Mort au jargon

Compte Twitter du fantôme de Zoe BarnesDurant le onzième épisode de la quatrième saison de la série télévisée House of CardsChapter 50»), le président des États-Unis, le fort vilain Frank Underwood (Kevin Spacey), a une discussion avec un crack des moteurs de recherche sur Internet. Il ne comprend rien au jargon («Façon de s’exprimer propre à une profession, une activité, difficilement compréhensible pour le profane», le Petit Robert, édition numérique de 2014) de son interlocuteur, d’où cet ordre : «Give me EnglishL’Oreille tendue compte bien utiliser cette injonction un de ces jours.

P.-S. — Vendredi dernier, l’Oreille a twitté cette phrase, accompagnée du mot-clic #HouseOfCards. Quelques minutes plus tard, son tweet a été aimé par le compte du fantôme de Zoe Barnes. L’Oreille a alors twitté que son tweet avait été aimé. Le fantôme a de nouveau aimé. Joies de la récursivité !

Accouplements 44

Affiche du film Casablanca de Michael Curtiz (1942)

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Pour quelques semaines encore, l’Oreille tendue dirige un département universitaire. En assemblée, hier après-midi, elle citait à ses collègues une réplique du film Casablanca de Michael Curtiz (1942) : «My dear Rick, when will you realize that in this world, today, isolationism is no longer a practical policy ?»

Plus tard en soirée, elle tombe sur un tweet de @Maggyw519 reproduisant une déclaration du président américain Barack Obama au sujet de la position du Parti républicain devant la candidature de Donald Trump.

https://twitter.com/Maggyw519/status/708461821418541056

La phrase «they’re shocked ! That gambling’s going on in this establishment» renvoie, toujours dans Casablanca, à un échange entre les personnages de Rick Blaine (Humphrey Bogart) et de Louis Renault (Claude Rains), qui se termine par «I am shocked, shocked to find that gambling is going on in here !»

Ce matin, enfin, dans la Presse+, cette caricature, par Bado, du premier ministre du Canada Justin Trudeau et de Barack Obama, évoquant précisément la scène finale du film de Curtiz.

Caricature de Bado, la Presse+, 12 mars 2016

La phrase «Je pense que ceci est le début d’une brève aventure !» reprend, en l’inversant, la phrase finale du film, de Blaine à Renault : «Louis, I think this is the beginning of a beautiful friendship

Voilà un film classique

P.-S. — Il n’est aucun film que l’Oreille tendue n’a vu plus souvent que Casablanca.

Le principe de Dallas

Logo de la série House of Cards[Ô toi, lecteur obsessionnel du rapport de la commission Warren, tu peux passer ton chemin.]

Il y avait ce que l’on peut appeler le principe de Montgomery. On en trouve une définition dans une lettre du romancier Raymond Chandler à Alex Barris du 16 avril 1949 au sujet d’un film de Robert Montgomery :

…La technique œil-de-caméra dans Lady in the Lake, c’est un vieux truc à Hollywood. Tous les jeunes scénaristes et les jeunes metteurs en scène s’y sont essayés. «Faisons de la caméra un personnage»; à un moment ou à un autre, on a entendu ça à toutes les tables de Hollywood. J’ai connu un type qui voulait que la caméra soit l’assassin; et ça ne pourrait marcher qu’à condition de tricher énormément. La caméra est trop honnête (éd. française de 1970, p. 145).

Traduction par l’Oreille tendue : voilà un truc de scénariste en mal d’inspiration.

Il y a l’équivalent à la télévision : appelons cela le principe de Dallas.

Souvenez-vous. Le comédien Patrick Duffy, qui y tenait le rôle de Bobby Ewing, souhaite quitter la série Dallas au terme de la huitième saison (1984-1985); on fait donc mourir son personnage. On décide toutefois de le faire revenir quelques mois plus tard. Ça pose un problème de vraisemblance ? Si peu. Victoria Principal (qui joue Pamela Barnes Ewing) a rêvé tout cela. Bobby n’est jamais mort.

Traduction par l’Oreille tendue : un scénariste en mal d’inspiration peut toujours se rabattre sur l’onirisme.

On avait vu cela dans Six Feet Under, quand David James Fisher, joué par Michael C. Hall, s’était mis à délirer à la suite d’une agression. C’était grand-guignolesque.

On vient de le voir dans les premiers épisodes de la quatrième saison de la série House of Cards : inconscient, le personnage de Frank Underwood (Kevin Spacey) se met à imaginer une réalité parallèle, ou plusieurs.

Quand le principe de Dallas se manifeste, c’est généralement mauvais signe pour une série.

 

Référence

Chandler, Raymond, Lettres, Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 794, 1970, 309 p. Traduction de Michel Doury. Préface de Philippe Labro.

Accouplements 41 bis

Pierre Popovic, Entretiens avec Gilles Marcotte. De la littérature avant toute chose, 1996, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Des sources conjugales proches de l’Oreille tendue lui ayant suggéré The People v. O.J. Simpson, celle-ci a regardé les trois premiers épisodes de cette série télévisée au début de cette semaine. Elle se tâte encore (en tout bien tout honneur) : va-t-elle continuer ?

Plus tôt aujourd’hui, les réseaux sociaux se sont enflammés : on aurait retrouvé un couteau qui aurait été enterré chez O.J. Simpson et qui aurait été caché depuis près de vingt ans par celui à qui on l’aurait remis et qui l’aurait gardé sans en parler, ce qui pourrait relancer l’enquête sur l’assassinat de Nicole Brown et Ronald Goldman, ou pas, c’est selon.

Puis, il y a quelques minutes, ceci, en relisant les passionnants entretiens qu’a accordés Gilles Marcotte à Pierre Popovic en 1996 :

Pour le Canada, je parlerais d’abord des institutions, qui ne modèlent pas seulement les comportements extérieurs, mais aussi bien les façons de penser, voire de sentir. Notre régime judiciaire, nos institutions parlementaires, le fédéralisme, tout cela nous a marqués profondément — il resterait à dire de quelle façon, et je regrette que ce grand travail n’ait pas été seulement amorcé —, et nous distingue très nettement des Américains. Il suffisait de regarder pendant quelques minutes le procès O.J. Simpson, à la télévision, pour comprendre que cela se passait dans un pays très différent du nôtre. En ce sens, nous demeurerions canadiens même si le Québec se séparait de la confédération (p. 149).

Deux pays, en effet.

 

Référence

Popovic, Pierre, Entretiens avec Gilles Marcotte. De la littérature avant toute chose, Montréal, Liber, coll. «De vive voix», 1996, 192 p. Ill.

Être et avoir ? Oui

Pierre Popovic, Entretiens avec Gilles Marcotte. De la littérature avant toute chose, 1996, couverture

À l’occasion (ici, ), l’Oreille tendue aime rappeler qu’il est parfaitement légitime d’utiliser les verbes avoir et être, malgré ce que semblent croire des hordes de professeurs de français.

Elle s’est donc réjouie de (re)lire ceci, dans les entretiens qu’a donnés Gilles Marcotte à Pierre Popovic en 1996 sous le titre De la littérature avant toute chose :

Mais ce qui me frappait, qui m’attirait surtout dans ce livre [la Vie intellectuelle, 1921], c’était l’écriture. Le père Sertillanges était un bon écrivain. Il pratiquait une écriture très simple, économe, réduite à l’essentiel, très peu portée sur les figures de style. J’opposais cette langue-là à ce qu’exigeait de nous le professeur de rhétorique qui, lui, voulait nous faire suivre les conseils du manuel Durand, supprimer presque tous les mots non colorés, notamment les verbes être et avoir. Il les soulignait même, avec réprobation, dans les citations. J’ai vraiment opté, à ce moment-là, contre mon professeur, avec une conscience plus ou moins nette des enjeux, pour l’écriture simple contre l’écriture ornée, visiblement travaillée (p. 14-15).

Le conseil demeure est valable.

 

[Complément du jour]

S’agissant de la poésie de Saint-Denys Garneau :

D’autre part, la forme même de sa poésie me convenait tout à fait : cette poésie extrêmement simple, nue, qui aime le verbe être et le verbe avoir, qui n’emploie jamais de grands mots, qui reste tout près du murmure de la confidence, cela correspondait à l’idée que je me faisais instinctivement de l’écriture, de la poésie vraie (p. 53).

 

[Complément du 3 janvier 2017]

Dans son roman graphique Fun Home (2006), Alison Bechdel se souvient des commentaires d’un de ses professeurs sur un de ses devoirs de lettres :

Our papers came back bloodied with red marks—most lavishly the withering «WW» for «Wrong Word».
«Is» ? How can «is» be wrong ?
(éd. de 2014, p. 201).

En anglais comme en français, le verbe to be (être, «is») pourrait donc être le mauvais mot («Wrong Word»). Pourquoi ?

 

[Complément du 27 juin 2022]

Souvenir scolaire d’Élise Turcotte dans Autobiographie de l’esprit (2013) : «Je me souviens que le verbe être était interdit à l’école» (p. 42).

 

[Complément du 20 a0ût 2023]

On ne cesse, au Québec, de vanter les mérites linguistiques du descripteur sportif René Lecavalier. Quel conseil a-t-il donné à Claude Raymond, joueur de baseball reconverti en analyste télévisuel ? «Comme René Lecavalier me l’avait déjà conseillé, une des clés était de rester simple, de ne pas hésiter à utiliser les verbes avoir et être» (chapitre «Du haut de la passerelle», dans Frenchie).

 

Références

Bechdel, Alison, Fun Home. A Family Tragicomic, New York, A Mariner Book, Houghton Mifflin Harcourt, 2014, 232 p. Édition originale : 2006.

Popovic, Pierre, Entretiens avec Gilles Marcotte. De la littérature avant toute chose, Montréal, Liber, coll. «De vive voix», 1996, 192 p. Ill.

Raymond, Claude, avec Marc Robitaille, Frenchie. L’histoire de Claude Raymond. Récit biographique, Montréal, Hurtubise, 2022. Ill. Préface d’Yvan Dubois. Édition numérique.

Turcotte, Élise, Autobiographie de l’esprit. Écrits sauvages et domestiques, Montréal, La mèche, coll. «L’ouvroir», 2013, 229 p. Ill.