L’oreille tendue de… Grégoire Delacourt

Grégoire Delacourt, Mon Père, 2019, couverture

«Quand mon souffle se calme, je lui dis qu’il me rappelle l’abbé de Pradts chez Montherlant, qui se risquait à parler d’âme à propos du petit Souplier quand il voulait juste le baiser. Qu’il m’évoque toute son afféterie lorsque le chœur des collégiens dans la maîtrise répète un motet et que ce pauvre abbé de mes deux tend l’oreille et susurre, comme on suce un doigt : “Je ne distingue pas sa voix dans le chœur des autres voix.”»

Grégoire Delacourt, Mon Père. Roman, Paris, JC Lattès, 2019. Édition numérique.

Les zeugmes du dimanche matin et d’Éric Vuillard

Éric Vuillard, l’Ordre du jour, 2017, couverture

«Il a l’air triste et inquiet; il tourne machinalement entre ses doigts un bel anneau d’or, à travers le brouillard de ses espoirs et de ses calculs — et il se peut que, pour lui, ces mots aient une seule signification, comme s’ils avaient été lentement aimantés l’un vers l’autre.»

«Ce sont des admirateurs de Bruckner, et, ensemble, ils évoquent parfois son langage musical, dans les bureaux de la chancellerie, là où s’est déroulé le congrès de Vienne, le long des couloirs où Talleyrand traîna ses brodequins pointus et sa langue de vipère.»

«C’est là-bas, dans cette Californie industrieuse, entre quelques boulevards au carré, à l’angle d’un donut et d’une pompe à essence, que la densité de nos existences adopte le ton des certitudes collectives.»

Éric Vuillard, l’Ordre du jour. Récit, Arles, Actes sud, 2017, 160 p. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le zeugme du dimanche matin et d’Yves Ravey

Yves Ravey, Pas dupe, 2019, couverture«Et je me suis creusé la tête pour reprendre, point par point, le déroulement de notre soirée, somme toute très habituel, à l’image de tous ces samedis soirs qui se terminaient à quatre heures du matin, le dimanche avant l’aube, avec de l’alcool dans le sang et des embardées sur la route.»

Yves Ravey, Pas dupe. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2019, 139 p., p. 64-65.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Les zeugmes du dimanche matin et de Philippe Claudel

Philippe Claudel, Meuse l'oubli, éd. de 2006, couverture

«Paule avait quelque trente ans et des seins de rodomontade, oui de rodomontade, même si cela ne veut rien dire […]» (p. 13).

«Celle-ci claquait des dents, et de rire et de froid, décembre en plein visage; les vagues si hautes nous giflaient de brisures d’eau pareilles a des silex. […] Saoul de beaucoup de breuvages et d’envie, je brandissais ses mamelons à la mère hurlante […]» (p. 13).

«Tous les troquets de Gand me virent tituber pendant les semaines qui suivirent la mort de celle que jadis je nommais, dans les grands soirs ensirupés de lyrisme et de vin de groseille, ma caressante» (p. 21).

«Qui ne l’a donc connue au travers de mes brailleries d’aube, soupes rances de bière, et de mots dont je régalais mes frères d’une nuit ?» (p. 22)

«Je promène dans Feil l’ombre de Paule et mes regrets» (p. 35).

«Une maison sur deux n’a plus de feu, ni de lit, de chuchotements, de pleurs, d’odeurs de soupe, d’engueulades énormes, de râles amoureux» (p. 36).

«Les vieux beloteurs sont là sans t’avoir connue. Ils vivent en ignorant que Paule fut belle et aimée, qu’elle avait le cul d’un Maillol et le rire dispendieux, des dents de fauve, le ventre d’un capitole, belle d’un revers de soie aux yeux de noctambule qui cherche, les mains tendues contre une muraille hérissée de tessons» (p. 41).

«Elle se mêlait tout éplorée aux traînes des cortèges pour essuyer, à peine la bière ensevelie et le sermon expédié, le chagrin des immanquables cousins que toutes funérailles un tant soit peu sérieuses convoquent, quand ce n’était pas la douleur du veuf lui-même, chaviré par les larmes, le grand air, le noir et l’encens» (p. 73).

«“Te prends-tu pour un petit Marcel”», lance ma mère en même temps qu’une claque sèche, un soir après que je viens de lui réclamer un baiser […]» (p. 83).

«Un jour ma mère prit un bateau et le bras d’un Sud-Américain» (p. 146).

Philippe Claudel, Meuse l’oubli, Paris, Stock, 2006, 152 p. Édition originale : 1999.

 

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