L’oreille tendue de… Alain-Fournier

Alain-Fournier, le Grand Meaulnes, timbre-poste

«À neuf heures nous nous disposions à monter nous coucher; ma mère avait déjà la lampe à la main, lorsque nous entendîmes très nettement deux grands coups lancés à toute volée dans le portail, à l’autre bout de la cour. Elle replaça la lampe sur la table et nous restâmes tous debout, aux aguets, l’oreille tendue» (p. 90).

«Il expliquait comment, immobilisés par le froid sur la place, ne songeant pas même à organiser des représentations nocturnes, où personne ne viendrait, ils avaient décidé que lui-même irait au cours pour se distraire pendant la journée, tandis que son compagnon soignerait les oiseaux des Iles et la chèvre savante. Puis il racontait leurs voyages dans le pays environnant, alors que l’averse tombe sur le mauvais toit de zinc de la voiture et qu’il faut descendre aux côtes pour pousser à la roue. Les élèves du fond quittaient leur table pour venir écouter de plus près. Les moins romanesques profitaient de cette occasion pour se chauffer autour du poêle. Mais bientôt la curiosité les gagnait et ils se rapprochaient du groupe bavard en tendant l’oreille, laissant une main posée sur le couvercle du poêle pour y garder leur place» (p. 103).

Alain-Fournier, le Grand Meaulnes, Paris, Librairie générale française, coll. «Le livre de poche», 1000, 1964, 246 p.

Le zeugme du dimanche matin et de Tonino Benacquista

Tonino Benacquista, Nos gloires secrètes, éd. de 2014, couverture

«Aujourd’hui, devant un express dépourvu du moindre arôme, mais dont la chaleur réveille mes mains engourdies par l’arthrose et l’hiver, je prête l’oreille au brouhaha des bavardages sans y trouver de quoi tromper mon ennui.»

Tonino Benacquista, Nos gloires secrètes, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 5845, 2014, 254 p., p. 132. Édition originale : 2013.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le zeugme du dimanche matin et J.-H. Rosny aîné

J.-H. Rosny aîné, l’Énigme de Givreuse, éd. de 2017, couverture

«C’était une petite chambre blanche et ennuyeuse. Des sièges tristes occupaient les encoignures. Elle était à l’abri des microbes et des rêves.»

J.-H. Rosny aîné, l’Énigme de Givreuse suivi de La haine surnaturelle, Paris, BNF éditions, coll. «Les orpailleurs», 2017, 168 p., p. 31. Présenté par Roger Musnik. (La scène se déroule dans un hôpital.)

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accouplements 112

Michel Gay, Ce sera tout, 2018, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Roubaud, Jacques, Poésie, etcetera : ménage, Paris, Stock, coll. «Versus», 1995, 282 p.

«je suis un poète qu’on dit formaliste» (p. 58).

Gay, Michel, Ce sera tout. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2018, 161 p. Ill.

«Je m’étonne qu’il faille rappeler un tel principe à un auteur “spécialiste du minimalisme”, si j’en crois certains on-dit» (p. 106 n. 78).

Il paraît difficile de se dire, soi-même, minimaliste.

Accouplements 110

Lettre de faire-part du futur décès, gravure de Henri Charles Guérard

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Boutet, Josiane, le Pouvoir des mots. Nouvelle édition, Paris, La Dispute, 2016, 256 p.

«Les pratiques d’euphémisation qui consistent, par exemple, à ne pas dire explicitement de quelqu’un qu’il est “mort”, mais qu’“il est parti”, “il est décédé”, “il n’est plus”, “il nous a quittés” s’apparentent aussi aux processus des mots tabous : ne pas dire le mot, c’est éloigner la chose» (p. 244).

Carrère, Emmanuel, D’autres vies que la mienne, Paris, P.O.L, 2009, 309 p.

Étienne : «Ça l’a mis en colère, se rappelle-t-il, qu’elle le réveille et surtout qu’elle dise “Juliette est partie” au lieu de “Juliette est morte”» (p. 293).

Barbe, Jean, Discours de réception du prix Nobel, Montréal, Leméac, 2018, 61 p.

«—Jean… Élaine est décédée.
Sur le coup, je n’ai rien dit. Je regardais le visage de mon frère, inquiet, triste, inquiet surtout, pour moi. J’ai crié :
— Elle n’est pas “décédée”… Elle est morte… Morte !
Puis je suis allé m’enfermer dans ma chambre avec la mort» (p. 19).

Office québécois de la langue française, Banque de dépannage linguistique

«Lorsqu’on parle de personnes, mourir convient dans tous les contextes.»

P.-S.—L’Oreille tendue le sait : son combat pour mourir (voir ici et ) est perdu d’avance. Pas besoin de le lui répéter.

 

Illustration : Lettre de faire-part du futur décès, gravure de Henri Charles Guérard, 1856-1897, Rijksmuseum, Amsterdam