L’oreille tendue de… Benjamin Hoffmann

Benjamin Hoffmann, «Évaporée», 2023, titre

«Sans me regarder ni répondre à mes questions, elle s’est installée aussitôt au comptoir, elle a commandé deux whiskys à une serveuse vêtue d’un T-Shirt Nirvana alors que dans les haut-parleurs de la petite salle bondée, c’étaient les Pixies qui passaient un peu trop fort, et Namiko a dû forcer sa voix pour se faire entendre au téléphone qu’elle a sorti de sa poche, parlant en japonais avec un débit continu et, m’a-t-il semblé, un ton plaintif, presque implorant, tandis que la jeune femme apportait nos verres avec une expression trop absente pour ne pas révéler qu’elle tendait l’oreille à ce que disait Namiko et qu’incapable de rien comprendre à son propos, à ce qui se passait, je m’accrochais à la seule parole qu’il m’était possible d’identifier dans le flot continu de son discours où elle revenait régulièrement, une parole qu’elle a fini par répéter une dernière fois comme si elle était le point culminant de ce qui ressemblait fort à une plaidoirie : nikagetsu, “deux mois”.»

Benjamin Hoffmann, «Évaporée», article électronique, AOC, 7 mai 2023.

Accouplements 216

Anonyme, Pot à moutarde et bock, Japon, circa 1690-circa 1730

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

«L’inquiétude et la mélancolie sont des condiments à l’écriture» (Jean-Philippe Toussaint, France Inter, 26 octobre 2023).

«La morale est la sauce de l’ame» (Jean-Jacques Rutlidge, le Bureau d’esprit, Londres, 1777, seconde édition, revue, corrigée, et augmentée, 144 p., p. 13).

 

P.-S.—Oui, ce Rutlidge-là.

 

Illustration : Anonyme, Pot à moutarde et bock, Japon, circa 1690-circa 1730, Rijksmuseum, Amsterdam