«Avril a refroidi la nuit et notre grande cuisine.»
Emmanuel Bouchard, les Faux Mouvements. Nouvelles, Québec, Hamac, 2017, 111 p., p. 91.
(Une définition du zeugme ? Par là.)
« Nous n’avons pas besoin de parler français, nous avons besoin du français pour parler » (André Belleau).
«Avril a refroidi la nuit et notre grande cuisine.»
Emmanuel Bouchard, les Faux Mouvements. Nouvelles, Québec, Hamac, 2017, 111 p., p. 91.
(Une définition du zeugme ? Par là.)
«Inondée de soleil, l’oreille tendue au bruit des carroses roulans, un peu rares il est vrai, mais enfin roulans sur le boulevard, [Oliva] demeura ainsi très heureuse pendant deux heures. Elle déjeûna même du chocolat que lui servit sa femme de chambre et lut une gazette avant d’avoir songé à regarder dans la rue.»
Alexandre Dumas, le Collier de la reine. Épisodes des Mémoires d’un médecin, dans Semaine littéraire du Courrier des États-Unis, [1849], 316 p., chapitre XXXII, p. 221.
Illustration : portrait d’Alexandre Dumas par Nadar, photo déposée sur Wikimedia Commons
(Accouplements : une rubrique où l’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)
Que faire des enfants nés chétifs, quel que soit leur sexe ?
Tremblay, Michel, la Traversée du malheur, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1253-1389. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2015.
«Et c’est de cette façon qu’elle avait sauvé la vie de son petit-fils. Albertine avait déposé le berceau sur la porte du four, Victoire y avait placé Marcel le plus délicatement possible, la chaleur avait fait le reste.
Et comme le poêle à charbon fonctionnait toute l’année, même dans les pires chaleurs — les plats à faire cuire ou à réchauffer, le thé à préparer —, Albertine avait pris l’habitude d’ouvrir le four et de s’agenouiller devant quand Marcel traversait une crise plus forte que les autres» (p. 1303-1304).
Lalonde, Catherine, la Dévoration des fées, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 112, 2017, 136 p.
«Elle le dit dans la boucane, dans le craquement du petit bois, au premier moment chaleur bonheur où la blanchaille fut trempée à l’eau — l’eau ! découverte merveilleuse ! —, à cette exacte température où elle devait rester ensuite, cette chair venue trop tôt [«la p’tite»], deuxième tiroir du poêle à bois, sous surveillance constante et œil de mercure, pour quelque deux ou trois semaines selon les pesées» (p. 16).
Soyons rassurés (en quelque sorte) : on les a à l’œil, ces enfants mis à chauffer, au charbon ou au bois.
P.-S.—L’Oreille tendue a présenté la Dévoration des fées le 8 novembre 2017.
«nous ne sommes que des dilettantes
qui avons lu des livres»
Simone au travail (2017) est un roman qui démontre page après page un amour des verbes qu’on ne peut pas ne pas saluer bien bas.
Il y a les verbes vieillis ou anciens, comme dans la phrase suivante : «Et Simone passe ses journées en peignoir devant son foyer qui ard» (p. 74) — ardre / ardoir signifiait, jadis, brûler. Ajoutons encore ascendre (p. 186) ou accourcir (p. 206).
Il y a les québécismes, retontir (p. 66), ressourdre, mais pas à l’imparfait du subjonctif (p. 52), et siler (p. 243).
Au besoin, il y a des néologismes : «elles pourboient grassement» (p. 196). Ou encore : «Le plan sit au prince, le mot “sit” figurant ici l’hypothétique troisième personne du passé simple du verbe seoir dont la défectivité est bien connue et non moins déplorable, et ce, d’autant plus que dans ce contexte nul autre verbe n’eût pu convenir» (p. 203).
Il y a surtout une admirable variété dans les propositions incises. Lecteur de Jean Echenoz, David Turgeon partage avec lui une passion pour cette forme d’apposition et les verbes qui la composent : dire, qui est fort banal, ce peut être briefer (p. 24), postfacer (p. 34), mitiger (p. 53), se pincer (p. 64), concilier (p. 104), inculquer (p. 118), cocoler (p. 119), amender (p. 119), se prosterner (p. 121), languir (p. 126), palabrer (p. 127), hypothétiser (p. 147), bondir (p. 177), concurrencer (p. 206), annoter (p. 208), sursauter (p. 232), en venir au fait (p. 235), complaire (p. 236), contextualiser (p. 236), décoder (p. 237), enseigner (p. 238), obliger (p. 239), prendre acte (p. 240), expertiser (p. 250), panteler (p. 255) — pour ne prendre que quelques exemples.
L’Oreille tendue confesse un faible pour un verbe en particulier :
— Cha te fait plaijir au moins ? demanda Faya la bouche pleine et les yeux ronds.
—Mais oui, bien sûr, grogna Simone de mauvaise grâce, s’apercevant tout à la fois de cette mauvaise grâce et n’en perdant pas pour autant le pli.
— Tu aurais peut-être préféré des croichants, hajarda Faya (p. 42).
Ce n’est pas la seule raison d’apprécier le travail de David Turgeon, mais elle est amplement suffisante.
P.-S.—Qui aime ainsi les verbes ne peut qu’aimer les temps verbaux, d’où un long passage au conditionnel (p. 52-55) et des participes passés roboratifs : «canal […] éclusé» (p. 135) ou «mots […] élimés» (p. 136).
P.-P.-S.—Soit la phrase «Sur le sol parsemé d’aiguilles elle recensa quelques mégots de cigarette, ainsi qu’un bout de papier déchiré, vestige sans doute de l’étiquette d’une boîte de conserve; au verso, elle déchiffra, manuscrit, le nom d’un navire qui ne lui dit rien» (p. 185). Les amateurs d’Hergé auront pensé à son Crabe aux pinces d’or.
P.-P.-P.-S.—Quelle est l’intrigue, si tant est que le terme s’applique, du roman ? Deux artistes (dont celle du titre), un espion à plusieurs noms (il est «multinyme» [p. 240]), une jeune amante mystérieuse, disparue puis retrouvée là où on ne l’attendait pas, un professeur congédié, une blonde chantante, un galeriste vieillissant, une DJ qui s’appelle MC Blais; des lieux inventés; quelques voitures, dont un coupé Anderloni jaune moutarde; un diamant de 148 carats «et quelques» (p. 238), le Suprême Orchestre; un service secret appelé le Mélanco (joli mot, évocateur); un putsch à Port-Merveille; des actions rapportées par plusieurs narrateurs (peut-être). Vous savez tout.
[Complément du 29 janvier 2018]
Ardre / ardoir est vieilli, certes, mais on le trouve aussi chez Éric Chevillard, dans sa Défense de Prosper Brouillon (2017, p. 18).
[Complément du 3 octobre 2018]
Le roman paraît ces jours-ci, en poche, toujours au Quartanier, dans la collection «Écho». Qui peut-on lire en quatrième de couverture ?
Références
Chevillard, Éric, Défense de Prosper Brouillon, Paris, Éditions Noir sur blanc, coll. «Notabilia», 2017, 101 p. Illustrations de Jean-François Martin.
Turgeon, David, Simone au travail. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 111, 2017, 284 p. Rééd. : Montréal, Le Quartanier, coll. «Écho», 2018, 280 p.
Amour. — Souvent platonique.
Âtre. — «En littérature, une source “murmure” toujours, et un feu “crépite” dans l’âtre» (Salut, mon pope !, p. 179).
Bureaucratie. — La dire kafkaïenne relève presque du pléonasme.
Capitalisme. — Nécessairement sauvage.
Caverne. —Évoquer Platon.
Déjà. — Voir toujours.
Dilemme. — Cornélien. (Chez les Britanniques : shakespearien.)
Duel. — Historiquement homérique.
Faits. — Les préférer têtus.
Fleuve Saint-Laurent. — Évidemment majestueux.
Œuvre. — Il est bon qu’elle soit monumentale.
Plan. — Machiavélique, par essence.
Platon. — Évoquer sa caverne.
Récit. — Haletant. (Ce serait une qualité.)
Repas. — Gargantuesque. Voir rire.
Rire. — Rabelaisien. Voir repas.
Source. — Voir âtre.
Talent. — Il est réel, ou il n’est pas.
Toujours. — Jargon universitaire : toujours-déjà.
P.-S.—En ces matières, la lecture d’Hervé Laroche est recommandée.
(Merci à @revi_redac.)
Référence
San-Antonio, Salut, mon pope ! Roman spécial-police, Paris, Fleuve noir, coll. «S.A.», 25, 1974, 254 p. Édition originale : 1966.