voit actuellement une publicité annonçant le Coke Zéro : «Tout le goût du Coca-Cola, zéro calorie.» Ce texte est suivi d’un astérisque, et l’astérisque introduit une note, qui tient en un mot : «sérieux». C’est un oui meilleur qu’un oui. Sérieux.

 

[Complément du 18 juin 2019]

Exemple essayistique, dans les Retranchées (2019) de Fanny Britt : «Sérieux, c’est de la pure bombe d’intelligence et de cœur» (p. 15 n. 3).

Exemples dialogués dans le même ouvrage : «Sérieux, j’ai un peu hâte qu’on arrête de valoriser autant la conscience […]» (p. 45); «Non mais sérieux, c’est tellement apaisant de faire la chose morale» (p. 45).

On le voit : au-delà de sa valeur affirmative (oui, c’est vrai), sérieux a surtout une valeur intensive (oui oui oui, je vous assure, c’est vrai).

 

Référence

Britt, Fanny, les Retranchées. Échecs et ravissement de la famille, en milieu de course, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 15, 2019, 97 p.