Le zeugme du dimanche matin et d’Andrew Forbes

Andrew Forbes, De l’utilité de l’ennui, 2017, couverture

«Une quantité considérable d’Américains persistent à croire que le cœur de la nation bat à un rythme qui est plus rural qu’urbain. Le baseball s’inscrit dans cette croyance, et il est facile de projeter une sentimentalité pastorale sur le diamant verdoyant et impeccable au centre de nos villes postindustrielles de verre et de béton et d’espoirs déçus.»

Andrew Forbes, De l’utilité de l’ennui. Textes de balle, Montréal, Éditions de Ta Mère, 2017, 196 p. Édition originale : 2016. Traduction de Daniel Grenier et William S. Messier. Édition numérique.

 

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 1er août 2023.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Langue de balle. Cinquième manche

Bill Lee, The Wrong Stuff, 1984, couverture

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Cinquième texte d’une série.)

«Seul le lanceur sait.»
Serge Bouchard, Quinze lieux communs

Dans son livre De l’utilité de l’ennui. Textes de balle (voir le compte rendu de l’Oreille tendue ), Andrew Forbes accorde un rôle central aux lanceurs. Il leur consacre un chapitre complet, «Vriller dans l’espace», où l’on trouve des phrases comme celles-ci : «Les lanceurs sont des êtres spéciaux»; «Ils sont des superhéros […].» Or la batterie est composée d’un lanceur et d’un receveur, le second envoyant des signaux au premier. À ce titre, et pas seulement, le receveur joue un rôle crucial dans le déroulement du match et on ne devrait jamais l’oublier. Ancienne receveuse, l’Oreille sait de quoi elle parle.

Il y a différents types de lanceurs. Certains sont droitiers, d’autres gauchers (une patte gauche, un southpaw). Des élans sont compacts; d’autres, pas. (Motion est aussi attesté, sous l’influence de l’anglais.) On peut lancer par-dessus l’épaule ou de trois-quart. Le partant fait partie de la rotation : il a des départs de façon régulière. (On ne confondra pas la rotation des lanceurs avec la rotation de la balle ni avec la coiffe du rotateur.) Le releveur, en longue relève comme en courte relève, s’amène au monticule quand ses services sont requis. La longue relève est ingrate : sauf quand il s’agit de remplacer un artilleur blessé, on ne quitte souvent l’enclos des releveurs que dans une cause perdue, le partant ayant failli à la tâche. La courte relève est exigeante et excitante : le pompier ou closer est appelé à fermer les livres, à protéger ou à sauvegarder le match. Cela ouvre plusieurs possibilités : qui sera le lanceur de décision ? On lance de moins en moins de match complet.

Dans son arsenal, son répertoire de tirs, le lanceur a intérêt à en maîtriser plus d’un, surtout s’ils sont décevants : la rapide, la courbe, la courbe lente, la glissante, la tombante, la papillon, la balle fronde, la balle fourchette, le changement de vitesse, etc. Certains tirs trompent plus facilement les frappeurs que d’autres : la sous-marine, la balle lente ou la balloune (salutations à Pascual Perez). Une balle qui a de l’effet est réputée avoir de la zoune. Parmi les qualités d’un lanceur, il y a le bon bras, le contrôle (qui est une forme de visou), le mordant et la vélocité (rien de tel qu’une balle de feu ou une garnotte). À une époque, on pratiquait parfois la balle mouillée; ce n’était pas bien. Étienne Blanchard proposait d’appeler cette balle un crachat; il n’a pas été entendu.

Qu’attend-on du lanceur ? Qu’il connaisse bien la zone des prises (malheureusement, tous les arbitres n’ont pas la même). Qu’il défie les frappeurs — il peut même les mystifier avec ses offrandes — quitte à lancer à l’intérieur et à les repousser s’ils se placent trop près du marbre. Qu’il les envoie à la pêche. Qu’il vise les coins ou, carrément, qu’il lance à l’extérieur si la situation l’exige. Qu’il évite les buts sur balle, sauf s’ils sont intentionnels; dans certains cas, il vaut mieux, en effet, lancer autour d’un frappeur plutôt qu’en plein cœur du marbre. Qu’ils passent dans la mitaine le plus grand nombre possible de frappeurs; le retrait sur des prises simplifie la vie de tout le monde en défensive. Qu’il garde les sentiers déserts en affrontant le minimum de frappeurs. Qu’il force ses adversaires à se compromettre. Qu’il soigne sa moyenne de points mérités — qu’il la garde basse. Qu’il ait un bon geste avec des coureurs sur les sentiers.

Que doit-il éviter ? Il ne faut pas qu’il soit irrégulier; sinon, on ne sait jamais à quoi s’attendre. Les balles ne doivent pas être frappées solidement contre lui. Laisser une balle suspendue au dessus du marbre, c’est toujours une mauvaise idée. Un point a beau être non mérité, ce n’en est pas moins un point contre sa propre équipe. S’il est en retard dans le compte — s’il a donné plus de balles que de prises à un frappeur —, cela favorise son adversaire, qui peut se permettre d’être patient au bâton. Un mauvais lancer peut faire avancer les coureurs; c’est dangereux. (Quand c’est le receveur qui merde, on parle de balle passée.)

Le moment de gloire du lanceur est de trois ordres. Dans un blanchissage ou jeu blanc, son adversaire rentre bredouille au banc, dans l’abri des joueurs. S’il lance un match sans point ni coup sûr, il aura muselé l’autre équipe, mais il peut néanmoins lui avoir permis d’avoir des coureurs sur les sentiers. Le match parfait — fait de manches parfaites — est le summum de la réussite : personne n’aura même atteint le premier but. Pour le dire avec la mère de l’Oreille tendue, cela est rare comme de la marde de pape.

 

Illustration : couverture du livre de Bill Lee, un analyste subtil du travail des lanceurs, The Wrong Stuff (1984)

 

Références

Arcand, Bernard et Serge Bouchard, Quinze lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1993, 212 p.

Forbes, Andrew, De l’utilité de l’ennui. Textes de balle, Montréal, Éditions de Ta Mère, 2017, 196 p. Édition originale : 2016. Traduction de Daniel Grenier et William S. Messier. Édition numérique.

Lee, Bill, with Richard Lally, The Wrong Stuff, New York, Viking Press, 1984, 242 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Les zeugmes du dimanche matin et de Serge Bouchard

Bernard Arcand et Serge Bouchard, Du pâté chinois, du baseball, et autres lieux communs, 1995, couverture

«Je me souviens d’un porte-avions américain baptisé L’Entreprise. Imaginez : entrer dans tous les salons de la Terre en déclarant tout simplement : “Je suis le commandant de L’Entreprise.” Cela vous refait une image, à vous qui n’êtes qu’une image. Virer de bord dans l’Atlantique demande de la circonspection, des analyses et des millions, sans parler des contextes et des autorisations» (p. 134).

«Mais c’est un rêve, un pauvre rêve. La vie sur les rafiots sera toujours la vie sur les rafiots. Elle est vraie, peut-être, mais elle est difficile, très précaire et parfois même insupportable. Drake, Cook et La Pérouse, sont tous morts assez jeunes, dans la misère et dans l’eau froide» (p. 135).

Serge Bouchard, dans Bernard Arcand et Serge Bouchard, «Le commandant», dans Du pâté chinois, du baseball, et autres lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1995, 226 p., p. 131-146.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Aller au fond du canal avec Serge Bouchard

Balle bleu-blanc-rouge

Serge Bouchard a grandi à Pointe-aux-Trembles; l’Oreille tendue, à Repentigny. Ne les séparaient donc que le pont Le Gardeur et une dizaine d’années. Ils partageaient cependant un vocabulaire commun.

Exemple :

Je plonge une autre fois dans l’univers de mon passé et j’y retrouve des crapauds à la pochetée. Nous jouions au hockey dans la rue et une balle bleu-blanc-rouge nous servait de rondelle. À cette époque pas si lointaine mais désormais fort éloignée en raison des progrès enregistrés dans le génie civil et public, les couvercles des puisards se distinguaient par la grande ouverture des fentes qui permettaient à l’eau de s’y engouffrer. Les ingénieurs d’alors songeaient à la course de l’eau, mais ils n’avaient guère de sensibilité pour les cyclistes ou même pour les handicapés. Mais ils oubliaient surtout les jeunes joueurs de hockey dont l’enthousiasme était trop souvent brisé par la chute de leur unique balle dans ce que nous appelions tout simplement le canal (p. 186).

Le canal; oui, évidemment.

 

Référence

Arcand, Bernard et Serge Bouchard, «Le crapaud», dans Du pâté chinois, du baseball, et autres lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1995, 226 p., p. 179-193.

Langue de balle. Deuxième manche

Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion, éd. de 2017, couverture

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Deuxième texte d’une série.)

 

«J’aime le baseball depuis toujours, comme on aime l’idée de courir sur les sentiers, de se tenir debout dans le champ ou de rentrer sain et sauf à la maison. Les expressions françaises qui décrivent le jeu sont franchement belles. Il arrive que les sentiers sont déserts, que le voltigeur fasse une longue course qui l’oblige à reculer, dos à la clôture, qu’il regarde aller la balle du simple fait qu’elle est partie; il arrive que le frappeur frappe une chandelle dans le champ intérieur ou une flèche dans le champ droit, que la défensive soit mystifiée par une balle qui a des yeux, par une balle qui tombe, par une autre qui voyage, que le frappeur fende l’air, s’élance dans le vide, qu’il soit supris par un bâton fracassé, qu’il soit menotté par un lanceur dominant, retiré par un gant doré, avant de sombrer dans une longue léthargie qu’il devra un jour ou l’autre secouer.»

Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p., p. 46. Édition originale : 2016.