Michael Ignatieff n’a pas faim

Un lecteur pressé du Devoir pourrait penser que le chef du Parti libéral du Canada a un petit creux : «Ignatieff dépose sa liste d’épicerie», titrait en effet le quotidien hier (p. A4).

Il est vrai que la liste d’épicerie est prisée au Québec.

Certains, tel Ignatieff, la «déposent». D’autres la «présentent» : «Infrastructures. La Ville présente une liste d’épicerie de 306 millions» (la Presse, 14 juin 2001); «L’industrie agroalimentaire présente sa liste d’épicerie» (la Presse, 17 octobre 2001).

Avant cela, elle a été «dressée» : «Le maire Tremblay dresse sa liste d’épicerie» (la Presse, 7 février 2007, p. A8); «Montréal invité à dresser sa liste d’épicerie» (la Presse, 15 janvier 2009, p. A11).

Après, on la «reçoit» : «Scott reçoit la liste d’épicerie des autochtones» (le Devoir, 23 juillet 2004).

Quand il y en a plusieurs, on les regroupe pour en discuter : «Le sommet des listes d’épicerie» (le Devoir, 31 mai 2002).

Dans tous les cas, la liste d’épicerie désigne une énumération de demandes dont il est attendu que certaines seront excessives. C’est la règle du jeu : on sollicite aux quatre vents, puis on croise les doigts.

Risque d’imbibition scolaire ?

La ministre de l’Éducation du Québec, Michelle Courchesne, vient de proposer un nouveau calendrier scolaire.

La proposition est mal reçue de la Fédération des commissions scolaires du Québec. Sa présidente, Josée Bouchard, déclare que ce calendrier érigerait «en système quelque chose d’exceptionnel» et lancerait «le message que oui, le bar est ouvert» (le Devoir, 12 février 2010, p. A2).

Attention : l’expression bar ouvert, au Québec, ne désigne pas (toujours) la gratuité des troquets. Elle renvoie plutôt à une générosité indue, souvent d’origine gouvernementale. C’est une des formes du buffet à volonté. Il n’y a donc pas lieu de craindre la beuverie généralisée dans les écoles du Québec.

Mystère impénétrable au Centre Bell

Bob Gainey n’est plus le directeur gérant des Canadiens de Montréal; c’est entendu.

Mais que lui est-il arrivé ? Le jour même, on s’interrogeait. Le lendemain, pas moins.

Le jour même, le 8 février, avant la conférence de presse officielle

Le site du Réseau des sports a d’abord écrit qu’il semblait que Gainey «se retirait», qu’il «démissionnait», qu’il «quittait ses fonctions».

Cyberpresse.ca, pour sa part, a cédé à la tentation du verbe quitter employé absolument, encore qu’au conditionnel : «Gainey quitterait à la faveur de Gauthier.» Non sans se poser la question toutefois : «A-t-on décidé de “démissionner” Gainey ? Il appert pour le moment que celui-ci aurait décidé de quitter de son propre chef, à trois semaines de la date-limite des transactions.»

Le lendemain

«Bob Gainey remplacé», titrait Radio-Canada. Ailleurs sur le site : «Gainey passe le flambeau

Le Devoir n’était pas moins neutre : «Gainey part, Gauthier arrive» (p. 1).

La une du Journal de Montréal pouvait, elle, porter à confusion : «Gainey lâche.» Verbe ou adjectif ?

Le site officiel des Canadiens se faisait positif : «Tandis que la formation est au plus fort de la course pour une place en séries, Gainey lègue donc les rênes de l’équipe à son bras droit Pierre Gauthier, qu’il continuera d’épauler en tant que conseiller spécial.»

Réjean Tremblay, dans la Presse, l’était beaucoup moins, quand il associait le départ de Gainey à celui de son prédécesseur : «Depuis, nous avons appris la vérité. André Savard avait été tassé de force de son job. Sans doute apprendrons-nous un jour que ce fut la même histoire dans le cas de Gainey» (cahier Sports, p. 5).

L’Histoire révélera la Vérité. (Mais Elle ne dira pas que Gainey a quitté.)

 

[Complément du 29 mars 2012]

Le successeur de Bob Gainey connaît le même sort que lui aujourd’hui. En début de journée, Pierre Gauthier était «relevé de ses fonctions». Par la suite, les choses ont été présentées autrement : «Geoff Molson congédie Pierre Gauthier.»  Le choix de verbe est meilleur.

Malheureusement pour lui, et pour le verbe quitter, Bob Gainey, qui était toujours associé aux Canadiens de Montréal, perd aussi son travail : «Gauthier congédié, Gainey quitte aussi.» Le choix de verbe laisse à désirer.